
C’est une première, et non des moindres. Le parlement letton, monocaméral, le Saeima, a voté à une confortable majorité (56 voix contre 32 et 2 abstentions) la sortie de la Lettonie de la Convention d’Istanbul, dont l’objet apparent est la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, qu’il avait ratifiée voilà un an. Si Riga décidait de donner suite à ce vote, la décision finale revenant au président de la République, qui peut l’entériner ou non, la Lettonie serait le premier Etat membre de l’Union européenne à quitter la Convention d’Istanbul. Le vote a rassemblé l’opposition de droite et l’Union des Verts et des paysans, membre de la coalition gouvernementale dont le chef est le Premier ministre Evika Silina, élue du centre droit. Pour les promoteurs de ce vote, il ne s’agit évidemment pas d’affaiblir l’action publique contre les violences que subissent les femmes (les lois nationales suffisent), mais de s’opposer aux dérives idéologiques que contient cette convention, en particulier la notion de genre. La levée de boucliers des ordinaires relais institutionnels de l’arc-en-ciel montre qu’ils ont visé juste.
En Lettonie, avec la notion de genre « l’anormal devient la norme »
Pour les avocates de la motion, par exemple la députée Ramona Petravica, la Convention d’Istanbul promeut le « genre », contraire à ses yeux aux valeurs traditionnelles de la Lettonie. Sa collègue Linda Liepina y voit clairement « une idéologie étrangère s’immisçant dans la vie quotidienne » des Lettons. De sorte que « l’anormal devient la norme ». A quoi l’ancienne présidente lettonne Vaira Vike-Freiberga a répondu que cette volonté de retrait serait « inspirée par la propagande de Poutine ». Avant de conclure sur son compte X : « Nous ne devons pas nous écarter des valeurs fondamentales de l’Europe. » Elle commet là un double contresens. Le premier est politique. Il est vrai que le parti populiste de Lettonie, en pleine ascension, et qui vient d’obtenir aux municipales de juin la première place à Riga, la capitale, qui concentre un tiers de la population nationale, compte une bonne part d’électeurs russophones, attentifs aux paroles de Vladimir Poutine. Mais si la droite modérée, le centre droit et les Verts ont apporté leur vote à la motion, c’est précisément pour couper l’herbe aux populistes et surtout aux pro-russes, Moscou étant l’ennemi traditionnel en pays balte, sous le visage d’Ivan le terrible, Staline ou Poutine.
La convention d’Istanbul ne protège pas la femme, elle propage le « genre »
Le deuxième contresens de l’ancienne présidente est moral. La coalition des Verts, des paysans, de la droite et du centre droit est emmenée par une femme issue du centre droit, grand vainqueur des dernières élections européennes de 2024, viscéralement anti-russe et pro-UE, hostile à Vladimir Poutine. Si elle a choisi la sortie de la Convention d’Istanbul pour faire un « coup politique » contre les populistes, c’est parce que la révolution des mœurs répugne aux Lettons (c’est pourquoi la droite propose aussi des restrictions à l’avortement). La promotion du genre est impopulaire en Lettonie, elle s’oppose aux valeurs traditionnelles et européennes. Le Parlement et le gouvernement lettons considèrent que c’est une lubie imposée par le lobby LGBT, lui-même instrumentalisé par une révolution mondiale. Et la chose n’est pas nouvelle. C’est en 1995 à la conférence de l’ONU sur les femmes à Pékin, que le « gender mainstreaming », l’introduction de la notion de genre dans le droit et la politique internationaux, a été lancée, puis un peu accentuée texte après texte depuis trente ans. Si bien que le Conseil de l’Europe ne mentait pas, tout en mentant effrontément, lorsqu’il affirmait en 2022 : « La Convention d’Istanbul n’établit aucune nouvelle norme sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle. » Aucune nouvelle norme en effet, mais la banalisation d’un concept qui bouleverse la vie.
Le lobby arc-en-ciel contre le vote du Parlement
De sorte que ses promoteurs révolutionnaires sont si fanatiques, si bien articulés entre eux dans leur entreprise de révolution, qu’ils se sont dressés comme un seul homme contre le Parlement de Lettonie et la sortie de la convention d’Istanbul qu’il a décidée. Dans la période qui a précédé le vote, Saara-Sofia Sirén, représentante spéciale de la présidence en exercice de l’OSCE pour les questions de genre, a exhorté Riga à « respecter ses engagements internationaux ». Amnesty International et plusieurs diplomates de pays européens membres de la convention – dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni – ont exprimé leur inquiétude. Et plusieurs manifestations se sont tenues à Riga ces dernières semaines à l’initiative d’associations de défense des droits des femmes, vent debout contre un vote à visée populiste. Près de 5.000 personnes ont protesté mercredi 29 devant le Parlement aux cris de « Arrêtez de protéger les agresseurs ! » et brandissant des drapeaux européens et de la communauté LGBT+. L’habituel rouleau-compresseur de la révolution arc-en-ciel, a été mis en marche.
Un président homo sous la botte de l’OTAN et de l’UE
Et ce n’est pas fini. Le président de la République, Edgars Rinkevics, a tenu à indiquer qu’il se fonderait sur le droit pour entériner ou non le vote, plutôt que sur la volonté populaire. Or le droit international, et singulièrement le droit de l’Union européenne, tend à imposer la primauté des traités sur les droits nationaux. C’est vrai en matière de mœurs, mais aussi en matière d’environnement. La Roumanie, la Hongrie, la Pologne, en ont déjà fait les frais. Même la Suisse a été récemment condamnée pour exercice de la souveraineté nationale. Seul le socialiste slovaque Robert Fico a réussi à faire voter en septembre dernier un amendement constitutionnel affirmant la primauté du droit national sur les ukases internationaux. Rinkevics peut invoquer l’intérêt de la Lettonie à se soumettre à ses engagements internationaux afin de ne pas entériner le vote du parlement. Deux autres considérations peuvent peser dans sa décision. D’abord, il a révélé son homosexualité en 2014 et c’est depuis 2023 le premier chef d’Etat au monde ouvertement homosexuel. Ensuite, ancien haut fonctionnaire de la Défense et ministre des Affaires étrangères, il est profondément opposé à l’impérialisme russe, son soutien sans condition à Kiev le rappelle. Jouissant d’une dette qui représente 3,73 % de son PIB, la Lettonie peut défier l’Union européenne, mais elle ne peut sans doute pas se passer de l’OTAN, dont elle est membre. On voit combien est fragile la volonté du peuple de Lettonie, exprimée par son parlement, face aux impératifs de la révolution mondialiste : quiconque s’oppose à elle est taxé de poutinisme, et la peur du danger réel qu’incarne Poutine ramène à elle le récalcitrant.










