Le cardinal Danneels avoue qu’il faisait partie de la « Mafia », le groupe secret de Saint-Gall voué à la modernisation de l’Eglise

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Des cardinaux et des évêques : « trop pour les nommer tous » s’il faut en croire le cardinal belge Godfried Danneels. Ces membres d’un groupe secret de prélats « de haut rang », comme le disent ses biographes Jürgen Mettepenningen et Karim Schelkens n’ont pas tous été mis sous le feu des projecteurs alors que l’on apprend l’existence du « Groupe de Saint-Gall » où, entre 1995 et 2006, des réunions annuelles permettaient aux participants de préparer la modernisation de l’Eglise en tentant d’éviter l’élection du cardinal Ratzinger. Interrogé lors de la présentation de sa biographie, le cardinal Danneels a déclaré en riant que le nom « chic » du groupe était « Sankt-Gallen ». Entre soi, on l’appelait « la Mafia ».
 
Le groupe de Saint-Gall a-t-il œuvré pour obtenir l’élection du cardinal Bergoglio en 2013 ? Pas en tant que tel : d’après la biographie qui doit sortir, le groupe s’est dissous peu après l’élection du cardinal Ratzinger – et donc son échec – mais « l’élection de Bergoglio a été préparée à Saint-Gall, ça ne fait aucun doute. Et les grandes lignes de son programme sont celles dont Danneels et ses confrères discutaient depuis plus de dix ans », selon Karim Schelkens.
 

Le groupe de Sankt-Gallen : une « Mafia » pour le cardinal Danneels et ses intimes

 
Mettepenningen fait la même analyse : les membres de la « Mafia » recherchaient avant tout la « liberté de parole » qui leur permît d’exprimer leur désaccord avec les tendances du pontificat de Jean-Paul II et de celui qui prenait, à ses côtés, une place de plus en plus visible, le cardinal Ratzinger.
 
Le cardinal Bergoglio n’en faisait pas partie – c’était un groupe de prélats européens exclusivement – et, assurent les biographes, il ne s’agissait pas directement de le faire élire. C’était le « contenu » qui comptait : un contenu qu’il incarne bien en tant que pape François. Ainsi le cardinal Danneels voyait-il ces quelques jours passés chaque année à Saint-Gall comme des « vacances spirituelles » et a-t-il décrit l’élection de François comme une « résurrection personnelle ».
 
« Dans l’engagement de ce petit groupe qui voulait la réforme de l’Eglise, qui voulait la rendre plus proche du cœur des gens, on y est allé progressivement. Au début des années 2000, alors que la fin de Jean-Paul II était désormais prévisible, on a pensé de manière plus stratégique à ce qu’il allait advenir de cette Eglise après Jean-Paul II. Depuis la venue du cardinal Silvestrini dans ce groupe de Sankt-Gallen, celui-ci a pris un caractère plus tactique et plus stratégique. C’est ce qui explique la déception chez le cardinal Danneels et bien d’autres personnes lors de l’élection du pape Benoît  XVI – car l’Eglise ne se réformerait pas sous Benoît XVI. Cela ne commence vraiment à se faire que sous le pape François », affirme Mettepenningen. Ainsi, « le groupe est d’une certaine manière parvenu à ses fins. »
 

Une société secrète pour la modernisation de l’Eglise

 
La tactique et la stratégie ? Oui, il s’agit bien d’un groupe constitué pour peser sur la marche en avant de l’Eglise, avec un programme, des lignes directrices, des préférences affirmées pour ceux qui seraient capables de les mettre en œuvre. Voilà qui fonctionne comme une société secrète, une hiérarchie parallèle en quelque sorte : la franc-maçonnerie ne fait rien d’autre en tant qu’atelier discret où s’établissent les grandes lignes des « réformes » à mettre en œuvre.
 
On rappellera que l’Eglise dénonce dans la maçonnerie cette forme d’action secrète dont l’objectif est de peser sur le cours des choses de manière à contrer et à affaiblir l’enseignement de l’Eglise.
 
Dans le groupe de Sant-Gallen, ce sont autant le secret que les orientations prises qui posent problème puisqu’il s’agit de modifier la pastorale de l’Eglise ce qui ne peut se faire sans changement de doctrine. Godfried Danneels lui-même avait déclaré en 1980, alors que Ratzinger dénonçait au synode général des évêques le fléau du divorce et disait son pessimisme à propos de la déliquescence morale, qu’il était temps de trouver « un nouvel équilibre entre la loi et la miséricorde ».
 
C’est tout le sens des manœuvres actuelles de certains cardinaux emmenés par le cardinal Walter Kasper en vue du synode sur la famille, pour miner l’enseignement de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage.
 

Danneels, Kasper, Lehmann et quelques autres à Sankt-Gallen

 
Justement, le cardinal Kasper faisait partie de ce qu’ils appelaient la mafia. Et aussi Mgr Ivo Fürer, l’évêque suisse à l’origine des réunions, les cardinaux Ad van Luyn des Pays-Bas, Basil Hume d’Angleterre, Karl Lehmann, encore un Allemand, les Italiens Carlo Maria Martini et Achille Silvestrini, mais encore le Patriarche de Lisbonne, José da Cruz Policarpo, Cormac Murphy-O’Connor cardinal de Westminster, le cardinal ukrainien Lubomyr Husar, dont les noms ont été révélés en avant-première par le vaticaniste Edward Pentin, ainsi que des prélats de France et d’Autriche cités par les biographes de Danneels.
 
On ne sait si le livre donne la totalité des noms, et on se demande bien sûr pourquoi l’existence de la « Mafia » de Saint-Gall a été révélée, et pourquoi maintenant, à quelques jours du synode de la famille auquel Danneels, malgré son âge (82 ans) et malgré les accusations qui pèsent sur lui dans le cadre d’une enquête sur l’occultation d’une affaire de pédophilie ecclésiastique, a été personnellement convié par le pape.
 
Est-ce pour mettre le pape François en difficulté ? On peine à le croire, d’autant que Danneels évoque l’information d’une manière qu’on pourrait dire satisfaite et détendue. Est-ce pour redorer son blason personnel ? Les motifs personnels passent bien souvent au premier plan dans ce monde fait d’hommes. Nul ne sait en tout cas si la révélation a été décidée de concert même si on peut supposer que le cardinal belge n’aurait pas révélé les noms de certains de ses confrères habitués de Saint-Gall sans leur accord.
 

Anne Dolhein