Des villes qui s’engagent à ce qu’on n’y mange plus de viande ? Le « fact-checking » borgne de l’AFP

villes viande fact-checking AFP
 

Cela fait quelques années que les grands médias nous infligent de doctes considérations pour « debunker », comme ils disent, les « fake news », comme ils disent encore, circulant sur les réseaux sociaux : il s’agit de démonter mensonges, exagérations, fausses interprétations, désinformations pures et simples. En soi, tout ce qui concourt à la recherche de la vérité est bon à prendre. Mais à l’heure où la propagande tous azimuts (et notamment gouvernementale), assistée par la psychologie comportementale, est tellement présente dans les informations qui circulent, on a tôt fait de constater que le « fact-checking » (vérification de faits allégués) lui-même peut faire partie de la propagande. Voici un petit cas d’école : l’AFP cherchant à minimiser la volonté de certaines villes de réduire la consommation de viande et autres comportements jugés « mauvais pour la planète » et émettrices de CO2 à brève ou à moyenne échéance.

 

Villes sans viande, sans vêtements neufs et sans voitures individuelles

C’est une assertion qui circule de manière brute sur les réseaux sociaux depuis une semaine environ, notamment sous la plume de Silvano Trotta sur X (ex-Twitter) : « Je vous recommande de vérifier si votre ville fait “déjà” partie des villes psychopathes (et oui hélas ce n’est pas non plus une théorie du complot). Ces villes (1.143 pour l’instant) se sont engagées à ce que leurs habitants respectent la liste de règles obligatoires suivantes : “0 kg de consommation de viande”, “Produits laitiers 0 kg”. “3 vêtements neufs par personne et par an”. “0 véhicules privés possédés ; 1 vol court-courrier (moins de 1.500 km) tous les 3 ans par personne”. »

Il y a des liens vers « Race to Zero » (la course vers zéro émissions) que l’AFP a vérifiés : sur ce site, en effet, il est question d’engagements pris par des villes, des régions et des entreprises avec le soutien de l’ONU. L’Agence France Presse a pris la peine d’entrer en contact avec l’organisation pour avoir des précisions, qui ont pris la forme d’un démenti : « Toutes ces affirmations sont fausses et ne sont pas mentionnées dans les règles d’adhésion auxquelles se soumettent volontairement les villes. »

Dont acte. Le lien fourni dans les messages mentionnés par l’AFP ne pointe pas en effet vers une source pouvant justifier l’information donnée. L’occasion de noter que tout ce qui circule sur internet n’est pas vrai, ou à tout le moins que les personnes qui avancent telle ou telle allégation inquiétante ne font pas toujours leur travail de vérification ou de « sourçage » comme il faut…

 

Toujours tout vérifier : l’AFP a raison, mais s’arrête en chemin

L’AFP a (correctement) poussé l’investigation plus loin en cherchant la vraie source des affirmations sur le « zéro viande, 3 vêtements neufs », etc., qui ne sortent pas de nulle part – nous les avions évoquées ici au détour d’un article sur le raccommodage bientôt subventionné. C’est en effet dans un groupement de municipalités engagées dans la lutte contre le « dérèglement climatique », C40 cities, qu’un rapport datant de 2019 avait dressé le catalogue des comportements à favoriser.

L’AFP publie (honnêtement) une capture d’écran détaillant la baisse de consommation de viande et produits laitiers attendue ou plutôt espérée d’ici à 2030 ou 2050 dans les villes participantes, mais sans donner tous les domaines concernés outre l’aviation, la nourriture et l’habillement : la baisse des constructions neuves, les transports privés (avec l’objectif « ambitieux » de 0 véhicule privé en 2050 ou 190 par 1.000 habitants pour l’objectif « progressif » ; les ordinateurs, avec une longévité assurée de 7 ans (j’applaudis) – mais pas de diminution, (faut quand même conserver en l’état les outils de surveillance).

Et ajoute que, contact pris avec l’équipe de C40, celle-ci assure :

Le rapport est une analyse générique des émissions basées sur la consommation qui ne porte pas sur une ville spécifique du C40. Il ne s’agit pas d’un plan à adopter par les villes. C’est à chacun de faire ses propres choix de mode de vie, notamment en ce qui concerne le type de nourriture et le type de vêtements qu’il préfère ».

Le rapport ne préconise pas de restrictions de la consommation, y compris de la viande et des produits laitiers. Le rapport ne préconise pas non plus la fin de la mode ou que tout le monde porte le même type de vêtements.

Vive la liberté, et à bas les prophètes de malheur qui nous annoncent le totalitarisme climatique tatillon pour demain ? Pas si vite…

En effet, s’il est correct de dire qu’il ne s’agit pas d’un engagement précis mais d’un rapport et de recommandations, l’AFP ne fait pas mention des éléments du rapport qui incitent les villes à « collaborer » avec les pouvoirs publics, les entreprises et leurs habitants pour aboutir à des « interventions sur la consommation ». Autrement dit, faire croire aux individus qu’ils font les choix préconisés.

Ainsi, il s’agit d’« influencer » les choix alimentaires par la préconisation des régimes « sains », par la modification des menus dans la restauration collective, la diminution de l’offre de viande et de produits laitiers dans les magasins, la mise en avant des produits « basés sur les plantes » (végétariens), le soutien aux « influenceurs » qui ont tôt choisi de manger peu de produits d’origine animale. C’est tout l’art du totalitarisme soft : façonner le citoyen au moyen de l’action pyschologique, en même temps qu’on lui impose des actes en jouant sur l’organisation générale de la cité, les prix, l’accessibilité des produits qu’on veut progressivement faire disparaître, ou quasi, de la circulation.

 

Le fact-checking de l’AFP fait l’impasse sur la « modification comportementale »

Cette « modification comportementale » est désignée au §9.2.2. du rapport qui souligne bien le caractère « individuel » des choix de consommation à effectuer, mais cela doit passer par « une transition rapide vers une consommation “plus soutenable” à travers les incitations politiques et les nouveaux business models » bénéficiant « du soutien des gouvernements et des entreprises » – par exemple à travers la « tarification du carbone ».

Le « fact-checking » de l’AFP ne mentionne pas non plus ouvertement que Paris, sous la houlette d’Anne Hidalgo, fait partie de la première petite centaine de grandes villes du monde à avoir rejoint le groupe C40. Et que Mme Hidalgo elle-même en a été un temps présidente.

Son « œuvre » dans la capitale française montre parfaitement comment fonctionne l’idéologie du « zéro carbone » qu’elle veut voir Paris atteindre en 2050. Les voitures privées ne sont pas interdites, certes. Mais beaucoup sont exclues par le biais des certificats « crit’air », la mise en place massive de pistes cyclables (comme le préconise le rapport du C40), et la dissuasion du recours à l’automobile par des plans de circulation labyrinthesques, voire kafkaïens, la suppression des places de stationnement, et des prix d’or pour celles qui subsistent, sans compter des amendes (baptisées « forfait post-stationnement » pour en confier la gestion au privé) totalement prohibitives. A force de fermer des rues à la circulation, Paris connaît aujourd’hui les bouchons du dimanche. C’est une guerre des nerfs qui est délibérément axée sur le découragement des propriétaires de voitures. Il va sans dire que les transports publics ne sont pas pour autant améliorés : ni pour le confort, ni pour la fréquence, ni pour l’accessibilité, ni pour la sécurité !

Les objectifs « zéro carbone » sont assumés, le rapport C40 indique une manière d’y parvenir, et s’il est vrai, comme le dit l’AFP, qu’il serait faux d’y voir des obligations imposées – pourquoi pas avec le concours des forces de l’ordre – aux habitants lambda, la vérité est bien qu’on s’oriente en ce sens, et notamment à Paris, au nom d’un consensus dont le cuisant échec de Mme Hidalgo aux présidentielles dément frontalement l’existence.

L’AFP ne signale pas non plus, mais ce n’était pas directement le sujet, que le Forum économique mondial est ébloui par les performances d’Anne Hidalgo qui, à l’instar d’autres maires, a profité des confinements covid-19 pour imposer ce qui va de pair avec la ville zéro émissions : la « ville du quart d’heure », notamment en supprimant 60.000 places de stationnement.

Nous en reparlerons !

 

Jeanne Smits