Kodokushi : au Japon, de plus en plus de vieillards meurent seuls et abandonnés

Kodokushi Japon vieillards meurent seuls abandonnés
 
Le Kodokushi est un concept nouveau en japonais – inimaginable au sein d’une société normale. Littéralement, le terme désigne la « mort dans la solitude » : il a été forgé pour décrire un véritable phénomène de société qui s’étend. Il s’agit de la fin de vie de ces vieillards sans famille qui meurent seuls et abandonnés sans que personne ne s’en aperçoive. Selon les derniers chiffres livrés par des experts, leur nombre atteindrait déjà quelque 30.000 par an. Sous nos longitudes, ce type de faits divers fait encore la une des médias. Au Japon, personne n’en parle : « Kodokushi » est un mot que l’on chuchote honteusement et un phénomène dont la plupart ignorent l’emprise.
 

30.000 Kodokushi par an au Japon

 
C’est la conséquence directe du vieillissement de la population japonaise. Si la longévité exceptionnelle des Japonais joue un rôle – le Japon compte aujourd’hui le nombre de centenaires le plus élevé au monde – c’est avant tout la proportion de personnes âgées, qui atteint elle aussi un record mondial, qui explique le Kodokushi. Elle est directement liée à la très faible natalité japonaise.
 
Le vieillissement rapide s’accompagne, très logiquement, de la destruction des structures familiales. Le modèle qui reposait sur la cohabitation de trois générations s’effondre et pour Yasuyuki Fufukawa, qui enseigne la pyschologie à l’université Waseda de Tokyo, la population du quatrième âge ne peut désormais plus compter sur les soins donnés en famille. Mais dans la seule capitale japonaise, 420.000 personnes âgées sont dans l’attente d’une place dans une maison de soins.
 

Les vieillards meurent seuls abandonnés sans famille et sans amis

 
Elles n’ont ni famille, ni enfants, ni frères ni sœurs ni même amis pour s’occuper d’elles ; personne pour remarquer seulement si elles sont vivantes ou mortes. Ces vieillards meurent seuls et dans la pauvreté ; on les retrouve, parfois des mois après leur décès ; ils sont enterrés sans personne dans des tombes qui ne portent même pas leur nom.
 
Slate Magazine publie le témoignage d’un ancien trader, Toru Koremura, qui a décidé de prendre le problème à bras-le-corps, sans autre volonté que de donner à ces morts une sépulture digne. A 27 ans, il gagnait déjà 16.000 dollars par mois. Il s’abrutissait dans la fête et menait grand train lorsque sa grand-mère est morte, et qu’il s’est aperçu du peu de cas qu’il avait fait de cette vieille dame qui par ses efforts en des temps difficiles pour le Japon avait tant fait pour lui et pour les autres jeunes de sa génération.
 

Le devoir d’honorer les vieillards, une loi naturelle oubliée au Japon aux prises avec l’hiver démographique

 
La réflexion a abouti à une prise de conscience : sa vie trop aisée, il la devait aux personnes de la trempe de sa grand-mère et à leurs sacrifices. Mais Toru Koremura continuait de boire et de faire la fête. C’est lorsque sa petite amie du moment lui a raconté la mort seule – le Kodokushi – de sa propre grand-mère qu’il a décidé de changer de vie. Il a créé une société de « récupération » des victimes du Kodokushi. Pour « rendre quelque chose à la génération de sa grand-mère ».
 
Sa société reçoit jusqu’à dix appels par jour pendant les mois d’été. Le travail est dur, souvent révulsant. Il faut s’occuper des corps et nettoyer derrière eux. Les vieillards meurent seuls parce qu’ils s’arrêtent de manger ou ne sont plus capables de se nourrir eux-mêmes, certains meurent de froid en hiver faute de moyens pour se chauffer et refusent de demander de l’aide, d’autres de maladie restée sans soins. En vidant les appartements de ces morts abandonnés, Koremura a le sentiment de ne pas seulement apporter une aide physique ou matérielle, notamment aux familles de ces laissés pour compte : « Cela est d’ordre spirituel aussi. Lorsque l’appartement est enfin vidé, c’est comme si un poids avait disparu, comme si la personne défunte avait pu partir avec toutes ses possessions. »
 
Sur le plan de la loi naturelle, cela correspond à l’injonction qui s’adresse à tout homme : « Honore ton père et ta mère. »
 
Pour toutes les sociétés qui ont fait du refus de la vie une manière de vivre, toutes celles où la culture de mort continue d’avancer inexorablement, c’est aussi un avertissement.
 

Anne Dolhein