LE BILLET
Vel d’hiv : la faute de Marine Le Pen, morale ou politique ?

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En disant que la France n’était pas responsable de la rafle du Vel d’hiv en 1942, Marine Le Pen a indigné la classe politico-médiatique. L’avocat sioniste Goldnadel y voit « une faute politique, pas une faute morale ». Mais de quelle faute exactement s’agit-il ?
 
On peut se demander avec Nicolas Dupont Aignan quel intérêt on trouve à entretenir « éternellement » des controverses éculées sur « un passé douloureux », et donc pourquoi Marine Le Pen a répondu à la question piégée d’un journaliste. Par atavisme estiment certains, parce que, comme son père, dès qu’elle sent s’approcher un pouvoir dont son inconscient ne veut pas, elle ne peut s’empêcher de lancer une déclaration qui va scandaliser l’opinion ?
 

Vel d’hiv : Marine Le Pen sur la ligne nationale gaulliste

 
Cela contredirait des années d’une stratégie de diabolisation sans faille, pour laquelle elle a justement sacrifié son père, au risque de casser sa famille et d’éloigner d’elle une partie de son parti et de son électorat.
 
Pour récupérer cet électorat, précisément ? Mais il ne pèse pas très lourd et lui est acquis malgré ses récriminations, car elle constitue le seul barrage contre l’immigration.
 
La raison la plus plausible est beaucoup plus simple : c’est que Marine Le Pen suit inexorablement, dans le cadre même de sa politique de dédiabolisation, la ligne nationale-gaulliste qu’elle a fixée avec Florian Philippot. On notera d’ailleurs qu’aucun des politiciens se réclamant de l’indépendance gaullienne, Dupont-Aignan, Guaino, Cheminade, Asselineau, ne l’a attaquée sur le fond. Même Fillon est demeuré modéré.
 

A qui la faute du Vel d’hiv : les faits et le droit

 
Pour en revenir à l’affaire du Vel d’Hiv, il y a les faits et il y a le droit. Les faits d’abord. Les 16 et 17 juillet 1942 13.000 juifs étaient raflés à Paris et parqués au Vel d’Hiv pour être déportés en Allemagne. Le gouvernement de Vichy avait peu de moyens de s’opposer à la volonté du Reich sur le territoire de la France occupée. Toutefois, le secrétaire général de la police, le franc-maçon radical René Bousquet, tint à participer à l’opération pour limiter la casse et éviter autant que faire se pouvait que des Français juifs soient déportés. C’est ce choix, qui n’a pas dissuadé le président socialiste Mitterrand de lui conserver son amitié jusqu’à la mort, qui permet d’invoquer la responsabilité de la France dans l’affaire.
 
Quant au droit, deux thèses s’affrontent. D’une part, certains considèrent que la troisième république finissante a nommé dans les formes régulières le maréchal Pétain président du Conseil, que les deux chambres réunies en Congrès lui ont donné les pleins pouvoirs, et que par conséquent Vichy incarnait durant la seconde guerre mondiale la France, de même que la république conduite par François Hollande la représente, quoi qu’on pense de son action. C’est cette thèse qu’a choisie Jacques Chirac en juillet 1995, en reconnaissant la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’Hiv.
 

Chirac avec Pétain, Marine Le Pen avec De Gaulle

 
A la vérité, cette thèse, quoique parfaitement défendable, était contraire à toute la tradition des quatrième et cinquième républiques. Depuis la résistance, De Gaulle, et tous les autres, considéraient que, si Vichy avait pour lui les apparences de la légalité, la légalité était incarnée par la Résistance, dans la clandestinité, à Londres, à Alger. Donc, les actes de Vichy n’engageaient pas la France. La rafle du Vel d’Hiv pas plus qu’aucun autre. C’est d’ailleurs le sens de tous les procès de l’épuration, de la révocation des fonctionnaires convaincus de collaboration et des milliers de fusillés suivant cette conception résistantialiste.
 

Goldnadel : « Une faute politique, pas une faute morale »

 
La décision de Jacques Chirac, en 1995, marqua le coming out d’un politicien qui avait toujours été plus radical que gaulliste (son mentor en Corrèze, Charles Spinasse, vota les pleins pouvoirs au maréchal Pétain). La déclaration de Marine Le Pen marque son ancrage dans le gaullisme national et participe de la stratégie de dédiabolisation mise au point avec Philippot.
 
Marine Le Pen a annulé quelques émissions audiovisuelles, surprise par le tollé qu’a provoqué sa déclaration sur le Vel d’Hiv. Manifestement, elle n’en avait pas prévu l’ampleur. Seuls quelques héritiers résiduels de la position gaulliste ont évité de l’assassiner, plus, sur radio Monte-Carlo, l’avocat sioniste de la droite radicale William Goldnadel. Pour lui, Marine Le Pen n’a « pas commis de faute morale, mais une faute politique qui va lui coûter cher ».
 

De Gaulle n’est plus qu’un parapluie troué

 
N’étant pas madame Soleil, j’ignore si la faute politique de Marine Le Pen va lui coûter cher, mais je puis apporter quelque lumière sur la nature de cette faute. Elle est d’abord d’oublier que le gaullisme ne pèse plus grand chose dans les appareils politiques, même ceux qui s’en réclament, et probablement pas plus dans l’électorat. Elle est ensuite de croire que la figure du général De Gaulle peut encore servir de bouclier apologétique : Nadine Morano, quand elle a repris les paroles gaulliennes sur les Français « peuple de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne », a pu s’en apercevoir. Elle a été montrée du doigt comme une ignoble raciste par tous les hauts parleurs du système.
 

Marine Le Pen ne sait pas comment marche la diabolisation

 
La pire faute de Marine Le Pen est d’ignorer le fonctionnement réel de ce qu’elle appelle le système, et la nature de la diabolisation. Elle n’a semble-t-il pas pris garde que son père fut diabolisé en 1986 sous le gouvernement Chirac qui posa « un cordon sanitaire » contre lui, plus d’un an avant la faute du « détail ». Autrement dit ses opinions hétérodoxes et choquantes sur la seconde guerre mondiale ont été un moyen commode de l’éliminer, mais la volonté de le tuer ne prenait pas racine dans ces déclarations. On n’a pas diabolisé Le Pen pour le détail mais par le détail.
 
Il en résulte deux choses. D’abord ce qui tourne autour de la Shoah n’est pas l’objet dans l’opinion politique d’un débat rationnel. Et surtout, en rejoignant, même sincèrement, l’opinion dominante de naguère, en s’éloignant pour de bon de son père, Marine Le Pen ne s’assure nullement, ipso facto, de la bienveillance du système.
 

Ce ne sont pas « les juifs » qui instrumentalisent la Shoah

 
Certes, gaullistes et sionistes de droite lui concèdent du bout des lèvres qu’elle ne commet pas de faute morale, mais tout le reste du système embouche les trompettes de la réprobation morale visant à la discréditer.
 
Tout au fond de l’erreur de Marine Le Pen gît peut-être un reliquat « d’antisémitisme ». Elle semble croire que le système, pour qui ce qui touche à la Shoah est sacré, serait tenu de ce fait par « les juifs ». Cela ne veut évidemment rien dire. D’abord parce que, s’il existe des groupes d’influence juifs, ils sont très divers. Ensuite, surtout, parce que si ce qui touche à la Shoah a effectivement une place à part dans l’imaginaire politique et moral de l’Occident contemporain, cette caractéristique n’est pas instrumentalisée seulement par « les juifs », ni même par « les sionistes », ni par Israël, mais par l’ensemble du système politique. Pour être clair, un homme d’extrême gauche antisioniste et anti-israélien peut très bien agiter les années les plus sombres de notre histoire pour faire honte à Marine Le Pen de déclarations où elle juge Vichy illégitime. Ce qui amusera toujours les amateurs impénitents de paradoxes.
 

Pauline Mille