L’Inde veut éliminer argent liquide et paiements par carte : de la société sans cash, c’est pour 2020

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L’Institut de prospective de l’Inde, NITI Aayog, vient d’annoncer par le biais de son directeur général, Amitabh Kant, que les distributeurs d’argent liquide, les caisses enregistreuses et même les cartes de paiement bancaire seraient obsolètes en Inde d’ici à 2020. C’est le point d’orgue de la campagne de démonétisation des anciens billets de roupies, mise en place par surprise au mois de novembre et qui a déjà fortement perturbé la vie économique dans le pays. La démonétisation est allée de pair avec l’introduction de nouvelles coupures, mais les déclarations d’Amitabh Kant permettent de constater l’objectif réel de l’opération : éliminer toute forme de paiement physique au profit des paiements digitaux connectés. L’Inde veut devenir une société sans cash.
 
NITI Aayog, l’Institut national pour la transformation de l’Inde, entité gouvernementale, fait depuis longtemps campagne pour la généralisation du paiement par téléphone portable. De la généralisation, on veut donc passer à un mode de paiement unique, moyennant force campagnes publiques et diffusion de tutoriels visant à inciter chaque habitant d’une des économies les plus performantes du monde à apprendre dès aujourd’hui à se passer de l’argent liquide, tous billets et pièces confondus.
 
« L’Inde est au cœur d’une gigantesque disruption à la fois dans le monde de la technologie financière et en termes d’innovation sociale, une innovation immense, et cette disruption permettra à l’Inde de sauter des étapes », a déclaré Amitabh Kant.
 

L’Inde veut éliminer l’argent liquide

 
La « disruption » est ce concept nouveau qui décrit la transformation révolutionnaire du marché et qui se manifeste – pour reprendre la définition d’un professeur de Harvard – par « accès massif et simple à des produits et services auparavant peu accessibles coûteux », à travers l’innovation ouverte au plus grand nombre. C’est tout le sens de la « révolution numérique » et de la « quatrième révolution industrielle » sur laquelle se penchent les grands de ce monde, comme ils l’ont fait déjà Davos. Ce n’est pas un hasard si François Fillon, présent à la CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas il y a quelques jours a fait figurer le mot dans son discours axé sur l’innovation technologique : le candidat à l’Élysée veut « que la France devienne une Smart Nation ». (L’intelligence, c’est fini.)
 
En Inde donc, on espère brûler les étapes en éliminant les phases les plus coûteuses, les plus polluantes, et aussi les moins susceptibles de surveillance, du développement classique. NITI Aayog réfléchit en tant qu’institution à la possibilité de faire un « leapfrog » (un « saut de grenouille » comme on dit en anglais ou du « saute-mouton ») en passant directement d’un stade de sous-développement au dernier cri technologique.
 
Amitabh Kant s’en est expliqué devant une grande réunion de la diaspora à la session Pravasi Bharatiya Divas 2017 : « D’ici à 2020, dans de deux ans et demi, j’estime qu’en Inde toutes les cartes de débit ou de crédit, tous les distributeurs de billets et toutes les caisses enregistreuses seront obsolètes. » « Elles seront toutes devenues obsolètes en Inde, et l’Inde fera ce grand saut parce que chaque Indien fera sa transaction en 30 secondes en n’utilisant que son pouce. » Il a souligné : « Ce que nous mettons aujourd’hui en avant d’une façon très importante c’est le paiement digital, cela constitue une disruption énorme avec différentes méthodes innovantes. »
 

Même les paiements par carte seraient éliminés

 
Ces méthodes, ce sont des applications nouvelles développées en Inde : BHIM, qui permet le paiement facilité par téléphone en lien direct avec le compte en banque des clients, et Aadhar qui fait reposer la sécurité du système sur la reconnaissance de l’empreinte digitale. Amitabh Kant a souligné que l’Inde est le seul pays au monde qui compte 1 milliard de téléphones mais aussi 1 milliard de données biométriques. Il s’agit donc de mettre en place un mode de paiement totalement personnalisé, où les échanges ne se font plus que par la reconnaissance de l’individu qui paiera, grâce à son téléphone, en totale transparence, chacun de ses achats étant susceptible d’être tracé dans ses moindres détails.
 
(Mais que feront les mendiants ? Et le gamin à qui l’on veut glisser une pièce pour aller s’acheter un bonbon ?)
 
Le NITI Aayog ne cache d’ailleurs pas l’objectif de cette démonétisation complète. A l’heure actuelle, seuls deux à 2,5 % des habitants de l’Inde paient l’impôt, dans le cadre d’une économie pour l’essentiel « non formelle » et reposant très largement sur l’argent comptant.
 
« Il est impossible que l’Inde devienne une économie à 10.000 milliards dans ce cadre… Une économie à 2.000 milliards est une économie formelle et une autre économie à 1.000 milliards de dollars est une économie non formelle au noir. L’Inde ne peut croître ainsi. Alors, il faut convertir l’économie non formelle en économie formelle, voilà sur quoi porte l’effort », a déclaré Amitabh – nous conservons la tonalité peu claire de son expression anglaise dans notre traduction.
 

Au nom de la « disruption », la société sans cash

 
Il a ajouté que les Indiens des zones rurales ont une capacité à faire du « saute-mouton » bien meilleure et bien plus rapide que celle des gens lettrés vivant dans les zones urbaines, avec notamment l’importante population jeune qui doivent avoir « la faim, l’ambition et la passion qui permettront de pousser l’Inde à innover, à créer des start-up et à installer une disruption telle qu’on n’en a jamais vue. »
 
Alors que l’Inde, bien seule dans le monde et, comme il l’a souligné, largement grâce à son avantage démographique, puisque la population rajeunit encore, bénéficie aujourd’hui d’une croissance de quelque 7,6 % par an, elle devrait continuer d’atteindre des taux de 9 à 10 % pendant au moins trois décennies.
 
Le changement majeur que constituerait la mise en place d’une société sans argent liquide serait ainsi mis en place dans une des économies les plus enviables, permettant de le montrer en exemple et de l’imposer peu à peu dans le monde entier, universellement soumis ainsi à Big Brother.
 
La perspective n’est pas réjouissante puisque cela aboutirait à un contrôle possible – certain – de toute consommation, signant la fin potentielle de la liberté économique que le pouvoir économique se trouverait en mesure de contrôler à sa guise.
 

Anne Dolhein

 
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