Au Japon, les femmes au travail se voient imposer un calendrier pour leur grossesse

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Il a fallu le courage du mari d’une Japonaise travaillant dans une garderie pour jeunes enfants pour révéler un scandale que sont venues confirmer des dizaines d’autres femmes qui jusque-là, n’osaient rien dire. Pour des raisons d’organisation du travail, elles se voient imposer par leurs employeurs un calendrier pour fixer les dates où elles pourraient éventuellement prendre un congé de grossesse, tandis que celle qui tombent enceintes à un moment inopportun sont harcelées sur leur lieu de travail.
 
Le premier cas révélé au Japon est donc celui d’une puéricultrice qui a subi des brimades et critiques de la part de son directeur parce que ce n’était pas « son tour » d’être enceinte. Cela faisait huit mois qu’elle était mariée, et lorsqu’elle s’est aperçue qu’elle attendait un enfant, sa première réaction avait été de panique. Elle savait fort bien que le directeur de sa garderie était celui qui fixait le tour de rôle et qu’aux termes d’une règle non écrite il n’était pas question de prendre la place d’une employée dans un grade plus élevé.
 
Le couple s’est même déplacé pour aller présenter ses excuses au directeur, qui a fait mine de les accepter mais a multiplié par la suite – selon le mari – les remarques désobligeantes, faisant comprendre à la jeune femme qu’elle était égoïste et qu’elle compliquait les conditions de travail de ses collègues.
 

Un calendrier de la grossesse qui se compte en années

 
Telle est la pression sociale au Japon que le mari de la jeune femme, dans sa lettre au quotidien Mainichi Shimbun, reconnaissait que lui et son épouse « avait eu tort de ne pas bien planifier les choses ». Mais il a tout de même osé demander qui sont ceux qui bénéficient de cette pratique qui consiste à dicter aux familles le moment où elles auront des enfants.
 
Sa lettre a déclenché une avalanche de commentaires compatissants, mais aussi de « confessions » d’autres employées contraintes de respecter le même type de règles. « Il ne peut pas y avoir d’avenir pour une société qui ne sait pas simplement se réjouir lors de l’apparition d’une nouvelle vie », écrivait un internaute. Mais les journaux japonais ont également accompagné la nouvelle des considérations sur la pénurie de solutions de garde pour les jeunes enfants – 47.000 tout-petits attendent une place – et de la difficulté à recruter des employés dans ce secteur où les salaires sont bas et les horaires extensibles. C’est l’expérience qui seule permet d’obtenir un salaire un peu plus élevé. Selon Yuichi Murayama, directeur du Centre de recherche sur les services de garde des enfants trouve même une excuse : « Le fait de fixer un calendrier pour les employées afin d’échelonner le moment où elles peuvent avoir des enfants pourrait être interprété comme une manière pour elle d’obtenir de l’expérience sur une longue durée sans avoir à quitter leur emploi. »
 
Il ne semble pas que ces tours de rôle soient l’exception. La journaliste Toko Shirakawa, spécialisée dans les affaires relatives à la vie de famille, au mariage, et au déclin démographique japonais, a confirmé que la pratique de la planification des grossesses existe bien et ne se limite pas aux garderies : elle serait répandue dans d’autres secteurs où les femmes forment la majorité du personnel. La culture du « matahara » – « le harcèlement des mères » – n’est pas un fantasme et elle aboutit selon des experts à décourager les femmes d’avoir des enfants, quand elle ne fixe pas le moment exact où elles s’autoriseront une grossesse.
 

Les femmes au travail sont des employées d’abord

 
Toko Shirakawa évoque quant à elle le cas d’une femme de 26 ans d’une banlieue de Tokyo travaillant dans une entreprise du secteur cosmétique. Dans son cas, c’est une surveillante féminine qui lui a indiqué qu’elle serait autorisée à avoir un enfant lorsqu’elle aurait 35 ans. L’ensemble des 23 femmes en âge fertile travaillant dans cette société ont reçu, selon la journaliste, un planning envoyé par courriel pour indiquer à quel moment il leur serait possible d’avoir un enfant et d’obtenir un congé d’éducation. Le calendrier s’accompagnait d’une mise en garde : « Le travail prend du retard si quatre personnes ou davantage prennent des congés en même temps. Tout comportement égoïste sera puni. »
 
La jeune femme en question, mariée depuis plus d’un an, rencontre déjà des difficultés à tomber enceinte en raison de problèmes de fertilité. « Comment vont-ils assumer leurs responsabilités si je remets mes tentatives de tomber enceinte à plus tard et que je perds toute chance d’avoir des enfants ? », interroge-t-elle.
 
A cette situation s’ajoute une sorte d’échelonnement volontaire de grossesse de la part d’employées qui évitent de tomber enceintes lorsque d’autres collègues sont déjà en congé maternité ou congé d’éducation, « parce qu’elles ne veulent pas compliquer la vie de leurs autres collègues », observe Toko Shirakawa. Elle souligne que de toute façon, les sociétés japonaises ne prennent pas en compte la possibilité que leurs employées puissent tomber enceintes dans leurs plans de gestion prévisionnelle.
 

Le Japon n’aime plus les enfants : bienvenue aux robots !

 
Au bout du compte, l’idée que le choix de tomber enceinte soit le signe d’un égoïsme insupportable s’est installée dans la culture collective au Japon, et ce d’autant plus facilement que les grossesses y sont de plus en plus rares. Le taux de natalité y a atteint un taux historiquement bas en 2017, baissant pour la sixième année consécutive : cette année-là, pour la première fois, on a compté moins d’un million de naissances. Avec 1,4 enfant par femme, le Japon est bien en-deçà du taux de renouvellement des générations de 2,1 enfants par femme dans les pays développés, tandis que depuis 2008, les décès y dépassent les naissances : en 2017, le pays a perdu quelque 400.000 habitants.
 
Cette catastrophe humaine, ce suicide programmé ne semble pas affoler les autorités politiques outre mesure. Hormis la mise en place de garderies gratuites pour les familles aux revenus les plus modestes, il n’y a aucune politique familiale. RFI signalait en décembre dernier que le Premier ministre Shinzo Abe ne considère pas cette dénatalité et ce rétrécissement de la population comme un mal. Il « compte sur la robotique et sur l’intelligence artificielle pour renforcer la productivité du pays », soulignait Radio France Internationale. Terrifiante haine de l’être humain…
 

Jeanne Smits