C’est une réédition, parue chez Clovis – la première avait été réalisée par les éditions de La Reconquête en 2007. Dix ans après, elle a toute son actualité, et plus encore même, à l’heure où le Vatican nous offre un visage incroyablement avenant du théologien allemand… En cette année qui marque le 500 ème anniversaire de la Réforme, datée du 31 octobre 1517, Rome en célèbre la mémoire, au point d’éditer un timbre en son honneur – en l’honneur d’un hérétique jadis cloué au pilori par les papes. En peu de pages, Le vrai visage de Luther remet les choses à leur place : avec méthode et sans affect, l’abbé Jean-Michel Gleize démystifie le personnage et déroule la portée réelle de la philosophie et de la théologie protestantes.
Un vivier de contradictions dont on n’aurait rien à craindre si on ne voulait pas autant les arranger, voire les singer. Sans nul doute, l’hérésie la plus moderne.
Un réformateur incompris ? Que nenni
Non, les luthériens ne sont pas « revenus » à de meilleures dispositions… Non les luthériens ne sont pas par le baptême qu’ils ont effectivement reçus, des membres à part entière du Corps du Christ – toute leur histoire, par ailleurs, le nie.
Il semble plutôt que ce soit la vision doctrinale de la hiérarchie catholique qui se soit assouplie. Car, comme l’écrit l’abbé Gleize, la Réforme fut bel et bien « en réalité une révolution ». Le discours actuel très affable du Vatican ressemble davantage à une auto culpabilisation très à la mode doublée d’un œcuménisme largement équivoque. Les plus grandes révolutions se font parfois dans un silence assourdissant…
L’origine du « non » luthérien ? L’abbé Gleize ne passe pas sous silence les abus qui avaient effectivement, au XVIe siècle, pénétré l’Église catholique – le commerce des indulgences fut un signe parmi d’autres. « La véritable explication de Luther, c’est l’humanisme de la Renaissance et la perte du sens surnaturel chez les hommes d’Église ». Oui, ces derniers ont leur part de responsabilité dans le luthéranisme. Mais ces fautes restent les leurs – absolument pas celles de l’Église en tant qu’institution, dont la sacralité demeure intrinsèque et pour l’éternité. Les « fruits » de la Réforme seront… la Contre-Réforme – o felix culpa, si l’on peut dire.
Dirigé avant tout contre l’Église
Luther s’est saisi de ce prétexte pour faire passer SA réforme et se détacher ainsi du grand navire de l’Église catholique romaine. Il faut relire le Manifeste à la noblesse chrétienne de la nation allemande d’août 1520. Luther y appelle, sans état d’âme, les chrétiens à marcher sur l’Église de Rome et à renverser tout particulièrement, comme nous le rappelle l’avant-propos de l’auteur, le sacrement de l’ordre, le magistère infaillible du pape et le primat de juridiction de l’évêque de Rome.
« La chaire de Pierre est pour Luther la chaire de l’Antéchrist, dans la mesure où elle se présente comme l’unique garante des moyens de salut » écrit l’abbé Gleize. Ce n’est pour lui qu’« une institution purement humaine ».
Luther a voulu ainsi ébranler l’unité de l’Église. Faute magistrale… car si l’on peut être sauvé sans appartenir au Corps de l’Église catholique romaine – Dieu seul sonde les reins et les cœurs – on ne peut se sauver volontairement en dehors. Vérité, certes, bien affadie par Vatican II et l’enseignement des papes depuis lors. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles Luther est quasi revenu en odeur de sainteté…
« Le vrai visage de Luther » (Abbé Gleize)
Le livre esquisse un portrait bienvenu de l’homme avant de s’attaquer à la doctrine. Un homme d’une tristesse chronique, qui noie sa désespérance dans un activisme bien éloigné de son statut. Le premier Luther est provocant, volontiers obscène, le second, à partir de 1522, tente de dédiaboliser le personnage et surtout le corpus doctrinal. Tribun assuré, il se révélera pourtant incapable d’écrire la moindre somme pour défendre sa Réforme.
Dès l’affichage de Wittenberg, le 31 octobre 1517, et ses 95 thèses sur les Indulgences, il a lancé les dés d’une discorde radicale et n’entendra pas en démordre. Sa théologie nouvelle plaira à la noblesse germanique, malgré les diètes de Charles-Quint qui condamne la geste luthérienne.
Mais quand il meurt en 1546, les signes sont fort mauvais : les sectes protestantes se sont multipliées et une corruption morale attestée règne partout parmi les chefs…
« Pèche fortement et crois encore plus fortement »
La doctrine, l’abbé Gleize la déroule en sept chapitres, courts et pourtant denses. Dans son opposition à Rome, Luther va imposer son axiome fondateur qui est le principe de la justification par la foi seule : « Pèche fortement et crois encore plus fortement ». Le péché et le salut œuvrent de concert, sans contradiction. La nature humaine, radicalement corrompue par le péché originel, ne peut se trouver justifiée que par la foi.
De là, l’inutilité des œuvres pour le salut : elles sont sans lien avec la rémission des péchés et la grâce. Et l’impossibilité de toute morale, car il n’y a plus de liberté… la foi seule, toujours, sert à justifier. L’Église se mue donc en l’assemblée de tous ceux qui croient en cette prédestination ; les pasteurs sont une chrétienté extérieure qu’il faut accommoder avec l’invisibilité de l’Église… le sacerdoce, bien entendu disparaît et la dimension sacrificielle de la messe avec.
Seule doit compter la Bible : « Sola Scriptura » dont l’interprétation est encore individuelle…
Vatican II : « Martin Luther aurait trouvé son concile »
On le voit, ce qui prime c’est l’autonomie : Luther s’est littéralement arraché à l’Église catholique. Maritain parlait de son geste comme d’un « avènement du moi » dans Trois réformateurs. L’abbé Gleize va plus loin : « Sur tous les points, le protestantisme inaugure la religion de l’individualisme ». Et à l’heure d’aujourd’hui, il est capital de le comprendre.
Il cite le théologien suisse catholique Charles Journet qui écrivit dans sa jeunesse : la religion de Luther est « la protestation de la raison humaine contre la révélation divine, de l’autonomie de l’homme contre l’intervention de Dieu, des droits de la nature contre les exigences de la sur-nature ». Une consécration, une sacralisation de l’humanisme autrement dit, en butte à toute autorité et en dépit de toute Tradition… qui engendre inévitablement tous les relativismes possibles, tous les libéralismes, tous les œcuménismes.
Et pourtant… en janvier dernier, le cardinal Kurt Koch faisait paraître dans le journal officiel du Vatican, L’Osservatore Romano, un texte aux antipodes de ces réalités, affirmant que Luther « ne voulait absolument pas la rupture avec l’Église catholique (…) mais avait à l’esprit le renouvellement de tout le christianisme dans l’esprit de l’Évangile »… Et ces mots d’une signification criante : dans ce Concile Vatican II, « Martin Luther aurait trouvé son concile ». Luther aurait ainsi compris bien avant l’heure ce que à quoi s’est ralliée l’Église de Rome, au XXe siècle…
Le pauvre Martin aurait-il eu raison trop tôt ? Tellement, qu’il n’hésita pas à brûler publiquement, à Wittenberg, en juin 1520, la bulle papale Exsurge Domini qui condamnait son hérésie.
Clémentine Jallais