Bruno Le Maire, gaffe de Macron ou bouc émissaire bouée du système ?

 

A en croire de nombreux commentateurs, et Bruno Retailleau, le ministre de l’intérieur, lui-même, la nomination de Bruno Le Maire, à l’insu de tous, au dernier moment, par le président de la République, aurait été la goutte d’eau qui aurait mis le feu aux poudres et provoqué l’explosion de l’éphémère gouvernement Lecornu. Dans cette conception digne du sapeur Camember, cette nomination serait en quelque sorte une gaffe d’Emmanuel Macron, qui, déconnecté de tout dans sa tour d’ivoire élyséenne, aurait mal jaugé les Républicains et leur capacité d’avaler des couleuvres. Plus, en se maintenant à l’Elysée, le président montrerait l’entêtement d’un forcené. Mais il existe une autre interprétation : en jetant en pâture à ses adversaires et aux médias l’imbuvable ministre des Finances, symbole des échecs et des ridicules du macronisme, le chef de l’Etat leur a permis de se défouler sur un bouc émissaire et de préserver leur propre dignité – avant de les inviter à de nouvelles combinaisons. Autrement dit, Le Maire peut être la bouée d’un système au bord du naufrage. L’étrange mission d’« ultime négociation » dont Emmanuel Macron a chargé le Premier ministre démissionnaire jusqu’à mercredi accrédite plutôt cette façon de voir.

 

Bruno Le Maire, bouc-émissaire et fier de l’être

Bruno Le Maire arrange tout le monde. Depuis le départ de Raymond Barre de Matignon, personne n’a jamais tenté de présenter un budget à l’équilibre, tout le monde a laissé filer la dépense publique en pratiquant l’impôt à haute dose, et en même temps l’emprunt, imposant aux Français, notamment, l’immigration, l’Europe, la transition énergétique et le confinement covid, le tout, coûte que coûte – et c’est lui tout seul, le pelé, le galeux qui s’en trouve désigné responsable. Monsieur mille milliards de dette, traître en plus ! Et lui, l’ego en soufflé au fromage, sourit, sans que ses yeux demi fermés cessent de rissoler dans l’huile du contentement de soi : bouc émissaire et fier de l’être. Il rachète ses anciens camarades républicains. Après la dissolution de 2024, ils ont formé un front républicain avec Jean-Luc Mélenchon, le Nouveau Front Populaire et la France insoumise, sauvant, avec leurs propres fesses, celles de nombreux gauchistes qui ont depuis transformé l’Assemblée nationale en pétaudière. Puis ils ont participé à toutes les tractations avec Macron, aux gouvernements Barnier et Bayrou, et s’apprêtaient à gouverner sous Macron avec Lecornu : mais grâce à Bruno Le Maire, ils s’en tirent, la tête haute. Ils peuvent s’en aller parce que Lecornu ne les avait pas prévenus que Le Maire serait nommé aux armées ! « C’est une question de confiance », bêle Bruno Retailleau ! Laurent Wauquiez exulte. Ils peuvent maintenant se présenter en hommes de conviction.

 

Deux solutions pour Macron mais le système en veut une troisième

Marine Le Pen estime que Macron n’a que deux solutions, la dissolution et la démission. Celle-ci ne pouvant lui être imposée, elle préconise la dissolution : quoiqu’elle ne soit pas éligible, son parti y gagnerait. Mais elle est la seule. Bruno Retailleau l’a dit expressément : « Je pense qu’il y a d’autres moyens avant d’en arriver à un retour aux urnes. » Parmi ces moyens, il a suggéré que Macron nomme « un autre gouvernement » sur un « programme de rupture » que la droite soutiendrait. De leur côté, les socialistes (Faure, Valaud, etc.) demandent de former le prochain gouvernement, soutenus par le communiste Fabien Roussel et l’écologiste Marine Tondelier, tandis que Gabriel Attal, le chef des macronistes à l’Assemblée, les appuie en demandant un « partage du pouvoir ». Tous se servent de Le Maire comme bouc émissaire et reprochent à Macron d’avoir jeté la France dans l’instabilité par la dissolution de 2024, mais perpétueraient l’instabilité, car ni la rupture « à droite » ni le changement « à gauche » n’auraient de majorité. Et quand Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale et Gérard Larcher, président du Sénat, appellent à se mettre « autour d’une table » pour rendre l’équilibre à « la France », ils entendent surtout perpétuer un système qui prend l’eau et leurs propres places.

 

Derrière Macron, tout le système est responsable du marasme

Ce système, Macron en est le garant. Il représente des forces supranationales et anti-nationales, il a été mis en place pour réduire la souveraineté de la France, notamment pour affaiblir ses institutions. Mais il n’est pas le seul responsable du marasme actuel. Ce n’est pas la dissolution de 2024 qui a jeté la France dans l’instabilité, mais le front républicain institué à l’époque par Attal et Macron, aux applaudissements de la gauche et de l’extrême gauche, avec la complicité des Républicains et du centre droit (Horizon, Modem), afin de contenir la poussée du Rassemblement national. C’est ce verrouillage unanime du système qui a bloqué toute majorité. Sans lui, tous les sondages annonçaient une forte majorité de la droite et du RN, certains envisageant que celui-ci ait à lui seul la majorité absolue. C’est donc par un artifice du système inspiré par la gauche que la France a été jetée dans un désordre qui conjugue ce que les Quatrième et Cinquième Républiques ont de pire. Cela porte des conséquences nocives aujourd’hui : si tout le système se ligue pour trouver des solutions alternatives à la dissolution, c’est que ce désordre, cette instabilité gravissime, lui semble bien moins dommageable que sa propre disparition.

 

De Retailleau à Roussel, ils cherchent tous une bouée de sauvetage

En cas de dissolution et de législatives anticipées en effet, les macronistes disparaîtraient presque complètement. Les centres seraient très réduits. Les Républicains n’auraient d’autre choix pour se maintenir que de passer des accords de désistement avec le RN, comme le propose Sarah Knafo – puisque le discrédit où est tombé la France insoumise ne leur permet plus d’accueillir ses voix. Quant aux socialistes, aux communistes et aux écolos, ils n’ont dû pour la plupart leur élection qu’au front républicain : s’ils ne bénéficient plus de l’aide de la droite et du centre, et s’ils refusent, comme ils le disent, l’appoint de LFI, ils ne pèsent quasiment plus rien. Des législatives aujourd’hui pourraient déboucher sur un raz de marée du RN et de ses alliés à droite. Le système n’en veut naturellement pas. Et toutes les formations de gauche et du centre qui perdraient des élus par dizaines n’en veulent pas plus. Les plus âgés ont en mémoire les législatives de 1958 où la Quatrième République fut balayée dans les urnes. C’est pourquoi tous préfèrent des replâtrages. Sauf Mélenchon. Lui, propose une défense dynamique du système. Il réclame la destitution de Macron et une nouvelle présidentielle. Il dispose d’un véritable appareil militant et de monde dans la rue. Il a toujours fait mentir les sondages aux élections présidentielles, il espère donc se trouver au deuxième tour. Et l’emporter, dans une ambiance de guerre civile.

 

Pauline Mille