Avec environ 13 % des voix, l’AfD, alternativ für Deutschland, l’alternative pour l’Allemagne, fait une percée sans précédent aux élections législatives outre-Rhin. Ses concurrents crient au danger nazi. Mais que signifie vraiment cette progression que les sondages annonçaient ?
En quatre ans, un parti étiqueté d’extrême droite a franchi tous les échelons locaux pour entrer au Bundestag, et en force (près de cent sièges). C’est mieux que n’ont jamais réussi les Verts. Et c’est une première politique depuis la formation de la république fédérale en 1949. Comme cela coïncide avec un recul historique de la CDU, le parti d’Angela Merkel, qui perd huit pour cent des voix et 65 sièges, et de la SPD du socialiste Martin Schultz, qui perd cinq pour cent et 40 sièges, cela lance « un nouveau grand défi » au système en place, comme l’a relevé la chancelière.
La percée de l’AfD indique le ras-le-bol de l’Allemagne
L’AfD a fait campagne contre « l’islamisation grandissante de l’Allemagne », en accusant Angela Merkel de se faire « traître à la patrie » en favorisant l’afflux des migrants. Elle préconise aussi la sortie de l’Allemagne de l’euro, une politique familiale traditionnelle. Elle ne croit pas à l’origine humaine d’éventuelles variations du climat et demande l’annulation de l’accord de Paris. La percée qu’elle vient de faire est donc un signe excellent : le signe que l’oligarchie au pouvoir en Allemagne est sanctionnée par le vote populaire. L’une des deux têtes de la liste AfD, Alexander Gauland, a traduit ce sentiment : « Nous allons changer ce pays (…) nous allons regagner notre peuple ». Et l’autre tête de liste, Alice Weidel, affirme : « Nous sommes là pour rester ».
Les législatives impliquent une nouvelle coalition
Mais, une fois les lampions éteints et les déclarations sonores oubliées, qu’est-ce qui va changer dans les faits ? La coalition qui dirige l’Allemagne, d’abord. Le socialiste Martin Schultz, qui avait commencé sa campagne avec l’espoir de battre Angela Merkel, est si dépité de sa débâcle qu’il se refuse aujourd’hui à négocier pour reconduire leur attelage, « pour ne pas laisser l’AfD conduire l’opposition ». Même si Lothar de Maizières, l’un des hommes forts de la SPD, l’incite à revoir sa position, il est probable qu’Angela Merkel doive se tourner vers d’autres alliés pour former son gouvernement.
On parle de coalition « Jamaïque ». Qu’est-ce que c’est ?
La coalition Jamaïque, ainsi nommée à cause des couleurs correspondant aux partis qui la forment noir comme la CDU, vert comme les Grünen, et jaune comme les libéraux du FDP, dirige le Land du Schleswig-Holstein, mais rien ne dit qu’elle pourrait fonctionner à la tête de l’Etat fédéral, aucun consensus n’étant possible entre ces trois partis sur des questions importantes.
Après les élections le système se ressoude contre l’AfD
Si la CDU, le FDP et les Verts se retrouvent pour agonir l’AfD d’injures et dire qu’elle constitue « une honte pour l’Allemagne », le libéralisme du FDP le met totalement à part. Par exemple, il s’inquiète des transferts financiers vers l’Europe que paraît vouloir Angela Merkel. Le chef du FDP, Christian Lindner, qui se verrait bien ministre des finances de la coalition exigerait qu’on oublie « un budget de la zone euro ou une union bancaire ». Vis-à-vis des Verts qui insistent sur les énergies renouvelables et veulent maintenir des tarifs garantis d’achat, il préconise de supprimer toutes les subventions afin de permettre au marché de s’autoréguler.
On voit qu’il tient un peu le rôle que jouait l’AfD à sa fondation : elle fut à l’origine un parti de professeurs d’économie libéraux et opposés à l’euro.
Ce que signifie le « nazisme » de l’AfD ?
Que peut faire Angela Merkel ? Un gouvernement minoritaire avec soutien sans participation des uns ou des autres ? Une coalition type Jamaïque en faisant le grand écart ? Le patron de la CSU, Horst Seehofer, l’a averti que les conservateurs ont perdu plus d’un million de voix « sur leur flanc droit » au profit de l’AfD, l’invitant à les récupérer : elle devrait logiquement infléchir sa politique à droite pour les récupérer, mais rien n’indique qu’elle soit en situation de le faire. Il est infiniment probable, au contraire, que, manquant de marge de manœuvre en matière économique, et sur l’Europe, elle ne saura se maintenir au pouvoir qu’en dénonçant le « nazisme » de l’AfD, comme Mitterrand le fit en France avec le FN.
L’Allemagne voit le diable hitlérien partout
Il est frappant d’ailleurs de constater que le premier résultat de la percée de l’AfD est de diaboliser sa juste dénonciation de l’invasion. Par la levée de boucliers organisée autour de l’arrivée de l’AfD au Bundestag, Angela Merkel espère faire oublier sa responsabilité dans la catastrophe sociale qu’a provoquée « l’accueil des migrants ». Dès l’annonce de la percée de l’AfD, plusieurs centaines de manifestants ont hurlé dans les rues des grandes villes des slogans tels que « Nazis dehors », « Le racisme n’est pas une alternative », et « Tout Berlin hait les nazis ».
Or, l’AfD n’a rien à voir avec les partis de type néo-nazi comme le NPD, ni même avec les nationalistes des Republikaner, mouvement fondé par un ancien Waffen SS. Gauland vient de la CDU et les autres fondateurs, comme Meuthen, ont une préoccupation d’abord économique, sinon même économiste. Quant à l’autre tête de la liste AfD, Alice Weidel, cette séduisante trentenaire est une icône LGBT, en couple avec une sri-lankaise, et une économiste qui prône « une immigration qualifiée ». En outre, l’AfD, avide de respectabilité, hésite à établir des relations bilatérales avec le FN tant l’image de Marine Le Pen est sulfureuse en Allemagne.
L’AfD infiltrée par le mondialisme ?
En fait la percée de l’AfD menace d’avoir un double effet contradictoire et paradoxal. D’un côté, diaboliser le combat contre l’invasion, de l’autre, instiller dans cette lutte d’apparence nationale des composantes compatibles avec le mondialisme.
Voyons d’abord ce deuxième point. La guerre des chefs permanente à l’AfD tient au fait que ce parti économiste et libéral n’a dû son succès rapide qu’au fait que, sous la houlette de Frauke Petri, il a pris en marche le train de l’anti-immigrationnisme. Et pas n’importe quel anti-immigrationnisme : Alice Weidel, universitaire libérale admiratrice de Margaret Thatcher entrée à l’AfD en 2013 sur cette ligne, n’a choisi de durcir son propos (ce qui lui a valu d’être parachutée tête de liste) que par une opposition de LGBT à l’islam.
L’Allemagne partagée entre LGBT nazis et islam homophobe
Elle affirme : « L’immigration homophobe musulmane est un risque pour notre avenir ». Et elle explique : « J’ai vu se développer des zones de non-droit pour les femmes et c’est de pire en pire. Il y a en Allemagne des no-go areas où ma compagne et moi ne pouvons plus aller ». Ce que l’AfD défend donc par sa voix, ce sont les droits humains, humanistes, maçonniques, le libéralisme et l’immigration, pourvu qu’elle ne soit pas obscurantiste. D’autre part, comme l’ont fort bien expliqué Gauland et le coprésident de l’AfD au grand journal économique Frankfurter Allgemeine Zeitung, ce n’est pas la transformation de l’Europe en zone de libre-échange mondiale qui est la cause de la crise qu’elle connaît, mais le refus de certains pays de s’y plier. Comme si l’économisme était en Allemagne le moyen choisi par le système pour briser, ou au moins brider, l’élan populiste.
Les élections législatives inquiètent la communauté juive
En même temps cette soumission profonde au politiquement correct ne protège par l’AfD, et à travers elle la lutte contre l’invasion, de la diabolisation. Malgré l’origine de ses dirigeants, malgré son programme et son discours, l’AfD est assimilé aux nazis, tant en France qu’en Allemagne. L’hebdomadaire de référence Der Spiegel d’écrire : « Les fantômes du passé reviennent ». La communauté juive d’Allemagne s’inquiète, par la voix du conseil central des Juifs en Allemagne, Josef Schuster, de l’arrivée au Bundestag d’un « parti qui tolère dans ses rangs des idées d’extrême droite et qui dénigre les minorités dans notre pays ». Le message est clair : s’opposer à l’invasion est en soi nauséabond.
En Allemagne, être fier de son histoire signifie être nazi
Et les références historiques servent à renforcer l’ostracisme. Fait caractéristique qui mérite une brève analyse, toute la presse est tombée à bras raccourcis sur une déclaration qu’a faite Alexander Gauland début septembre en meeting. Après avoir affirmé qu’« Aucun autre peuple n’avait abordé ses erreurs du passé avec autant de clarté que les Allemands », et pris ses distances avec le nazisme qui n’a « rien à voir avec notre identité d’aujourd’hui », il a cependant estimé : « Si les Français sont à juste titre fiers de leur empereur et les Britanniques de Nelson et Churchill, nous avons le droit d’être fiers de ce que nos soldats ont accompli durant les deux guerres mondiales ».
L’éthique du mondialisme contre l’AfD
La gloire militaire est ce qu’elle est, et nulle guerre ne se fait sans crime . Mais il était clair que ce témoignage d’admiration pour le courage et l’efficacité de la Deutsches Heer et de la Wehrmacht n’était en rien un éloge du régime nazi. La réaction du Vert Volker Beck, selon qui l’armée allemande « s’est battue pour les assassinats d’Auschwitz » participe d’une vraie maladie mentale, ou plutôt d’un dénigrement de l’Allemagne en particulier et de la nation en général qui entre dans le plan du mondialisme. Beck a eu en effet cette phrase révélatrice : « Les seuls dont on peut être fiers ce sont les rares soldats résistants et les déserteurs ». Cela signifie que seul celui qui trahit son pays trouve grâce aux yeux de l’éthique mondialiste.
Pauline Mille