La Chine communiste fait de la géopolitique pratique. Le secrétaire général du Parti – également président et chef des forces armées – XI Jinping est actuellement en tournée au Pérou. Il doit notamment y rencontrer samedi prochain Joe Biden, en marge du sommet Asie-Pacifique de l’APEC en cours sur le libre-échange et la coordination des politiques entre les 21 pays riverains qui représentent plus de 60 % du PIB mondial et près de 50 % du commerce global. Mais l’intégration régionale suppose aussi de poser ses pions de manière avantageuse : c’est ce qu’à fait Xi, mercredi, en inaugurant un méga-port à 80 km au nord de la capitale péruvienne, Lima : pièce maîtresse de la Nouvelle Route de la Soie, Chancay, ce méga-port servira en premier lieu à faciliter le trafic de marchandises vers Shanghaï.
L’affaire bénéficie à la Chine, bien sûr, mais il faut noter qu’elle correspond aussi aux désirs de l’OCDE. Celle-ci recommandait en 2016 à l’Amérique latine de rattraper son retard économique en opérant un rapprochement avec la Chine. Dans son rapport Perspectives économiques de l’Amérique latine, elle engageait l’Amérique latine à ne pas manquer le train du « basculement de la richesse » qui doit modifier le centre de gravité de l’économie mondiale en le rapprochant des « économies émergentes ». Il faut des « stratégies de développement mutuel » entre les deux géants en même temps que l’Amérique latine s’emploiera à « lever les obstacles de sa croissance inclusive », affirmait le rapport, que nous commentions ici sur RITV. Message reçu…
Après un barrage raté en Equateur, la Chine construit un port à Chancay au Pérou
Pour la Chine, qui a financé cette gigantesque infrastructure offrant quatre quais opérationnel, Chancay est d’abord un « pied » sur le continent sud-américain, qui permettra à terme l’augmentation des échanges sous la houlette de Pékin, puisque la société chinoise de transport maritime COSCO, propriétaire à 60 %, en sera l’unique opérateur.
En même temps, Chancay redore un peu le blason chinois (sauf défauts structurels éventuels du port ?) après le fiasco du barrage hydro-électrique de Coca Codo Sinclair, construit avec des fonds prêtés par la Chine et par la société chinoise que celle-ci a imposée dans l’Equateur voisine. Inauguré en 2016, l’ouvrage présentait déjà 17.499 fissures en 2022 et est gravement menacé par l’accumulation de sédiments pour cause de manque de vannes, sans compter un problème d’érosion régressive. Devant les menaces et les atteintes à la nature environnante, l’Equateur a fait appel aux Etats-Unis pour trouver des solutions, apprenait-on en septembre.
Le coût de la construction a pu être évalué à 3,5 milliards de dollars « généreusement » fournis par le géant chinois, mais au lieu de vendre l’ensemble au Pérou la Chine en conserve la propriété.
COSCO, qui a l’intention de faire de Chancay un centre logistique clef pour le commerce transpacifique, exploitera dans un premier temps deux porte-conteneurs de 14.000 EVP (équivalent vingt pieds) par semaine, reliant le port à Shanghai. Par la suite, le terminal sera agrandi pour accueillir de plus grands navires transportant jusqu’à 24.000 EVP. Le volume de marchandises prévu dépassera très largement le trafic actuel entre le Pérou et la Chine, ce qui laisse entendre que d’autres pays, notamment ceux du littoral pacifique de l’Amérique du Sud, s’en serviront largement – toujours au bénéfice potentiel de la Chine qui pourra faire parvenir plus facilement ses conteneurs vers la Chili, la Colombie ou l’Equateur.
Xi Jinping pose les pions de la Chine communiste en Amérique latine
La durée des voyages de fret sera pour sa part réduite de moitié entre l’Amérique du Sud et l’Asie, passant de 45 jours à 23 pour aller « de Chancay à Shanghaï », comme on dit dans le coin… Le Pérou rêve déjà en rimes à un avenir mondial
Même le Brésil, qui au grand dam de la Chine n’a pas voulu rejoindre la « BRI » (Belt and Road Initiative, nom international de la Nouvelle Route de la Soie), semble vouloir profiter de Chancay pour l’approvisionnement de ses régions les plus occidentales, fort éloignées des ports de l’Atlantique. Le ministère brésilien de la planification entend notamment œuvrer à l’intégration du réseau routier du continent, deux routes étant prévues vers le Pérou où Chancay doit jouer un rôle de poids dans la « connectivité » des réseaux routiers. Après tout, le Brésil a désormais pour principal partenaire économique la Chine communiste de Xi – tout comme le Pérou.
Du côté des Etats-Unis, on s’inquiète de voir un port en eau profonde aussi proche des US – à 7.240 km – pouvant être utilisé comme une base militaire ou de surveillance. Cela n’est pas inconcevable, rappelle Eurasian Times : on a vu le même phénomène au Sri Lanka avec le port de Hambantota construit par la Chine.
La Chine a décidément des visées sur l’Amérique du Sud, que ce soit à travers les infrasctructiores ou l’acquisition de richesses minières : ainsi elle vient d’acquérir trois exploitations de lithium dans autant de pays, pour mieux asseoir sa domination dans le domaine des batteries dont l’UE, notamment, se rend dépendante en imposant la fin des voitures thermiques.
Xi Jinping aime l’Amérique latine !
Xi Jinping soigne cette relation de plus en plus étroite qui est en train de basculer l’Amérique latine en zone d’influence chinoise, elle qui était si liée aux Etats-Unis : il s’était déjà rendu par cinq fois avant ce dernier sommet de l’APEC et y a multiplié les signatures d’accords de coopération, les pourparlers avec les chefs d’Etat et responsables nationaux, la visite de fermes locales, souligne avec satisfaction l’agence chinoise Xinhua. Il qualifie le Pérou de « voisine de la Chine » de l’autre côté du Pacifique, et insiste sur « l’amitié entre les peuples ». On a déjà entendu ce genre de choses ailleurs…
Les jumelages sont de plus en plus nombreux entre les villes chinoises et latino-américaines, tout comme les échanges culturels. Mais on cultive aussi l’intégration de l’économie numérique et la gestion de l’énergie : la Chine vient ainsi d’inaugurer un centre photovoltaïque démesuré au Brésil, en créant le Marangatu Solar Complex. Comme l’a dit le communiste Xi Jinping : « Le “rêve chinois” et le “rêve latino-américain” sont étroitement liés. Les deux parties doivent avoir le courage de poursuivre le rêve et de le réaliser conjointement. »
En attendant, bien des Latinos préfèrent tout de même l’« American Dream » et quittent tout pour rejoindre les Etats-Unis…
Quant à Xi, c’est peut-être un rêveur mais un rêveur prudent. Pour des raisons de sécurité, le président chinois inaugurera le port de Chancay à distance au moyen d’une liaison vidéo depuis l’ambassade de Chine à Lima. Point trop n’en faut.