Le retour des migrants – et de la Jungle ?– à Calais

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Il fallait s’y attendre. Dispersés à travers la France après le démantèlement spectaculaire de la « Jungle » de Calais, les expulsés des camps de migrants sont en train de revenir petit à petit mais avec une belle régularité. Le quotidien britannique The Independent, qui a mené l’enquête, affirme même qu’il y a au moins six camps sauvages nouvellement installés dans les zones rurales du Nord-Pas de Calais, abritant chacun des dizaines de réfugiés, et attirant chaque semaine davantage de candidats au départ vers le Royaume-Uni. A peine deux mois après la fermeture de la Jungle, qualifiée de « succès » par les autorités françaises, le retour des migrants révèle à quel point il est difficile de contrôler leurs mouvements et de les envoyer là où ils ne souhaitent pas aller.
 
Tous ces clandestins candidats au droit d’asile n’ont qu’un rêve en tête : rejoindre les côtes anglaises et ce Royaume-Uni où ils estiment avoir de meilleures chances de refaire leur vie, preuve qu’ils ne cherchent pas tant un refuge qu’un avenir. Déçus par les centres d’accueil vers lesquels ils ont été dispersés en car à travers la France, ils se risquent les uns après les autres au voyage de retour vers le nord de la France. Selon The Independent, il s’agit souvent d’« enfants » dont la demande d’asile a été rejetée par le Royaume-Uni au cours de ce mois de décembre.
 

Le retour des migrants de Calais mécontents de leurs centres d’accueil

 
Il ne faut pas perdre de vue que les « mineurs » qui peuvent prétendre à des procédures accélérées ne sont pas ce qu’on appelle communément des enfants  : la presse utilise ce terme pour tous ceux qui prétendent avoir moins de 18 ans, soit beaucoup de grands gaillards dont une proportion non négligeable est d’une minorité discutable. N’allez pas imaginer que des enfants de cinq ou six ans quittent tel ou tel centre d’accueil parce qu’ils sont mécontents des conditions de vie qu’ils y trouvent pour aller camper dans la boue aux abords du port de Calais…
 
Le journal britannique évoque le cas de Norrent-Fontes, un village qui se situe à quelque 30 km de l’embarcadère, où s’est implanté un camp dit « secret » qui abrite tout de même quelque 130 réfugiés. Le camp « secret » existe depuis 2008 mais c’est son expansion récente qui intéresse les journalistes. Selon Julien Muller, militant de l’association Terre d’Errance, plusieurs douzaines de personnes sont arrivées au cours de la semaine qui a précédé son entretien avec The Independent. « Ce sont des gens qui sont clairement mineurs et qui à l’évidence ont de la famille au Royaume-Uni, mais on leur a dit que le pays était désormais fermé. Maintenant ils reviennent pour essayer d’y aller par leurs propres moyens. Les adultes reviennent également en plus grand nombre depuis les centres d’accueil. Certains d’entre eux voulaient bien rester en France, mais cela fait deux mois qu’ils attendent, et on ne leur a même pas donné la possibilité de demander l’asile. Ils ont renoncé. »
 

Par dizaines, les réfugiés œuvrent à reconstituer la Jungle de Calais

 
Les camps des abords de Calais mobilisent les activistes des droits des réfugiés qui multiplient les descriptions inquiétantes de leurs conditions de vie. Ce sont des « mini-Jungle », explique ainsi Sue Clayton, professeur à l’université Goldsmith. Les réfugiés craignent d’accepter de l’aide de peur d’attirer l’attention, affirme-t-elle. Est-il vraiment possible que les autorités ne soient pas au courant ? Difficile d’y croire, même si le camp s’est établi dans un petit bois au bout d’un étroit chemin isolé. Car il se trouve à moins de 2 km d’une halte pour camions, laissant croire qu’il puisse y avoir là une forme de trafic pour mener les réfugiés vers leur destination de rêve.
 
Les nouvelles circulent bien entre les migrants et l’attrait de Calais reste entier pour ces réfugiés qui finissent par considérer la zone comme leur « maison », assure l’avocate des migrants, mais cet attachement est tout sauf sentimental.
 
The Independent évoque le cas de Shahajhan Khan, 15 ans revendiqués. Ce réfugié du Pakistan vit dans un centre pour mineurs à Annemasse à la frontière suisse
en compagnie des 19 autres jeunes : le jeune homme a annoncé aux journalistes que lui et ses amis ont bien intention de quitter les lieux pour retourner à Calais, vu que leur demande officielle d’asile au Royaume-Uni a été rejetée. « Nous vivons comme des ânes » a-t-il raconté, brandissant son portable où l’on peut voir le film de leur dortoir aux allures d’« entrepôt » et des photos de repas de pain et de yaourt. « Nous vivons dans une usine et nous mangeons du pain périmé. Nous avons attendu dans ces usines sans manger convenablement et maintenant ils disent que nous ne pouvons pas partir. Ça veut dire qu’il nous faut retourner à Calais », explique le jeune.
 

Les migrants rejoignent Calais pour partir vers le Royaume-Uni

 
« S’ils ne voulaient pas nous prendre ils devaient nous le dire clairement. Nous avons quitté la Jungle à la condition de pouvoir aller au Royaume-Uni. Nous avons accepté ces conditions de vie seulement pour pouvoir aller au Royaume-Uni, et voilà qu’ils nous disent qu’il faut renoncer. J’espère que vous verrez bientôt une nouvelle Jungle », ajoute le jeune homme.
 
Du côté de la préfecture du Nord-Pas-de-Calais, on nie en bloc. Il n’y a pas six camps informels. Il n’y a pas d’augmentation du nombre de réfugiés. Les trois petits camps existants sont régulièrement surveillés et des renforts de police permettent de contrôler la situation. Et si l’on découvre bien 200 passagers clandestins par semaine dans des poids-lourds contrôlés lors de la traversée vers le Royaume-Uni, tous ceux qui n’ont pas de permis de résidence en France sont alors immédiatement placés en détention, affirme le porte-parole de l’administration. 200 nouvelles places de détention par semaine, rien qu’à Calais ? On se demande bien où l’administration les trouve.
 
Les migrants ont en tout cas compris qu’ils doivent pour l’heure être aussi discrets que possible et que, politiquement, l’administration et les autorités politiques ont tout intérêt à ne rien dire, pour donner l’image d’une situation sous contrôle. Mais comme l’avoue un bénévole de longue date de Calais Migrant Solidarity, les retours de migrants ne peuvent que se poursuivre : « Leur plan a bien consisté à éviter de se faire contrôler par la police pour le moment. Ils se tiendront cois, bien cachés pendant quelques mois, et puis la situation recommencera à changer, parce qu’il y aura de plus en plus de gens à venir. »
 
Faut-il comprendre qu’à partir de là, l’installation d’une nouvelle Jungle de grande envergure mettra les autorités devant le fait accompli, avec la difficulté recommencer une nouvelle opération de nettoyage ? Mais peut-être alors les élections seront-elles passées…
 

Anne Dolhein