Le Pen, diable des flocons de neige

 

On a vu hier comment Le Pen, surnommé aujourd’hui le « diable de la République » par une grande part de la presse, a fait l’objet, quarante ans durant, d’un enseignement de la haine, par un système cohérent, auquel école, syndicats, médias, cinéma, théâtre, sports, associations diverses, ont participé, sous les auspices des loges et des églises. Cette haine s’est exprimée dans les apéros au champagne qui ont fêté sa mort dans plusieurs grandes villes, comme lors du second tour de la présidentielle 2002. Elle avait été bénie de conserve par Mitterrand et Chirac. Cela, c’est le premier niveau de l’analyse, politique. En creusant plus profond, on tombe sur le niveau humain et religieux. Le type d’homme qu’incarnait Le Pen, fruit d’une éducation romaine et catholique, était forcément un objet d’aversion pour la génération des « flocons de neige », comme ces jeunes sont appelés en pays anglo-saxon, pour qui tout est offense et blessure, parce qu’on leur a donné à croire que nul mal n’existe en dehors des injustices de la société, et surtout pas en eux-mêmes. Le Pen était un enfant du vieux monde, sur quoi pèse le péché originel, ils sont le fruit de l’idéologie arc-en-ciel, nouveau bourgeon de l’illusion rousseauiste, selon lequel l’homme naît parfaitement bon.

 

Le Pen, petit diable discipliné par les Jésuites et la Légion

Quel que fût le jugement qu’ils portaient sur lui, ennemis et fidèles de Le Pen tombaient d’accord sur un point : c’était un homme qui n’aimait pas céder et qui, habitué jeune à l’effort physique, ne rechignait pas à défendre ses positions avec ses poings. L’usage de la force n’était pas frappé du même tabou qu’aujourd’hui. C’était un homme, qui prenait d’ailleurs un plaisir provocateur, dans un monde où la virilité traditionnelle est en discrédit, de la surjouer. C’était un chef, autoritaire. Ayant le goût des voyages et des civilisations différentes depuis son enfance, il était cependant tout sauf un être sans frontières, un trans, fermement attaché à persévérer dans l’être, à continuer son père et à maintenir la France qu’il aimait (il aurait pu prendre la devise des Pays-Bas, « Je maintiendrai »). Sans doute tenait-il cela de sa terre et de son éducation. Il avait été élevé à la dure, sans eau courante, dans une maison au sol de terre battue, orphelin d’un patron pêcheur, passé chez les Jésuites et à la Légion étrangère, dont il disait : « Ce sont les deux seules institutions dont j’ai supporté la discipline. » Qu’il ait mené plus tard, pour une grande part, une vie de jouisseur, n’a pas modifié ce socle, et c’est ce socle qui suscite l’aversion viscérale des flocons de neige.

 

Les flocons de neige ne poussent pas en banlieue, mais dans les beaux quartiers bobos

Les spectateurs de la télévision ont découvert, sur les images de liesse anti-Le Pen, que Madame Panot approuve, outre quelques visages de gauchistes vieillis sous le harnais de leurs préjugés, beaucoup de jeunes, blancs, et notamment de nombreuses jeunes filles. C’est que, devant l’endurcissement de l’existence quotidienne consécutif à l’appauvrissement relatif de l’Europe et à l’invasion dont elle est victime, les plus pauvres et les habitants des banlieues immigrées ont subi un ensauvagement : ceux qui s’en sont sortis connaissent la vie, et beaucoup d’entre eux, même arabes, noirs, musulmans ou non, n’ont pas cultivé de haine pour Le Pen, dont ils partagent certaines vues – ils lui gardent même une certaine estime, jusqu’à une sorte d’affection. Beaucoup de Blancs plus choyés, plus soumis au bombardement idéologique et aux nouvelles normes morales, débordent, eux, d’aversion pour Le Pen. Surtout ceux qui sont nés après les millennials (adultes pour l’an 2000), les gens de la génération Z, à la fois hyper-fragiles et complètement endoctrinés, que l’on nomme « snow flakes » en anglais, flocons de neige.

 

Le Pen, diable et antithèse du douillettisme

L’expression parle : ils sont si sensibles qu’un rien les dérange, le moindre zéphyr les bouscule, il leur faut des « safe places » pour s’entretenir bien entre eux, sans que leurs convictions et leur délicate personnalité ne risquent le moindre coup, afin qu’ils ne se sentent pas victimes d’agression de la part de tout et de tous. Si l’on préférait une image botanique, on dirait qu’ils sont une sorte d’hybride entre le Narcisse et la Sensitive. Il est évident que Le Pen, caricature de l’homme d’avant, statue mouvante du manspreading, mâle blanc hétéro patriarcal facho catho un peu scato, avait tout pour les révulser. C’est une question de nature, ou plus exactement de nature acquise par la culture, autrement dit d’éducation. Ce sont les produits d’une idéologie qu’on peut nommer le douillettisme, lequel pose que le progrès de l’humanité la soustrait aux violences des âges farouches et que le temps est venu maintenant d’une société de doux anges aux mains diaphanes réglée par la seule concorde morale.

 

Pour les flocons de neige, le mal, c’est les autres

Psychologues et pédagogues éduquent ces angelots en intimant aux maîtres et aux parents d’éviter tout traumatisme à leurs chères têtes colorées de toutes les nuances de l’arc-en-ciel, le rose et le bleu n’étant pas les moins prisées. L’idée en soi n’est pas mauvaise, les traumatismes sont néfastes, il en est de mortels, mais comment faire pour en protéger l’enfant et le mener sain à l’âge adulte ? L’éducation ordinaire, héritée notamment de Rome et de l’Eglise, l’habituait peu à peu à ne pas trépigner devant toute contrariété, puis à sauter les obstacles, enfin à supporter les situations pénibles et parfois terribles qui peuvent survenir. En somme on élevait l’homme et l’âme au pied de Croix, en lui rappelant, par le péché originel, que le mal existe, y compris en soi-même, et qu’il est difficile de le combattre. L’éducation qu’ont produite psychologues et pédagogues masque aux flocons de neige ce mal qui est en eux pour le reléguer dans la société et ses épouvantails dûment étiquetés.

 

Flocon de neige, pauvre diable promis à la servitude volontaire

Cela produit, après une enfance adultérée par la soumission précoce des sensibilités à toutes sortes d’influences portées par le smartphone (par exemple la pornographie), un âge adulte complètement infantilisé. L’homme dont Le Pen se voulait un exemple, et qu’on a tourné en parangon du mal, avait appris, lui, à supporter l’adversité, en même temps qu’à exercer son esprit critique, que ce soit sur l’histoire, la biologie du genre ou les théories qui courent sur le climat. Le flocon de neige, tout occupé, comme l’hermine, à préserver sa pureté morale et la douceur de sa robe blanche, n’a aucune idée de la réalité, ni aucun moyen de se défendre contre les influences qui le constituent. Il est l’objet de toutes les manipulations et le sujet de la servitude volontaire où ses maîtres le poussent d’une baguette de velours. Il est donc naturel qu’il haïsse de tout son petit cœur arc-en-ciel l’homme qui aspirait à la liberté.

 

Pauline Mille