La Photo : Cimetière géant de fœtus au Vietnam : le choix du sexe tue

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C’est un mélange de tristesse, de barbarie, d’amour désespéré, de gestes traditionnels entés sur des mentalités déboussolées, qui rôde sur le plus grand cimetière de fœtus, situé dans le nord du Vietnam dans les faubourgs de Hanoï à Soc Son, le cimetière de Doi Coc. Il ne mesure que mille mètres carrés, mais les cadavres s’y comptent par centaines de milliers. Le Vietnam, selon l’Organisation des Nations unies, a le deuxième taux d’avortement le plus élevé dans le monde. C’est principalement dû à la préférence de la société pour les garçons : le choix du sexe par les mères les amène à tuer les filles et en éliminer les fœtus.

 

90 % des fœtus du cimetière sont des filles

Selon la tradition vietnamienne, on enterre les morts et au bout de trois ans, quand ils sont réduits à leurs os, on les place dans de petits pots. Toutes les tombes sont en fait des fosses communes, certaines contiennent jusqu’à 10.000 fœtus, l’une d’elle 30.000. Elles sont alignées par dizaines, marquées d’inscriptions où sont placées des roses artificielles : entre les rangées avancent doucement les silhouettes de celles qui n’ont pas voulu être mères et viennent se recueillir sur les petits cadavres. A 64 ans, Nguyen Thi Nhiem enterre des fœtus depuis 16 ans sur ce terrain où elle a établi le cimetière, dont certains sont fournis par les hôpitaux et cliniques à proximité où son mari les collecte. Elle est formelle : « Parmi ceux dont on identifie le sexe, sur cent, quatre-vingt-dix sont des filles, dix seulement des garçons. »

 

Au Vietnam on choisit le sexe fort pour toutes sortes de raisons

Est-ce le confucianisme encore présent de la population, le besoin de sécurité dans un pays très marqué par la guerre et la disette, la domination du parti communiste qui s’est voulu très moralisateur sur la question sexuelle durant de nombreuses années et n’a réussi qu’à plonger les populations dans l’anomie ? Toujours est-il que les mères souhaitent des garçons et mettent plus facilement un terme à la vie des embryons féminins, bien que l’avortement pour sélection du sexe soit illégal au Vietnam. Pour Khuat Thu Hong, directeur de l’institut des études sur le développement social d’Hanoï, « au Vietnam, la réalité est que les gens ont toujours besoin de compter sur leurs fils quand ils vieillissent et qu’il leur faudra quelqu’un pour prendre soin d’eux ». Ce qui est la conséquence de la ruine du pays par le parti communiste au pouvoir.

 

L’eugénisme sexiste tue

L’incidence sur la démographie est mesurable. Selon le département de la population du Vietnam, le pays aura 1,5 millions d’hommes en plus que de femmes en 2034, et 4,3 millions dès 2050 si le ratio de sexe à la naissance demeure le même. Il est aujourd’hui de 112,1 garçons pour 100 filles, il n’était « que » de 109 pour cent en 2006. On compte entre 1,2 et 1,6 millions d’avortements par an au Vietnam, selon l’organe de presse du PC vietnamien, le Dang Cong San, qui cite le Planning familial du Vietnam. L’indice de fécondité est passé de 3,8 enfants par femme en 1989 à 2,1 en 2021, et cela ne s’est pas fait par la contraception, mais, selon Hong, par la « normalisation » de l’avortement. Certaines femmes « subissent de nombreux avortements pour avoir un garçon ». Ce qui fait le succès désolant de Nguyen Thi Nhiem, la propriétaire-gardienne de Doi Coc : « A l’origine, le cimetière mesurait 600 mètres carrés, je vais l’étendre à 1.200, mais tôt ou tard il sera saturé. »

 

Pauline Mille