Dimanche, le chef de la rébellion chiite au Yémen a affirmé dans un discours télévisé que son groupe ne céderait jamais devant « l’agression » de l’Arabie saoudite. L’opération militaire menée par la coalition arabe dirigée par Riyad pour stopper la progression des miliciens houthis vers le sud du pays en était alors rendue à son 25e jour. Le chef rebelle avait déjà rejeté la résolution du 14 avril du Conseil de sécurité de l’ONU, qui les avait sommés de se retirer des zones conquises et leur impose, de fait, plusieurs sanctions dont un embargo sur les armes. Pour lui, les États-Unis – et même Israël – sont derrière l’offensive saoudienne. Pas sûr que le jeu de ces derniers, en pleines négociations avec l’Iran jugé pourtant soutenir les Houthis, soit aussi clair…
Yémen : les Houthis au cœur d’une guerre régionaliste
C’est une guerre pour l’extension régionale du pouvoir – tous les protagonistes en sont bien persuadés, autant l’Iran que l’Arabie saoudite : si la rébellion houthiste est une raison pour Riyad, elle est un prétexte pour Téhéran. Alors que les deux parties soutiennent officiellement – ou non dans le cas de l’Iran – des camps opposés, chacune s’escrime à prouver sa bonne volonté : l’Iran, en soumettant aux Nations Unies une proposition de paix, prévoyant un cessez-le-feu suivi de négociations entre toutes les parties facilitées par des médiateurs extérieurs, ainsi que la « formation d’un gouvernement d’union nationale sans exclusive » – pour le gouvernement yéménite, « une manœuvre politique ». Mais aussi l’Arabie saoudite qui, en pleine offensive, a promis samedi de couvrir l’intégralité du coût de l’aide humanitaire internationale, soit 274 millions de dollars, pour se tenir « aux côtés du peuple yéménite frère »…
Le chaos est général, mais peut encore s’accentuer. Les frappes aériennes sont quotidiennes. Selon l’OMS, les récentes violences ont fait 767 morts et 2.906 blessés. Près de 335.000 personnes ont quitté leurs foyers au Yémen. 15,9 millions de personnes, au total, sont touchées par le conflit.
Les États-Unis et l’Arabie Saoudite ne sont plus des alliés indéfectibles ?
Les États-Unis jouent, eux, sur plusieurs tableaux, soucieux de mener indirectement leurs actions – c’est la raison pour laquelle, dès le début du conflit, ils n’ont pas fait de vieux os sur le sol yéménite. Ils ont été contraints d’apporter un soutien logistique à l’initiative saoudienne, un régime en place favorable ayant été renversé (l’un des idéologues d’Aqpa a été encore abattu par un drone américain, il y a quelques jours).
Mais cette offensive comporte des dégâts collatéraux, à savoir qu’en s’attaquant aux Houthis, elle s’est attaquées aux principaux adversaires d’Al-Qaïda (Aqpa au Yémen) sur le terrain…. et qu’elle laisse à la nébuleuse islamiste les mains un peu trop libres dans ce nouveau terrain de jeux qu’elle ne s’est pas privée d’envahir, en particulier l’est du Yémen. Si l’Arabie saoudite est censée lutter contre le djihadisme depuis plus d’une décennie, poussée par les Américains, il semble qu’il y ait, là, une tolérance de circonstance. Ce qui n’est pas du goût des États-Unis, qui préfèrent visiblement l’Iran aux filiales islamistes.
Les USA contre l’Iran…
La première impression n’est pourtant pas celle-là. L’attitude américaine reste ferme, face à l’Iran, pour ménager ses vieilles alliances. Hier, l’US Navy a envoyé un porte-avions et un croiseur lance-missiles dans les eaux territoriales du Yémen pour mener, officiellement, des opérations de « sécurité » maritime – tout le monde y voit la surveillance des livraisons d’armes iraniennes aux rebelles. Et vendredi, le chef d’état-major américain Martin Dempsey a déclaré que l’option militaire pour empêcher les Iraniens d’avoir la bombe nucléaire était intacte – ce qui a fait bondir le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei qui a immédiatement appelé les forces armées de son pays à renforcer leur préparation.
En France, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian a formulé ainsi cette ligne : « La France ne transigera jamais avec ceux qui veulent une fois encore détruire les institutions légitimes d’un État pour accroître leur influence et réaliser le rêve d’une puissance régionale hégémonique ».
… tout contre ?
Mais les desseins des États-Unis sont plus troubles. Car ils s’entêtent et poursuivent tout en même temps la politique de Lausanne – qu’ Ali Khamenei a qualifié de « duperie souriante », car les détails de l’accord n’ont pas été seulement évoqués… Les négociations pour rédiger le texte final d’ici la date butoir de fin juin doivent même commencer demain, mercredi, entre l’Iran et le groupe 5+1 (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne). Au grand dam d’Israël et même de l’Arabie saoudite.
Manifestement, il y a une volonté américaine de les mener à bien. Et, par-delà, d’imposer sans doute un nouveau rôle de Téhéran – au nom d’un consensus et d’une stabilité régionaux ? Passera-t-il par une normalisation des rapports entre l’Iran et l’Arabie saoudite, pourtant animés d’une méfiance séculaire ? Le Yémen sera peut-être le théâtre de nouveaux paradigmes géopolitiques. Le vice-ministre iranien des Affaires étrangères a prédit aujourd’hui la conclusion d’un cessez-le-feu dans les prochaines heures.