Combien y avait-il de Noirs, quelle que soit leur provenance et leur nationalité, sur le territoire de la France métropolitaine en 1683 à la mort de Colbert, ministre favori de Louis XIV ? La chose n’a pas été quantifiée, mais à consulter la documentation administrative, commerciale et l’état civil, ce devait être moins de mille. Combien sont-ils aujourd’hui ? Plusieurs millions. Pourtant le collectif Brigade anti-négrophobie accuse la France de « négrophobie d’Etat » et a barbouillé la statue de Colbert qui se situe devant l’Assemblée de ces trois mots. C’était en juin 2020. L’artiste, Franco Lollia, porte-parole du collectif, se laissa complaisamment interpeller pour faire parler de la chose. Il déclara : « C’est une statue qui vient prôner la négrophobie, le meurtre des Noirs, le viol des Noirs, la torture des Noirs. » Pour dégradation de bien public, il risquait 3.750 euros d’amende assortis d’un travail d’intérêt général. Au tribunal en 2021 un ministère public bonhomme requit 800 euros d’amende, et la peine prononcée comportait une amende de 500 euros plus le remboursement du nettoyage, soit 1.040 euros.
Mais Franco Lollia revendiquait un acte politique et fit appel. Il a fallu cinq ans à la cour d’appel de Paris pour rendre son verdict, ce 5 mai : l’amende, toujours de 500 euros malgré l’inflation, a été tempérée d’un sursis, le montant des frais de nettoyage n’est plus précisé, et 500 euros de frais de justice devront être versés pour l’avocat de l’Assemblée nationale, qui se montre ici d’une frugalité exemplaire. C’était encore trop sans doute, puisque Franco Lollia s’est pourvu en cassation et prévoit de s’adresser en cas de rejet à la justice européenne. Au train où vont les choses, cela devrait nous mener jusqu’en 2032. Peut-être le lecteur, même indulgent, regrettera-t-il qu’on encombre les rôles d’une justice épuisée, mais, pour le révolutionnaire Franco Lollia, c’est une question de principe. Il faut dénoncer la « mascarade de justice » d’un « Etat coupable de crime contre l’humanité afro ». Pour lui, il faut déboulonner Colbert comme on a déboulonné aux Etats-Unis le général Lee, parce qu’il a été l’un des rédacteurs du Code Noir qui fut édité pour réglementer l’esclavage aux Antilles – même s’il n’a été promulgué qu’en 1685, deux ans après sa mort.
L’esclavage a été supprimé en 1848, tout soupçon de racisme est sévèrement réprimé depuis la loi Pleven de 1972, que veut donc la Brigade anti-négrophobie et son procédurier porte-parole ? Qu’elle cesse d’honorer parmi ses grands hommes le terrible Jean-Baptiste Colbert, et tous ceux qui peuvent lui ressembler. La Fondation Frantz Fanon, qui soutient Lollia, le dit clairement : « la France regorge de symboles coloniaux, dont la persistance au sein mêmes des institutions de l’Etat Français est la preuve manifeste du racisme d’Etat. A ce racisme d’Etat s’ajoute une hypocrisie d’une bonne part des responsables politiques, prétendant donner un intérêt pédagogique à ces symboles de la négation des vies noires. La mémoire de ceux qui ont légalisé ou accompli des crimes contre l’humanité n’a pas à être honorée. Maintenir dans l’espace public des statues, des rues, des bâtiments avec le nom de ces personnes signifie reconduire leur idéologie, et est une forme de justification de leurs actes. En refusant de retirer ces symboles coloniaux, l’Etat ne participe pas à une réelle connaissance d’une histoire commune mais au contraire renforce l’idée que l’homme blanc a été somme toute bon à l’égard des corps noirs. Cette obstination à maintenir Colbert dans l’espace public prouve que la démocratie moderne s’enracine dans le crime contre l’humanité commis contre les corps noirs et indigènes. »
Ici, on retrouve le procédé habituel de l’anachronisme révolutionnaire : sur fond de moraline, on prétend plaquer sur la réalité d’il y a 340 ans des sentiments d’aujourd’hui. C’est le b-a-ba de la cancel culture et de la révolution arc-en-ciel. Ni la fondation Franz Fanon ni Franco Lollia ne se demandent si le code noir, qui nous choque aujourd’hui à juste titre, ne fut pas en son temps une tentative (réussie) de limiter certains abus antérieurs. Ils font tourner sans états d’âme leur petite orgue de barbarie, aux frais des contribuables français qui financent les abus judiciaires de l’état de droit, dans le grand orchestre subversif de la France Insoumise.