La création de super-ensembles supranationaux (subcontinentaux, continentaux, ou pluricontinentaux) à travers le monde progresse partout sur le même modèle – et la « région » russe ne fait point exception – pour atteindre une « intégration » bien adaptée aux critères du Nouvel Ordre mondial et de la « gouvernance globale ». Les avancées les plus spectaculaires sont les monnaies uniques supranationales qui donnent les manettes économiques aux banques centrales de ces nouveaux grands ensembles, au-dessus des nations. Pour l’euro, c’est fait – avec les difficultés insurmontables liées à la juxtaposition dans une même zone monétaire d’économies disparates. En Amérique du Sud et en Eurasie autour de la Russie, les plans progressent.
Les difficultés de l’euro ont provoqué l’arrêt temporaire, en 2011 des projets de créer une monnaie unique en Amérique du Sud : l’exemple faisait peur et rendait l’idée d’une monnaie supranationale impopulaire. Mais ce mois-ci, les leaders d’UNASUR, l’Union des nations sud-américaines qui intègre l’union douanière Mercosur et la Communauté andine, ont annoncé qu’ils veulent relancer le projet qui se retrouve en tête de son agenda.
L’Amérique du Sud intégrée par la monnaie
L’UNASUR vise une intégration sur le modèle de l’Union européenne. Son traité fondateur est entré en vigueur en 2011 et dès le 24 octobre de cette année-là, elle obtenait un statut d’observateur à l’Assemblée générale de l’ONU. Education, infrastructures, défense, libre circulation des personnes, tout y est. Beaucoup des Etats membres ont des gouvernements socialistes, nombre d’entre eux ont déjà une monnaie commune, le Sucre. Le secrétaire général de l’UNASUR, Ernesto Samper, riche Colombien dont le parti politique appartient au réseau radical de l’Internationale socialiste, a déclaré qu’il fallait commencer par créer un fonds de réserve subcontinental, afin de créer une « architecture financière de la région ».
Aussi le premier pas, la création d’une « Banque du Sud », est-il en voie d’être accompli : elle sera opérationnelle dans les semaines à venir, riche de quelque 20 milliards de dollars fournis par les contribuables argentins, brésiliens, boliviens, équatoriens, paraguayens et uruguayens. Sur le papier, l’établissement est censé protéger la région des forces « capitalistes », notamment américaines. Dans les faits, on construit tout simplement la même chose que dans d’autres continents, comme l’Europe, au bénéfice des banques centrales qui fonctionnent pareillement aux Etats-Unis ou en Russie.
La Russie aussi entre dans le système des monnaies supranationales
Pendant ce temps, un projet semblable progresse autour du Kremlin avec la Russie, le Bélarus, le Kazakhstan, l’Arménie… En attendant d’autres membres pressentis. Certains observateurs s’attendent à l’émergence d’un « rouble eurasien » dès 2015, appuyé sur des actifs réels. Ce serait faisable, selon Alexander Sobyanine, chef des opérations stratégiques de l’Association de coopération trans-frontières de la Russie, dès que l’Ukraine « retournera à la maison » : pour une partie dans l’Union européenne, pour l’autre dans l’Union eurasienne. La nouvelle monnaie de l’Eurasie permettant dès lors à la Russie de surmonter ses difficultés monétaires actuelles.
Le même Sobyanine a souligné que les membres de l’Union eurasienne, Chine comprise, ont massivement acheté de l’or : le rouble et le yuan seront assis sur de « vraies valeurs » et les bases économiques de l’Union eurasienne seront ainsi « posées », dit-il.
L’idée est certes d’échapper au dollar pour les échanges internationaux. Peut-être même de laisser croire à une fondamentale opposition entre Est et Ouest. Des voix autorisées commencent cependant à se faire entendre pour promouvoir non seulement une monnaie supranationale autour de la Russie, mais encore une intégration depuis l’Atlantique jusqu’à Vladivostok. « Une fois établie une large union douanière, les liens commerciaux, financiers et d’investissement en son sein grandissent jusqu’au point où les membres stabilisent leurs taux de changes mutuels », observe l’économiste globaliste Nouriel Roubini. Ce n’est pas une monnaie unique, mais le cœur y est.
Union européenne, Eurasie : la fausse opposition
Ses états de services en font quelqu’un de particulièrement bien informé : il a travaillé à la Maison Blanche, au FMI, à la Réserve fédérale américaine et à la Banque mondiale. Il envisageait lui aussi récemment dans une tribune la création d’une rouble eurasienne qui aboutira, comme cela se joue aujourd’hui dans l’eurozone, à une « union bancaire, fiscale et économique entière ». Après quoi il ne restera qu’à entériner ces abandons de souveraineté dans le cadre d’une « union politique partielle ».
Les unions supranationales en voie d’établissement dans toutes les régions du monde apparaissent dès lors non plus comme un objectif à part entière, mais comme une étape vers l’« intégration globale », ce Nouvel Ordre mondial où la similitude des modèles permettrait plus facilement l’établissement d’une seule monnaie pour l’ensemble de la planète. Contrôlée par qui ? C’est la vraie question.