Peter Tait, ancien directeur de l’école primaire Sherborne Preparatory School, vient de publier une tribune dans le Telegraph de Londres où il dénonce le rôle des écoles dans un contexte de plus en plus compétitif dans l’augmentation de l’incidence des problèmes de santé mentale chez les jeunes. Selon l’association caritative Young Minds, souligne l’ancien professeur, le nombre d’hospitalisations de jeunes qui s’auto-mutilent a progressé de 68 % entre 2001 et 2011, et une autre enquête montre que 46 % des filles de 11 à 21 ans affirment avoir dû obtenir une aide relative à des problèmes de santé mentale. Les causes sont multiples, reconnaît Peter Tait, mais le rôle de l’école est selon lui évident.
« Génération vulnérable » : les jeunes, les adolescents doutent d’eux-mêmes et tombent dans la dépression alors même que sur le plan matériel, leur niveau de vie est nettement meilleur que celui des jeunes il y a trente ans, observe Peter Tait. « Coût de l’éducation tertiaire », « incertitudes quant à leur emploi futur », « effets pernicieux des médias sociaux » qui rendent la « normalité » ennuyeuse en exposant chaque jeune aux critiques, voire au harcèlement de ces pairs ?
Peter Tait, ancien directeur d’école primaire, dénonce les problèmes mentaux croissants des jeunes
Toutes ces choses ont leur poids, mais selon Peter Tait il est permis d’avancer que « la focalisation sur le QI plutôt que sur le QE (quotient émotionnel) et le bien-être, ainsi que l’effondrement de la famille, sont des éléments qui ont porté évidemment atteint la confiance des enfants et qui les ont laissés dépourvus des ressources intérieures pour faire face ».
A lire cela, on comprend que ce n’est pas tant le problème qui est causé ou aggravé par l’école, que son aggravation par manque de ressources et de soutien que l’école pourrait apporter.
Et c’est intéressant : la « destruction de la famille » devrait-elle donc être compensée par l’école ? C’est une socialisation de la solution, sinon du problème… Une manière de dire que si l’école peut et doit viser l’excellence académique, elle est aussi chargée de développée des vertus et la « résilience » humaines.
Au Royaume-Uni, les écoles n’arrivent pas à juguler les problèmes de santé mentale des jeunes
Certes Peter Tait parle de l’ambiance de concours et du stress causé par les examens d’entrée dans les meilleurs établissements – souvent très coûteux – du Royaume-Uni, un problème que la France connaît aussi quoique dans une moindre mesure. Il encourage les écoles à reconnaître que « ce ne sont pas la compétition et le travail assidu qui provoquent des problèmes de stress et de santé mentale parmi leurs élèves, mais plutôt la peur et l’anxiété ». Et il accuse celles qui ont joué, inconsciemment peut-être, sur la peur de l’échec pour améliorer les performances de leurs élèves.
Il plaide pour davantage de moyens matériels et aussi pour une meilleure formation au moins de quelques enseignants dans chaque établissement pour aider les jeunes à vivre avec la pression d’un monde virtuel « largement dérégulé et souvent hostile » : aux professeurs, donc, de se former aux affres des réseaux sociaux.
Changer la « culture scolaire » pour que les jeunes y trouvent les moyens de la confiance en soi… On comprend ce que l’ancien chef d’établissement veut dire et, face au désastre de la souffrance des jeunes, sa préoccupation est salutaire.
Mais il n’est pas sûr qu’il prenne le problème par le bon bout. L’insistance sur l’intelligence affective, le « quotient émotionnel », plutôt que sur l’instruction et la transmission des connaissances est une vieille lune des nouveaux pédagogues. Elle contribue au relativisme et au subjectivisme ambiants ; elle repose sur l’idée que l’école est chargée de l’éducation à une nouvelle citoyenneté.
Il existe évidemment des écoles – au Royaume-Uni comme en France – dont les préoccupations élitistes les conduisent à mettre une pression indue sur des jeunes mal armés pour cela. Et sur les plus fragiles, cela fait des dégâts.
Des problèmes mentaux causés par les écoles ?
Mais face à une explosion du mal-être des jeunes, et surtout des jeunes filles comme on le constate au Royaume-Uni, il est plutôt temps de se demander si ces jeunes ne sont pas victimes des pédagogies globales qui sévissent dans l’ensemble de l’Occident et qui s’étendent ailleurs : des pédagogies qui privilégient l’image par rapport à la parole, l’émotion par rapport à la raison, l’analogie par rapport à l’analyse.
Elisabeth Nuyts, dans L’école des illusionnistes et ses autres travaux décrit le mal-être des jeunes qui ne savent plus prendre de recul face à la réalité, qui ne disposent plus de cette petite voix intérieure qui sert de support à leur pensée, et qui sont plus nombreux qu’on ne l’imaginerait à être privés de pensée langagière, privés même de la conscience de leur individualité. Prisonniers de leur ressenti et de leurs émotions, ils sont des victimes toutes désignées tant de la manipulation médiatique que de la morosité ambiante.
Ce n’est pas en appuyant sur cet aspect émotionnel que la situation changera.
En ce sens – mais Peter Tait ne l’a pas dit – ce sont en effet souvent les écoles, et leur manière de ne pas enseigner, de ne pas former les intelligences, qui sont responsables de ce qu’il faut bien appeler un désastre social.