Nous connaissons tous des espèces qui, sorties de leur habitat d’origine, ne trouvent pas de régulateur et envahissent tout : le frelon asiatique, ou le robinier pseudo-acacia venu d’Amérique du nord qui colonise nos lisières, le yucca qui envahit les dunes. Les botanistes les nomment espèces invasives. Selon le site d’agitation d’extrême gauche Mediapart, ils ont tort. Il vient de consacrer un long papier à la nocivité prétendue de ce terme. Avec ce titre sans ambiguïté : « “Espèces invasives” : et si on se passait de termes guerriers et xénophobes. » L’idée générale est que l’usage de ce terme, ancien et usuel en botanique, ancre et enfonce ceux qui l’utilisent dans une vision réactionnaire et pour ainsi dire dangereuse de l’univers. C’est une démarche proche de celle des féministes lorsqu’elles changent la grammaire et le vocabulaire de la langue, ou de celle qui a provoqué la suppression du mot « race » dans la Constitution en 2018. La mentalité Antifa est volontiers verbaliste : elle change les mots pour effacer la réalité. C’est une sorte de magie démocratique.
Mediapart, les Antifa, les lapins et la myxomatose
Un amendement constitutionnel adopté le 13 juillet 2018 par l’Assemblée nationale a supprimé le mot « race » dans la Constitution à l’unanimité, mais la chose avait été promise depuis longtemps, par François Hollande, et réclamée par le parti communiste. Seul à la Chambre, le mathématicien Cédric Villani, député LREM, avait fait montre d’une sorte de trace de bon sens en déclarant qu’il ne fallait pas supprimer le mot race au nom de la science « qui peut toujours évoluer », mais au nom de « l’empathie et du sens du destin commun par lesquels nous reconnaissons toute l’humanité comme nos frères et sœurs ». En somme, il préconisait une décision absurde au nom de la logorrhée Antifa mais refusait de la fonder sur la magie verbaliste. Ce n’est pas le cas aujourd’hui de Mediapart, qui assume ses contradictions avec une naïveté touchante : car le site préféré des Antifa ouvre son papier en reconnaissant la réalité parfois terrible des espèces invasives (en rappelant l’introduction de quelques couples de lapins en Australie, qui ont ravagé le continent avant d’être eux-mêmes ravagés par la myxomatose) tout en recommandant l’abandon du mot.
Jardin planétaire contre espèces invasives
A vrai dire, Mediapart prend en marche un train lancé par d’autres, sur une question qu’il connaît mal. L’initiateur de la campagne contre les espèces invasives est le bobo paysagiste graphomane Gilles Clément, notamment concepteur du jardin en mouvement, dont il a gratifié le jardin André-Citroën à Paris d’une inénarrable parcelle. Il tire gloire aussi d’avoir inventé le « jardin planétaire ». C’est à ce titre qu’il a publié au mois de mars dernier dans Philosophie magazine avec Jacques Tassin une tribune intitulée « Plus qu’une erreur écologique, parler d’espèces invasives, c’est renforcer le rejet migratoire en le projetant dans la nature ». Elle commence ainsi : « Les discours environnementaux ne sont jamais socialement neutres. Ils infléchissent la manière dont nous nous pensons nous-mêmes. Par vocabulaire commun interposé, des passerelles invisibles concourent même parfois, en joignant insidieusement perceptions naturalistes négatives et observations sociales, à alimenter des regards pernicieux sur les humains. Ainsi en est-il de cette manière invariablement négative dont nous parlons des espèces dites invasives. »
Sous la botanique la politique Antifa
Autrement dit parler d’espèces invasives nous incline à la xénophobie et au racisme. Après une vague discussion, sans grande consistance scientifique, ils concluent : « Dans l’immense majorité des cas, les effets de ces populations considérées comme intruses demeurent globalement positifs. » Et de faire au passage l’éloge de la tortue de Floride et d’une plante aquatique, la jussie, dont ils écrivent : « Ses effets présumés négatifs sur la biodiversité restent à démontrer, mais elle fait l’objet d’arrachages mécaniques souvent destructeurs pour les milieux en question. Toute migration souffre d’être considérée selon une myopie réductrice, voire déformante, qui alimente insidieusement la crainte d’une “submersion migratoire”. » Nous y voilà. Sous couleur de botanique, on nous cause politique Antifa : « Le vocabulaire à l’encontre des espèces dites invasives demeure volontiers méprisant, emprunté aux terminologies de la peur ou de la haine, et renvoie souvent à des perspectives guerrières. Il invite à se débarrasser préventivement de nouveaux venus dont on craint la capacité à pulluler, à se propager inconsidérément dans l’espace, à se fondre dans les habitats et, pire encore, à participer d’un grand remplacement. »
La magie du langage nous interdit de parler d’espèces invasives
Et d’enfoncer le clou : « Céder de la sorte au rejet de l’altérité en prônant une forme “d’immigration zéro” de ces populations d’espèces dites invasives ne tient pas seulement de la légèreté du propos. Cela procède d’une maladresse fâcheuse contribuant à ternir le visage de l’étranger, renvoyé aux listes noires des “indésirables”. » A ce point-là de l’argumentation, tout le monde a compris l’intention des auteurs, mais ils la reprécisent dans leur conclusion générale : « Si les parallèles entre populations humaines et non humaines, de même qu’entre les regards que l’on pose sur elles, demeurent hasardeux et doivent être considérés avec une grande prudence, du moins peut-on les interroger lorsqu’ils bénéficient d’une sémantique aussi commune, voire d’une représentation aussi convergente. Et si ce commun entre xénophobie et bioxénophobie n’est probablement jamais délibéré, du moins devons-nous considérer notre inconscient comme un système puissant capable d’établir à notre insu des passerelles imprévues. » Derrière le jargon propre à ceux qui s’essaient à la philosophie se dessine une peur terrible : qu’en arrachant ses mauvaises herbes pleines de pollen allergène ou en claquant son moustique tigre le jardinier ne devienne un fasciste qui s’ignore, et que même le bobo de bonne volonté, en reprenant le vocabulaire de la botanique, ne voie son inconscient pris en main par le mal ! Aïe, aïe, aïe, en voilà de la mauvaise magie !