Pologne : la catastrophe aérienne de Smolensk qui a coûté la vie à Lech Kaczyński requalifiée en attentat

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Sur le lieu de la catastrophe le 11 avril 2010

 
Une bombe thermobarique à l’origine de la catastrophe de Smolensk du 10 avril 2010 qui a coûté la vie au président polonais Lech Kaczyński ? C’est ce qui ressort des résultats des travaux de la nouvelle commission d’enquête sur cette tragédie constituée en mars 2016 par le gouvernement conservateur (PiS) de Beata Szydło. Une tragédie où la Pologne avait perdu non seulement son président et la première dame, mais aussi 88 autres personnalités qui l’accompagnaient pour commémorer le massacre de Katyn de 1940. Des députés et sénateurs de tous les principaux groupes politiques, des représentants du gouvernement, le dernier président polonais en exil, des représentants des associations des familles des victimes de la tuerie stalinienne de 1940, des représentants du clergé, mais aussi tout le haut commandement militaire polonais constitué – et c’était encore une nouveauté à l’époque – d’officiers qui n’avaient pas été formés à Moscou sous le régime communiste. La thèse de l’attentat présentée désormais comme une quasi-certitude par cette commission n’a pas vraiment surpris grand monde en Pologne, puisque la composition de l’actuelle commission dépendant du ministre de la Défense Antoni Macierewicz ressemble fort à celle de la commission d’enquête parlementaire créée dès 2010 par le PiS et dirigée par le même Macierewicz. On retrouvait aussi une grande partie des membres de ces deux commissions aux colloques scientifiques annuels consacrés à la catastrophe de Smolensk, où la thèse de l’attentat était déjà très présente.
 

L’éventualité d’un attentat à l’étude depuis le début, mais avec des moyens limités

 
Cela fait déjà plusieurs années que ces scientifiques et spécialistes de différents domaines pointent du doigt la probabilité d’explosions à bord du Tupolev gouvernemental affrété le 10 avril 2010 pour la délégation du président Lech Kaczyński. La différence aujourd’hui, ce sont essentiellement les moyens dont dispose la commission d’enquête et qui lui ont permis de conduire plusieurs expériences pour vérifier ses thèses, et aussi l’accès aux corps – ou ce qu’il en reste –, puisque depuis décembre dernier le parquet polonais procède à l’exhumation et à l’autopsie de tous les corps qui n’ont pas été incinérés, ce qui a permis au passage de porter à 8 (selon un bilan encore provisoire) le nombre de corps dont on sait avec certitude qu’ils ne se trouvaient pas dans la bonne tombe.
 
Car aussi étrange que cela puisse paraître, les médecins légistes polonais n’avaient pas participé aux autopsies réalisées en avril 2010 à Moscou. Les Russes avaient obtenu l’accord du chef du parquet militaire polonais, le général Parulski, pour réaliser seuls les autopsies. Ensuite, les corps des victimes ont été rapatriés dans des cercueils plombés avec interdiction formelle faite aux familles de les ouvrir. Une interdiction qui avait, selon le gouvernement de Donald Tusk de l’époque, été demandée par les Russes, même si ceux-ci nient aujourd’hui ce fait.
 

Moscou refuse toujours de rendre à la Pologne l’épave de l’avion et les boîtes noires 7 ans après la catastrophe de Smolensk

 
L’obstacle majeur que rencontrent les enquêteurs polonais de la commission gouvernementale comme du Parquet, qui n’a toujours pas clos son enquête, c’est d’ailleurs l’absence d’accès directe aux éléments de preuve, et ce depuis le début. « Nous n’avons pas vérifié la thèse d’un attentat », avouait le 16 avril 2012 dans une interview radiophonique le colonel Edmund Klich, accrédité par les gouvernements polonais et russe pour coordonner la coopération entre la Russie et la Pologne dans le cadre de l’enquête officielle et chef de la commission polonaise d’enquête sur les accidents aériens jusqu’en janvier 2012.
 
Un Edmund Klich qui a aussi reconnu : « Parmi les experts [polonais] avec qui j’ai été à Smolensk, il y en a qui ont examiné l’épave, mais en réalité c’était plus une inspection visuelle que des investigations. » Aujourd’hui encore, la Russie refuse de restituer à la Pologne ce qui reste de l’épave du Tu-154 gouvernemental polonais ainsi que les boîtes noires. Ils ne les restitueront que lorsqu’ils auront clos leur enquête, ce qu’ils ne feront que lorsque les Polonais auront définitivement clos la leur. Dans un enregistrement vidéo (publié cette semaine par la télévision publique) d’une réunion de la commission d’enquête mise en place par le gouvernement de Donald Tusk sous l’autorité du ministre de l’Intérieur de l’époque, Jerzy Miller, on entend ce dernier expliquer que la commission polonaise n’a pas le même statut que la commission russe, dans la mesure où ce sont les Russes qui enquêtent directement sur les causes de la catastrophe et qu’ils ont tout loisir pour accepter ou refuser les demandes des enquêteurs polonais. Tout ceci alors que le gouvernement de Donald Tusk, et son parti Plateforme civique (PO) aujourd’hui dans l’opposition, ont toujours juré leurs grands dieux que tout avait été fait dans la plus grande transparence avec la participation des enquêteurs polonais.
 

Les éléments qui soutiennent la thèse de l’attentat

 
Dans ces conditions, la commission d’enquête du PiS s’est appuyée sur des calculs, des simulations, l’analyse de la documentation photographique de la catastrophe, les informations contenues dans le rapport d’enquête russe, la forme de l’épave, la disposition des fragments et des milliers de petits débris éparpillés sur une grande surface, l’analyse de débris ramenés en cachette depuis le site de la catastrophe par les familles et des journalistes, etc. C’est ce qu’expliquait déjà dans un entretien en 2013 avec l’auteur de ces lignes le ministre de la Défense polonais Antoni Macierewicz qui présidait alors la commission d’enquête parlementaire. Pour les experts – qui ne sont pas tous polonais – de la commission d’enquête du ministre Macierewicz, il ne fait aucun doute que l’avion a commencé à se disloquer avant son impact avec le sol, ce que confirme la série de pannes enregistrées par les appareils de bord.
 
« Les pannes enregistrées au cours des dernières secondes du vol, la perte totale d’alimentation avant le premier contact avec la terre, la dispersion des débris de l’épave, le caractère spécifique des blessures corporelles, les études aérodynamiques, la force avec laquelle la porte s’est enfoncée dans le sol : ces facteurs et beaucoup d’autres ont poussé la commission à considérer comme très réaliste la possibilité d’une explosion », a fait savoir la commission lors de sa conférence organisée le 10 avril 2017, sept ans jour pour jour après la catastrophe. Cette thèse et les compétences scientifiques de la nouvelle commission d’enquête parlementaire sont toutefois contestées par l’opposition libérale, tandis qu’au sein de la société polonaise, plus divisée que jamais par cette triste affaire, chacun campe sur ses positions et ses certitudes.
 

Des décisions désastreuses de Donald Tusk dans un contexte d’hostilité déclarée vis-à-vis de Lech Kaczyński

 
Le péché originel, c’est la décision de Donald Tusk d’accepter que l’enquête se déroule en application de la convention de Chicago qui régit l’aviation civile alors que le Tu-154 polonais était un avion de l’armée de l’air piloté par des militaires cherchant à atterrir sur l’aéroport militaire de Smolensk-Nord. Dans ces conditions, affirment depuis le début les critiques de Donald Tusk, il aurait fallu que Varsovie invoque un accord datant de 1993 entre la Pologne et la Russie qui s’applique aux accidents impliquant des avions militaires et qui aurait permis aux enquêteurs polonais de participer aux investigations sur un pied d’égalité avec leurs homologues russes. Du coup, le président du Conseil européen risque aujourd’hui une inculpation en Pologne pour délit de « trahison diplomatique ».
 
Le parquet polonais a déjà modifié le chef d’inculpation vis-à-vis des trois contrôleurs aériens russes de Smolensk, les accusant désormais d’avoir délibérément conduit à une catastrophe aérienne (jusqu’ici le chef d’inculpation ne parlait pas d’un acte intentionnel), car outre les conclusions concernant la dislocation de l’avion en vol, l’enquête a montré que les pilotes polonais avaient été systématiquement induits en erreur sur leur position par les officiers russes. L’exposé de lundi fait penser à un guidage de l’avion destiné à provoquer une situation où l’attentat supposé pouvait justement passer pour un accident à l’atterrissage.
 
Par ailleurs, la cour d’appel de Varsovie a confirmé le 12 avril la condamnation du général Bielawny, le responsable du bureau de protection du gouvernement (BOR) chargé de la sécurité des officiels polonais à Smolensk, pour les très graves négligences de ses services dans la sécurisation de l’arrivée du président polonais et de sa délégation. Tout ceci se déroulait dans un contexte d’hostilité déclarée entre le premier ministre Donald Tusk et le président Lech Kaczyński, ce qui conforte la conviction d’une partie de la population qu’il y a pu y avoir attentat dans le cadre d’une sombre collaboration entre services russes et polonais, et ce d’autant plus que le deuxième frère jumeau, Jarosław Kaczyński, aurait dû se trouver à bord, et d’autant plus encore que la perte de l’état-major polonais a signifié le retour aux commandes de la vieille garde militaire polonaise formée à Moscou.
 

Olivier Bault