Les Etats-Unis envoient leurs forces spéciales aux Philippines contre l’EI, sous prétexte d’anti-terrorisme

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Le Capitaine Todd Thompson, des Forces Spéciales des États-Unis de Californie, parle avec le colonel Reynato Padoue des Rangers scouts des Philippines, en tant que Sgt maître.

 
Si, officiellement, elles n’ouvrent pas le feu pour attaquer, les forces spéciales américaines sont bien sur le terrain aux Philippines, en lutte contre l’Etat Islamique (EI), prodiguant conseils avisés et assurant des opérations militaires… Pourtant, depuis l’élection de son dernier président, Rodrigo Duterte, l’ancienne colonie britannique s’est mise à faire de l’œil à la Russie et la Chine. Les États-Unis passent outre, au nom du sacro-saint « anti-terrorisme ».
 
Une manœuvre, encore une fois, anti-constitutionnelle et apparemment effectuée en dépit du président, pour ne pas perdre la main en Asie du Sud-Est – quel motif constant que l’EI que l’on soutient ou que l’on combat selon l’endroit et l’heure…
 

Les Etats-Unis contre l’EI

 
En dépit des déclarations officielles antérieures, les forces spéciales américaines ont bien débarqué sur le sol philippin pour aider à combattre les rebelles islamistes, en particulier dans la ville de Marawi, sur l’île de Mindanao où vivent la majeure partie des musulmans de l’archipel : elles forment les troupes locales et travaillent à la collecte de renseignements.
 
Confronté aux images d’une caméra qui avait filmé des hommes en civil, apparemment non philippins, en train d’opérer des drones depuis un pick-up, le général Restituto Padilla a fini par avouer que c’étaient des militaires américains… « Il faut être en mesure de déterminer ce qui se passe (…), c’est le type d’aide qui est donnée ».
 
L’ambassade américaine à Manille a renchéri. Il s’agit officiellement d’une « assistance à la sécurité et à la formation » – des centaines d’armes ont également été fournies le 5 juin dernier. Mais le Pentagone n’a pas voulu donner de détails supplémentaires.
 

L’anti-terrorisme : le prétexte à tout

 
La guérilla a commencé en mai, quand les islamistes sont entrés dans Marawi en brandissant le drapeau noir de l’État Islamique, avec pour objectif de créer un califat dans ce pays majoritairement catholique. Depuis, Marawi est, selon la presse, une « ville fantôme » et l’île entière a été déclarée sous la loi martiale par le président – on approche des 200 morts, rebelles et civils.
 
Arrivé au pouvoir il y a un an, C’est à ses propres forces armées que Rodrigo Duterte avait demandé de liquider ces groupes criminels islamistes qui se succèdent sur l’île depuis les années 1990 – parmi eux le groupe djihadiste Abu Sayyaf mais aussi le groupe dirigé par Isnilon Totoni Hapilon (des combattants étrangers pour beaucoup) et le groupe philippin Maute.
 
La réaction américaine a été pour le moins rapide. Et surtout, comme le souligne un article du New American, elle est encore une nouvelle fois anti-constitutionnelle. Il n’y a eu, en effet, aucune déclaration de guerre faite par le Congrès autorisant l’intervention. Les fonctionnaires américains ont affirmé que le soutien aux forces philippines faisait partie d’un programme « anti-terrorisme ».
 

« Je n’étais pas au courant jusqu’à ce qu’ils arrivent » : le président des Philippines

 
C’est comme ça « depuis de nombreuses années » aux Philippines, s’est défendu un officiel. Aux Philippines, comme ailleurs, faisait remarquer le journaliste du New American… « La dernière fois que le Congrès a réellement déclaré la guerre, c’était pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis lors, le charlatanisme juridique a été utilisé pour développer une variété de pseudo-arguments censés autoriser le déploiement de troupes américaines pour combattre toutes sortes de guerres à l’étranger » (on l’a vu en Libye, en Syrie… où les États-Unis bombardent d’ailleurs les ennemis de l’EI qu’ils ont contribué à faire naître – la bête a des intérêts multiples).
 
Semblable problème se pose pour la Constitution philippine qui interdit théoriquement les troupes de combat étrangères opérant sur son sol. « Le partage de l’intelligence et de l’équipement est autorisé dans le cadre de l’Accord EDCA (Accord de coopération de défense renforcé) » avec les Etats-Unis, s’est défendu le secrétaire à la justice.
 
Pourtant, il semble que le président Rodrigo Duterte, qui ne s’est jamais privé de critiquer très vertement Barack Obama, n’ait pas été vraiment prévenu de l’intervention américaine… « Je n’étais pas au courant jusqu’à ce qu’ils arrivent » a-t-il déclaré le 11 juin. Un porte-parole de l’ambassade américaine a évoqué « une demande du gouvernement des Philippines », alors qu’en réalité c’est le ministère de la Défense qui aurait, seul, invité les Etats-Unis – l’armée philippine ayant toujours été pro-américaine.
 

Les beaux yeux de la sphère communiste et ex communiste

 
La raison est simple : depuis son élection le populiste Rodrigo Duterte tente de rompre les liens avec l’ancienne puissance colonisatrice, pour davantage se rapprocher de la Chine et de la Russie – deux pays avec qui il a eu d’amples contacts ces derniers mois.
 
Les Etats-Unis mettent le pied dans la porte et forcent leur soutien… tout bénéfique pour eux, tant dans le symbole (la pseudo lutte contre l’EI) que dans leur stratégie d’influence dans cette zone de l’Asie du Sud-Est qu’ils ne souhaitent pas laisser à la sphère communiste et ex-communiste.
 
Il semble que Rodrigo Duterte doive collaborer avec eux, quand bien même sa lutte plus que musclée contre les cartels de la drogue le voue aux gémonies internationales. D’ailleurs, leurs exercices militaires communs annuels, « Balikatan », ont encore eu lieu cette année, quoique réduits.
 

Clémentine Jallais