Homélie de la messe d’obsèques du petit Emile

Homélie messe obsèques Emile
 

Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie de l’abbé Louis Le Morvan aux obsèques du petit Emile Soleil en la basilique Sainte-Marie-Madeleine à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, le 8 février 2025, que nous avons commentées ici. Un sermon magnifique, qui appelle tout chrétien à suivre Emile pour trouver le bonheur éternel du ciel. – J.S.

 

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Cher Colomban, chère Marie, chère famille et vous tous, leurs amis et leurs proches, chers frères et sœurs venus les entourer de votre prière et de votre affection, aujourd’hui, l’Eglise accompagne un père et une mère à la mise en terre de leur petit garçon, Emile, devenu depuis son baptême il y a, hélas, si peu de temps, un fils chéri de Dieu, un enfant aimé de l’Eglise, un frère de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Le bonheur de le savoir au Ciel ne fait bien sûr pas disparaître la douleur de ce tragique arrachement, mais il permet aux chrétiens que nous sommes de ne pas devenir fous de tristesse en cette vallée de larmes. C’est donc en chrétiens que nous abordons cette difficile journée et les éléments de joie, de véritable joie, que nous manifestons au milieu de notre douleur sont, à vrai dire, nous le savons un peu incompréhensibles par bien des gens, de bonnes personnes et des personnes de bonne volonté. Et pourtant il est bien vrai que tout n’est pas malheur et tristesse puisque la foi et l’espérance nous donnent des certitudes heureuses. Et vous pouvez même témoigner, Colomban et Marie, de la délicatesse du Ciel tout au long de cette épreuve. Le Christ, Notre Dame et quelques saints du ciel vers lesquels vous vous êtes tournés ont vécu avec vous ce drame et vous ont aidé à porter votre croix.

Nous fêtions dimanche dernier la Purification de la Vierge Marie et la présentation de Jésus au Temple. Et cette fête, tout à la fois joyeuse et triste, vient particulièrement accompagner l’enterrement d’Emile. Saint Joseph et Notre Dame étaient venus, joyeux, se soumettre aux cérémonies exigées par la loi juive quarante jours après la naissance de l’Enfant Jésus, offrant en particulier deux petites colombes en rachat d’un garçon premier né dont le Seigneur réclamait la propriété depuis la libération des Hébreux du pays d’Egypte. Le prophète saint Siméon rendit alors grâce à Dieu d’avoir vu le Messie attendu par tout Israël, « lumière pour éclairer les nations » païennes. Puis l’évangile continue, au-delà du passage que nous avons entendu à la messe : Siméon avertit la mère de Jésus qu’un glaive de douleur transpercerait son cœur car son fils bien-aimé vient accomplir les Ecritures et racheter l’humanité fautive par le sacrifice de la Croix, librement consenti par amour. Cette fête liturgique vient ainsi clore le cycle de Noël, encore rappelé par la préface de la messe. Elle vient clore le temps de l’innocence de l’enfance, en quelque sorte, pour nous introduire dans le mystère de la Croix rédemptrice, présente dès la naissance de Jésus, motif de l’incarnation de Dieu au milieu de nous.

Cher Colomban, chère Marie, le choix de cette messe votive a été facilité par quelques frappantes similitudes avec ce que vécurent saint Joseph et la Vierge Marie. C’est aussi pour vous, aujourd’hui, la fin du cycle de l’enfance d’Emile. Vous allez porter en terre son petit corps, ce corps retrouvé hélas partiellement le 31 mars dernier, jour de Pâques. Jour, donc, où vous avez appris que son âme était déjà parvenue tout entière au bonheur éternel du Ciel. Depuis, s’entrechoquent en vous le plus grand malheur des parents, la séparation définitive d’avec un enfant, et le plus grand bonheur, à savoir la certitude absolue que ce fils chéri est auprès de Dieu où il vous attend.

O mon Dieu, que vos mystères sont insondables, que les glaives de douleur sont aigus dans ce monde, que votre plan nous échappe. On ne peut, bien sûr, pas tout dire, tout communiquer de cette délicatesse du Ciel qui vous accompagna.

Néanmoins, notons que le calendrier liturgique va bientôt vous délivrer un autre petit message personnel : le 11 février, dans trois jours, nous fêterons l’apparition à Lourdes de Notre Dame à sainte Bernadette, et c’est une fête qui vient comme répondre, comme compléter la fête de la Purification de la Vierge dont nous parlions à l’instant. Car, si Marie s’est soumise humblement à la loi de Moïse, elle n’avait pourtant pas à offrir, elle, de sacrifice pour le péché et elle viendra le proclamer à Lourdes avec son titre d’Immaculée Conception que l’Eglise a déposé sur son front comme l’une de ses plus précieuses couronnes.

Mais le message personnel que vous devez prendre pour vous, c’est la promesse qui fut faite à sainte Bernadette : « Je ne vous promets pas le bonheur de ce monde mais de l’autre. » La Sainte Vierge ne lui dit pas qu’elle ne sera pas heureuse en ce monde, elle ne lui promet pas le bonheur de ce monde mais de l’autre. La Sainte Vierge lui dit que le bonheur dans la vie ne peut pas venir uniquement des joies purement terrestres, et même qu’il est donc possible au milieu des épreuves de cette vie. Elle lui rappelle que Jésus promet à ses disciples un vrai bonheur, une joie que nul ne peut leur ravir mais qui se distingue des joies de ce monde, aussi nobles qu’elles puissent être. Alors, lorsque ces joies terrestres nous font défaut, parfois si cruellement que nous avons du mal à voir l’expression de l’amour que Dieu continue de nous porter, alors il nous faut nous souvenir que Jésus est toujours là, souffrant avec nous. Oui, Jésus nous demande de porter des croix dans ce monde. Mais celui qui fait les croix, qui laisse les hommes les charger sur leurs épaules, celui-là fait aussi des épaules pour les porter et Il vient les porter avec nous.

Cher Colomban, chère Marie, trois jours après la mise au tombeau d’aujourd’hui, la Vierge de Lourdes, mère du Ressuscité, va donc se tourner vers vous. Vous tous, qui assistez ces parents de votre présence et de votre prière, demandez, je vous prie, à Notre Dame la force dont ces parents ont besoin pour continuer à vivre avec les deux autres petits enfants que Dieu leur a donnés dans sa bonté et qui leur revient d’élever entourés de la délicatesse des saints – et d’un grand frère – et de l’affection de leur famille.

Et vous, parents d’Emile, puisque le Bon Dieu vous a demandé à votre tour d’accepter le sacrifice d’un fils premier-né, songez qu’il vous a donné en retour un intercesseur particulier auprès de Dieu. Il y a 2.000 ans, le vieillard Siméon portait avec gravité dans ses bras le créateur du monde. La faible créature n’ayant plus qu’un souffle de vie portait ce tout-puissant qui le soutenait en fait depuis sa conception. Dans quelques instants, le prêtre va élever l’hostie consacrée, visiblement portant l’hostie pour la présenter à l’adoration de toute l’assemblée, et en réalité s’y accrochant de toute son humaine faiblesse.

Ce petit Emile, que vous avez porté autrefois, est à présent un soutien pour vous deux. Avec sa courte vie, depuis son baptême et son rappel avant l’âge de raison, il n’est pas le plus grand saint du Paradis mais il est assurément auprès de Dieu où il adore sans fin la glorieuse Trinité en compagnie des anges et de la foule des saints, et où il intercède pour tous ceux qu’il a connus ici-bas.

Oui, avec le départ d’Emile au Paradis, votre vie a pris de la hauteur. Pour reprendre l’heureuse expression d’un père dominicain, en ce lieu marqué par la présence de cet ordre religieux, depuis ce dernier jour de Pâques, le Ciel est pour vous encore moins un lieu lointain, uniquement peuplé d’anges, de saints connus ou inconnus, et de Dieu mystérieux. Le Ciel vous est devenu plus familier, vous y connaissez maintenant Emile, vous y voyez mieux la maison de famille de tout chrétien, l’étage supérieur de votre maison, où vous pouvez héler ce fils, et du haut en bas, les souvenirs, les secours, les appels se répondent.

Mes bien chers frères, qui êtes venus prier avec la famille, recevez les remerciements de Marie et de Colomban, pour manifester encore aujourd’hui un des aspects de la communion des saints.

La messe va être suivie immédiatement par l’inhumation d’Emile dans l’intimité familiale. Le moment le plus poignant de la journée, c’est aussi le moment où nous aurons bien besoin de l’élan de cette belle messe. En particulier, Emile, n’ayant rien fait dans sa vie dont il doive être absous, la messe ne s’achèvera pas par une absoute pendant laquelle on aurait prié pour sa délivrance et pour son entrée dans la gloire céleste. Tous ensemble nous chanterons le Psaume 23, psaume triomphal de l’Eglise se réjouissant de compter un saint de plus dans le ciel, avant de clore la cérémonie par une dernière prière rappelant la raison de tout ce mystère de la joie chrétienne au milieu de l’épreuve humaine : cet enfant qui nous a été retiré est entré dans le Paradis, et l’espérance chrétienne nous invite à tout mettre en œuvre pour l’y retrouver.

 

Abbé Louis Le Morvan, de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre