« Guerre, pétrole et radicalisme. Les chrétiens d’Orient pris en étau » : Marc Fromager

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Marc Fromager est le directeur de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED) qui officie dans plus de cent-cinquante pays pour dénoncer les persécutions que subissent les chrétiens et soutenir ces communautés bien souvent éprouvées. « Guerre, pétrole et radicalisme. Les chrétiens d’Orient pris en étau » est tout à la fois une dénonciation et une explication, salutaires et concises.
 
Dénonciation du silence.
 
Explication de cette toile complexe où s’entremêlent les fauteurs de troubles…
 
Qui a intérêt au chaos ? Et si, plus qu’une conséquence involontaire, l’élimination du christianisme était une des conditions de cette anarchie ?
 

« Évanescence » du christianisme

 
Sur cette terre des trois monothéismes, les chrétiens sont là… depuis l’origine. Mais ils ne forment plus que 4% de la population moyen-orientale qui compte quelque 397 millions d’habitants, majoritairement musulmans. Ils sont en tout et pour tout une douzaine de millions, dont plus ou moins deux millions de catholiques, la majorité étant constituée des coptes orthodoxes égyptiens.
 
Et ils n’en finissent pas de « s’effacer »… Marc Fromager parle d’« évanescence ».
 
Les chiffres sont là, criants. En 25 ans, ils ont diminué de 30% au Liban, de 66% en Iran. De 86 % à Bethléem et de 98 % à Jérusalem. De 83 % en Irak et de 99,6% en Turquie… Souvenir touristique récent : à Ephèse, lorsqu’on visite les vestiges de l’ancienne cité romaine, il faut arracher péniblement à un guide l’emplacement des antiques églises des premiers siècles ; et pour cause, elles sont sciemment laissés de côté.
 

Syrie : 40 % des chrétiens ont fui le pays où ils étaient le moins discriminés avant la guerre

 
La dhimmitude est réelle et oppressante : la tentation d’émigrer – quand on le peut – ou de se convertir est grande… Et les guerres n’en finissent pas, depuis soixante-dix ans, entre le conflit israélo-palestinien, les chocs pétroliers, la révolution iranienne, les guerres du Golfe, l’émergence de l’Etat Islamique, la guerre au Yémen…
 
A Mossoul, en Irak, il ne reste plus une seule des quarante-cinq églises d’antan : devant l’assaut de l’Etat Islamique, les 125.000 chrétiens de la plaine de Ninive ont renoncé à tout « pour ne pas abandonner le Christ » et tentent de revivre au Kurdistan. 40 % des chrétiens ont fui la Syrie, alors que ce pays était, autrefois, le pays du Moyen-Orient où ils étaient « le moins discriminés »…
 

Radicalisme : « Retour à la culture bédouine islamisée du VII e siècle »

 
Des raisons à ce bouleversement, il y a en a beaucoup, imbriquées de telle manière que l’issue semble délicate. La première est la radicalisation de l’islam sur laquelle s’attarde Marc Fromager, cet islam sunnite wahhabite, né vers 1745 et épanoui, financé par les pétrodollars… « Au début du XXe siècle, l’islam était moribond et la péninsule arabique insignifiante. La concomitance de la découverte des gisements locaux et de l’explosion mondiale des besoins en hydrocarbures a profondément changé la donne ».
 
Il parle aussi d’une réaction à la modernité, à l’américanisation… Est-ce que l’affadissement religieux complet de l’Occident n’a pas plutôt été une bonne aubaine… ? Celle qui fut la 101ème hérésie de la liste de Saint Jean Damascène, au VIIIe siècle, comme le rappelle l’auteur, s’appuie désormais, avec l’Etat Islamique, sur les éléments extrémistes qui la composent depuis l’origine, pour servir un nouveau djihad dirigé, certes, contre les chrétiens, ces « Croisés » de toujours, mais aussi contre tous ces musulmans qui ne se plient pas à cette interprétation native.
 
Peut-être, comme l’écrit Marc Fromager, que « la plupart des musulmans n’ont strictement rien à voir avec eux »… Le problème – il le dit aussi – est qu’aucune autorité musulmane ne les a encore jamais condamnés, « excommuniés », dirait-on dans un langage chrétien. C’est signifier qu’ils sont d’aussi bons lecteurs du Coran…
 

Guerre et pétrole – sunnites contre chiites

 
La lutte pour l’hégémonie régionale bat aussi son plein et s’est cristallisée sur l’anéantissement ou la sauvegarde de Bachar el-Assad – sunnites contre chiites. Marc Fromager rappelle que si dans le monde entier, les chiites ne représentent que 15 % des fidèles, au Moyen-Orient ils en concentrent 38 %, géo-stratégiquement regroupés, une menace pour les monarchies de la péninsule arabique.
 
C’est la raison pour laquelle l’Arabie saoudite s’est, au départ, fort bien accommodée de l’Etat Islamique, parce qu’il servait magistralement la cause du sunnisme contre le chiisme – contre l’Iran. Mais là encore, les cartes se brouillent, la progression territoriale de l’Etat Islamique – il contrôle le tiers de l’Irak et la moitié de la Syrie, soit un territoire de 300.000 km² – commence à inquiéter ses « fournisseurs » qui ne rêvent pas du même califat…
 
Et que dire des convoitises énergétiques ?! Les gisements récemment découverts, comme le Léviathan ou celui de Tamar compliquent la géopolitique régionale. Sans compter que pour acheminer leur lucrative denrée, les producteurs ont besoin de gazoducs : et là, des pays en guerre valent mieux que des pays réticents…
 

« Une apparente politique délibérée du chaos » (Marc Fromager)

 
Marc Fromager parachève le tableau en évoquant les responsabilités étrangères, essentiellement occidentales. L’exemple irakien est un des plus criants. Les Etats-Unis ont sciemment détruit l’un des pays régionaux les plus puissants, alors même qu’il l’avait soutenu contre l’Iran pendant toute la décennie des années 80… L’embargo anglo-américain, qui dura 12 ans (jusqu’en 2003) tua des centaines de milliers de personnes. Et des allégations de détention d’armes de destruction massive achevèrent la mise à sac.
 
Le même scénario a l’air de se jouer pour la Syrie. L’auteur dénonce « une apparente politique délibérée du chaos ». Diviser pour mieux régner… L’anarchie est toujours profitable – aux plus forts. Et pour cela toutes les alliances sont envisageables.
 
Les droits de l’homme ?! Foutaises diplomatiques. La politique américaine est en cela parfaitement suivie par la française. Qu’on repense un instant au gouvernement permettant à Kadhafi de planter ses tentes dans les jardins de l’hôtel Marigny ou accueillant Bachar el-Assad dans la tribune du 14 juillet 2008 ! Il faut avouer que ce n’étaient pas les acheteurs majeurs de nos armes et que d’autres détiennent une part significative de notre dette…
 

Les chrétiens d’Orient pris en étau

 
Alors, « dommage collatéral involontaire ou dommage prévisible et recherché » que cette évanescence des chrétiens ? Une chose est certaine, « ils sont menacés d’extinction dans leur propre patrie », selon les mots des patriarches du Moyen-Orient et « le bien de la population locale demeure le dernier souci des forces en présence », nous dit Marc Fromager. Le vecteur du « pluralisme » qu’ils représentaient est en passe de s’éteindre et de laisser la voie large aux musulmans qui se radicaliseront de fait.
 
A vue humaine, l’avenir est sombre. Il y a bien quelques voies de résolution, comme l’arrêt de l’achat du pétrole islamique, l’éclaircissement de la position turque ou encore l’arrêt de fournitures d’armes occidentales aux « rebelles » syriens… Mais les chiffres de la fuite progressent. Qui le veut, qui le maintient ?
 
La recomposition en cours du Moyen-Orient décidera sans doute, en partie, de leur sort. Pendant que l’Europe est confrontée, elle, à l’arrivée d’une autre catégorie de « réfugiés ». On entend en écho les mots de l’archevêque de Mossoul qui déclarait en août 2014 : « Notre souffrance est un prélude à ce que vous-mêmes, chrétiens européens et occidentaux, souffrirez dans un futur proche ».
 
Sursum corda.
 

Clémentine Jallais

 
Guerres, pétrole et radicalisme. Les Chrétiens d’Orient pris en étau, Marc Fromager, éditions Salvator ; 200 p.