Il, avait été présenté sans succès, en 2010 dans l’article 4 de Loppsi (Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure). Il était également contenu dans la loi anti-terrorisme de novembre 2014… Son jour est arrivé. Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé mercredi – et Harlem Désir l’a confirmé jeudi à l’ONU – la promulgation du décret d’application sur le blocage administratif des sites pédopornographiques ou faisant l’apologie du terrorisme. Blocage qui sera, et c’est là le point clé, administratif, c’est-à-dire sans décision judiciaire préalable.
Le dispositif oblige les FAI (fournisseur d’accès à Internet) à bloquer dans les 24 heures l’ensemble des sites dont la liste est dressée par les services de la Place Beauvau, sous le seul contrôle confidentiel d’une personnalité issue de la CNIL.
Bloquage des sites web = régulation
C’est le lendemain des attentats que le gouvernement envoya une notification à Bruxelles pour avis de la Commission Européenne et des États membres, prétextant une « accélération des phénomènes constatés de radicalisation par l’usage d’internet ». « On ne combattra pas le terrorisme si on ne prend pas des mesures de régulation d’Internet, qui ne sont pas là pour attenter aux libertés d’expression, mais pour faire en sorte que l’appel au terrorisme, qui peut avoir un impact sur des esprits vulnérables, soit arrêté », a déclaré M. Cazeneuve.
Harlem Désir a même expliqué en marge de son discours à l’ONU qu’il fallait étendre la responsabilité pénale des intermédiaires tels que les réseaux sociaux, en appelant à une action « responsable ». Et le ministre de l’intérieur a confirmé qu’il se rendrait fin février aux Etats-Unis, pour rencontrer « les grands opérateurs du Net comme Google, Facebook, Twitter, Microsoft » et les appeler à « rejoindre notre combat ».
Un décret controversé
Pourtant, la difficulté de l’entreprise avait déjà été évoquée. Une surveillance générale est d’abord quasi impossible : la seule alternative sera – ô versant douteux – la dénonciation des internautes, dixit le sous-directeur de la lutte contre la cybercriminalité, Catherine Chambon.
La suite technique est également controversée. Le blocage par « adresse IP » fermerait des dizaines de petits sites (logeant tous sur le même serveur) pour un seul visé. Le « blocage DNS » bloquerait l’intégralité du site et non pas seulement les pages incriminées. De plus, tous ces dispositifs sont finalement relativement aisés à contourner et pousseraient plutôt « les réseaux terroristes à complexifier leurs techniques de clandestinité, en multipliant les couches de cryptage et en s’orientant vers des espaces moins visibles du réseau », avait noté le Conseil national du numérique (CNN).
Mais, comme l’a justement souligné le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée, Sébastien Pietrasanta, « c’est de l’ordre de la volonté politique ».
Terrorisme… de la pensée unique
Là est sans nul doute l’ennui la mise en place d’un système « sécuritaire » outrancier qui peut à terme grignoter le peu de liberté d’expression qui nous reste. A promulguer en loi une situation d’exception – fermeture d’un site sans intervention d’un juge, d’une personne indépendante de l’État – on ouvre une boite de Pandore. On gage qu’elle servira à d’autres cibles que l’apologie de la pédophilie ou du terrorisme.
N’avons-nous pas vu fleurir depuis plusieurs semaines, le concept réactivé de « théorie du complot » ? Ce nouveau point Godwin médiatique qui fait arrêter tout net la discussion, devant la moindre tentative de remise en cause du discours officiel… Et des complotistes, l’on glisse facilement vers les sites d’information alternative, qui ne se plient pas à la pensée unique. Le Nouvel Obs et l’Express en ont fait, il y a quelques jours, des listes : la sphère catholique y est bien représentée.
Tout cela confirme – mais en avions-nous besoin ? – que la France est un censeur magistral en termes de liberté d’expression, alors même qu’elle s’enorgueillit de l’inverse. Cette nouvelle disposition est à mettre en parallèle avec l’article 20 de la loi de programmation militaire (LPM), publiée en douce le 24 décembre dernier, qui donne aux services de l’État un libre accès aux télécommunications (téléphone, SMS, Internet, etc.) des Français, et à toutes les informations qui transitent par les réseaux nationaux…