En se rendant sur le site sidérurgique d’Arcelor-Mittal à Florange, François Hollande a vanté sa gestion du dossier et s’est flatté d’une promesse tenue. Ce n’est l’avis ni des syndicats ni d’Aurélie Filipetti, député local, pour qui les hauts fourneaux éteints sont la marque de sa trahison. Sous l’anecdote, ce sont les contradictions de l’Europe et du mondialisme qui se dessinent.
François Hollande aura au moins tenu l’une de ses promesses électorales : il revient chaque année à Florange, petite ville sidérurgique près de Thionville, comme il s’y était engagé. En 2012, durant sa campagne électorale triomphale, il avait suscité l’enthousiasme des ouvriers, juché sur une camionnette, en promettant de sauver ce site en crise. En novembre 2014, l’ambiance est moins festive. Les hauts fourneaux des aciéries dont il devait assurer l’avenir sont éteints. Définitivement. Alors, en fait de promesse tenue, de très nombreux anciens métallurgistes y voient la preuve de sa « trahison ». Aurélie Filippetti, son ancien ministre de la culture, député de la circonscription, y voit une « tragédie politique » due au « manque de volontarisme », et plus généralement une « crise de la parole politique ». Et pour cause : son petit ami, Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement économique, avait tenté un bras de fer avec le repreneur du site, Arcelor-Mittal, et s’était fait abandonner en rase campagne par Hollande.
Hollande, l’homme qui triomphe dans les hauts fourneaux éteints
Celui-ci s’est montré très satisfait de lui-même et des solutions trouvées sur place, au cours d’une visite dont la police et les organisateurs s’étaient assurés qu’elle se passerait sans trop de heurts, grâce à un filtrage efficace des populations, sans rapport avec le barrage de Sivens ou les rues de Toulouse. Le président de la République est devenu prudent. Alors que l’Angleterre et le monde ne bruissent que des nouvelles révélations de Valérie Trierweiler, il a préféré ne pas prendre sa part des lazzis et il a évité en conséquence la porte principale du grand bâtiment Arcelor-Mittal de Florange pour ne pas affronter les mineurs et les syndicalistes qui l’y attendaient. Ayant troqué le casque de scooter pour un seyant casque de chantier (les élégantes assurent qu’il existe des «  ;têtes à chapeau », lui est incontestablement une vraie tête à casques), le chef de l’Etat a prudemment emprunté une porte dérobée. Cela a mis Lionel Buriello, le patron local de la CGT en fureur. Il a parlé de « manque de respect », de « génocide social », estimant que François Hollande était désormais « coresponsable » de la prise de Hayange toute proche par le Front National.
Dans la quiétude des bureaux, le chef de l’Etat s’est félicité que le les accords signés en 2012 entre Jean Marc Ayrault et Arcelor-Mittal aient débouché sur une « solution » pour les 629 salariés des hauts fourneaux : 257 sont partis volontairement et les autres ont été reclassés dans le groupe. Il a montré sa satisfaction des investissements d’Arcelor-Mittal en Lorraine « 146 millions d’euros dont 86 ont été déjà pleinement engagés » sur le montant total espéré de 240 millions d’euros. Enfin, il s’est décerné un satisfecit : « Aujourd’hui, je constate qu’il y a plus de 2.100 salariés sur le site de Florange ». Et ses conseillers sont tout sourire parce le site reconverti grâce aux investissements consentis serait très compétitif. Cette satisfaction est sans mesure avec un petit bout de succès cher payé et qui ne résout rien au fond. Le président Raymond Pointcarré s’était fait épingler un jour d’obsèques en arborant un large sourire et fut brocardé depuis par ses adversaires comme « l’homme qui rit dans les cimetières » : Hollande, lui, est le président qui parade dans les friches industrielles et triomphe parmi les hauts fourneaux éteints.
Florange et la Lorraine au cœur des illusions européennes
Au-delà de l’anecdote, il faut prendre un peu de champ pour discerner la vraie signification politique de l’équipée. François Hollande, comme à son habitude, s’est emmêlé les pinceaux en Lorraine, mais il n’est pas le premier, loin de là. D’autres avant lui, pendant des dizaines d’années, ont trouvé de très mauvaises solutions. Son destin est seulement plus caricatural, car il arrive pour l’enterrement avec toutes les illusions d’un médecin miracle et toutes les contradictions d’un technocrate socialiste mondialiste.
Florange et la vallée de la Fensch sont au cœur de la Lotharingie, de la zone de friction traditionnelle entre la France et l’Allemagne, de la sidérurgie lorraine et de ses crises, de la construction de l’Union européenne et de ses contradictions (Robert Schuman était de Metz). Ce petit bourg tout proche de la frontière linguistique entre parlers romans et germaniques fut rattaché à la France par le traité des Pyrénées en 1659. Dès le 19ème siècle la « minette », le minerai de fer s’y trouve exploité en grand. En 1854, le chemin de fer y passe. En 1871, elle est annexée par le tout nouveau Reich allemand, récupérée en 1918, dotée de modernes équipements sociaux par la paternaliste famille Wendel en 1923, ré-annexée par le troisième Reich en 1940. Après la guerre, un embryon d’union européenne est constitué par le traité de la CECA (1951), instituant la Communauté européenne du charbon de l’acier, pour éviter les conflits entre les industriels de la Sarre, de la Ruhr, du Luxembourg, de la Belgique et de la Lorraine française et de valoriser mutuellement leurs matières premières (charbons allemands, minerais français, par exemple) en harmonisant leur production. C’est de cette époque que date le boom de la sidérurgie lorraine. La population de Florange quintuple, Italiens, Polonais, Arabes, affluent, hauts fourneaux et laminoirs poussent comme des champignons.
Arcelor-Mittal, le bout d’une longue piste d’erreurs
Ce succès dure peu. Dès les années soixante se dessine la première crise. En cause, entre autres, la faible teneur en fer de la minette, la concurrence des aciéries sur l’eau et la baisse du coût du transport maritime, le contexte économique enfin. Chacun des partenaires européens va réagir à sa manière. A Luxembourg, la toute puissante Arbed solde ses comptes élégamment (le dernier haut fourneau a fermé en 1997), et le pays va se transformer en paradis fiscal, grâce à une politique menée sans discontinuer par tous les premiers ministres, de Pierre Werner à Jean-Claude Juncker. Mais tout le monde n’a pas cette ressource. Alors les plans de restructurations et les expériences techniques vont se multiplier dans les trois autres pays. Les investissements sont très lourds, la technique et les marchés en perpétuelle évolution, beaucoup de paris seront perdus. Tout échoue par exemple à Rombas-Gandrange, non loin de Florange. Fos-Lavéra, près de Marseille, n’est pas un franc succès non plus. Mais la sidérurgie française n’a pas le monopole de l’erreur. Saarstahl, malgré beaucoup d’argent injecté au début des années quatre-vingt, fait un flop retentissant. A l’inverse Pont à Mousson s’en sort avec sa fonte grise. Le meilleur succès est sans doute celui de Dillinger Hütte en Sarre, qui investit massivement pour devenir compétitif dans des produits à très forte valeur ajoutée, notamment la production de tôles fortes. Mais il ne réussit qu’en obtenant… l’autorisation de se fournir en minerai ailleurs qu’en France !
Cela revient à dire que la CECA, traité fondateur de l’Union européenne, avait pour objet de mettre le charbon et l’acier des pays limitrophes en commun pour renforcer leur sidérurgie, et qu’on n’a pu sauver une part de cette sidérurgie qu’en contrevenant à la lettre et à l’esprit du traité CECA. On ne saurait mieux démontrer que celui-ci n’était qu’une étape préparatoire d’une intégration politique, véritable but de l’opération, qui tient pour secondaire la prospérité économique des pays et des régions qu’elle prétend unir.
Promesse tenue ou non, c’est toujours la même trahison
Plus grave encore, si le traité de Rome (1957) se donnait pour but la constitution d’une puissance européenne défendue par des frontières, notamment, en matière économique, par des droits de douane communs perçus sur les marchandises venues de l’étranger, il n’en est plus rien aujourd’hui. Les difficultés techniques de la sidérurgie lorraine auraient pu trouver aisément des solutions dans le cadre d’une Europe puissance et d’un marché à peu près homogène bien défendu à ses frontières : dans une Europe passoire, face à la concurrence mondiale marquée par le dumping social, le faible coût du transport maritime et le transfert de technologies, très peu d’unités ont des chances de survivre.
Alors quand Hollande vient à Florange, on veut croire qu’il sait tout cela par cœur depuis plusieurs lustres, mais il est pris en tenaille par ses deux discours contradictoires. D’un côté, c’est un euro-mondialiste convaincu : il faut toujours plus d’Europe, moins de frontières, plus de libre-échange et de rééquilibrage avec les pays émergents. Cela veut dire : aucune marge de manœuvre pour une industrie française compétitive. D’un autre côté, il lui faut, pour tenter d’inciter les Français, et singulièrement les ouvriers de voter pour lui, chanter l’outil de production français et la classe travailleuse. Cela signifie : aucun espoir de voir ses paroles transformée en actes. Un accord trouvé pour quatre cent salariés par un Etat dont ce n’est pas la tâche, et la reconversion peut-être réussie du site de Florange ne pourront jamais relancer l’industrie française, quand les conditions constitutives de son déclin sont maintenues et aggravées. Voilà pourquoi François Hollande fait le pitre un jour sur une camionnette, et le pontife deux ans plus tard dans un bureau : c’est toujours la même impuissance et le même mensonge.