L’ancien président du Venezuela, Hugo Chavez, a eu le temps avant de mourir de voir surgir les prémisses du mouvement qui monte aujourd’hui en Espagne, « Podemos », affirme le Wall Street Journal. Chavez n’avait pas caché son enthousiasme, affirmant que les jeunes « Indignés » qui avaient brièvement occupé le centre de Madrid au plus fort de la crise européenne, étaient au service d’une « véritable démocratie » qui renverserait le système « capitaliste » de l’Espagne. Ces propos, tenus lors d’un entretien télévisé avec celui qui est aujourd’hui numéro deux et porte-parole du parti d’extrême gauche espagnol, Juan Carlos Monedero, étaient en réalité le couronnement de longues années de collaboration entre ce dernier et le régime marxiste de Caracas.
Monedero avait répondu qu’il était pleinement d’accord, saluant le Venezuela comme modèle de révolution socialiste : « L’Europe commence à regarder l’exemple que vous donnez. » Aujourd’hui, rentré en Espagne, Monedero est aux côtés de Pablo Iglesias et Iñigo Errejon à la tête de Podemos : les trois hommes ont, à divers degrés, joué le rôle de conseillers auprès de Hugo Chavez.
Chavez et Podemos : l’anticapitalisme et l’antiaméricanisme
On sait la fascination que celui-ci a pu exercer sur certaines milieux de la droite « nationale » en France. Hugo Chavez – avec la Russie, l’Iran, la Chine, ses alliés, la Syrie et quelques autres – était vanté comme le grand opposant à l’américanisme. Sa dictature était réputée bienfaisante, son succès était attribué à la lutte contre la corruption des partis en place, sa revendication de christianisme était prise au sérieux. « Marxiste et chrétien », comme il le disait, Chavez était en réalité en phase avec la théologie de la libération, multipliant les attaques contre le pape et les évêques du Venezuela qu’il accusait d’être au service de l’« oligarchie » et de l’opposition à sa révolution.
Près de deux ans après sa mort, sous la houlette du dauphin de Chavez, Nicolas Maduro, le Venezuela n’en finit pas de s’enfoncer dans la crise économique : la distribution des pétrodollars et les nationalisations massives n’ont pas empêché le marasme et aujourd’hui le Venezuela connaît l’inflation la plus forte de la planète.
Chavez et Podemos en Espagne, les mouvements populistes en Europe
La montée apparemment irrésistible de Podemos, à la manière du mouvement d’extrême gauche Syriza en Grèce, et – sous un autre angle – celle du FN en France où Marine Le Pen n’a pas hésité à souhaiter la victoire du parti d’extrême gauche et anti-européiste grec, se calque sur l’arrivée au pouvoir de Chavez. Le cocktail est similaire : rejet de l’« établissement », dénonciation de la corruption, de l’austérité, du pouvoir de l’argent qui impose son joug sur le peuple et le réduit à la misère, en privant les jeunes d’avenir. Les révolutions s’appuient toujours sur des problèmes réels… Mais les remèdes proposés sont pires que le mal, avec leur propre forme de tyrannie, leurs fausses promesses et l’aboutissement normal du socialisme étatiste : la pauvreté pour tous.
En Espagne, après avoir obtenu près de 8% aux élections européennes de l’an dernier, Podemos peut se targuer de rassembler plus du quart des intentions de vote en vue des élections générales qui auront lieu avant la fin de l’année : un peu devant, ou un peu derrière le Partido Popular conservateur au pouvoir. Les sondages ont de quoi inquiéter l’« établissement », puisque Podemos peut espérer s’allier avec le parti socialiste, les petits partis de gauche et les séparatistes de diverses régions espagnoles pour obtenir une majorité de gouvernement.
La « démocratie anticapitaliste » sur le modèle de Hugo Chavez
Les solutions que propose Podemos sont bien des rêves de la gauche, voire de l’extrême gauche : semaine de 35 heures, multiplication des allocations sociales, interdiction des licenciements pour les entreprises rentables, un système de santé totalement contrôlé par l’Etat, le contrôle étatique des banques et des moyens de communication. Coûteux programme qui provoquerait des mesures de rétorsion de la part des créditeurs de l’Espagne – et qui ne bénéficierait pas de revenus faciles comme les pétrodollars vénézuéliens…
A quoi s’ajouterait la révocation de l’amnistie des « crimes politiques » du franquisme, des référendums sur le maintien de la monarchie en Espagne et l’adhésion de celle-ci à l’OTAN, la possibilité de sécession des régions.
Organisé selon le principe du mouvement de Chavez, Podemos s’appuie sur quelque 500 « cercles de base » à travers le pays. Ce fait, ainsi que les liens tissés par les responsables du parti d’extrême gauche espagnol, incitent leurs critiques à mettre en évidence les similitudes et les rapprochements passés entre les deux mouvements. Des rapprochements qui pourraient aboutir, en cas d’arrivée au pouvoir de Podemos, à des soutiens mutuels diplomatiques – et davantage – de part et d’autre.
Malgré leurs liens, les leaders de Podemos se distancient de Chavez
Aujourd’hui Juan Carlos Monedero de Podemos prend soin de se distancier de Hugo Chavez : le « modèle » vénézuélien a de quoi inquiéter. Mais le Wall Street Journal rappelle nombre de faits qui méritent d’être connus. A commencer par la défense constante du régime marxiste de Chavez par ceux qui sont aujourd’hui figures de proue de Podemos. Ce sont des proches du défunt chef vénézuélien qui s’efforcent aujourd’hui de ne pas laisser oublier le rôle joué par Monedero dans le domaine idéologique auprès du chavisme. Sa première rencontre avec Chavez remonte à 2002, date à laquelle il débarque à Caracas pour faire du « tourisme révolutionnaire » et devient, selon l’un des proches du président, « membre de la tribu des intellectuels de la cour ».
Ce rôle n’ira pas sans gratifications diverses. De 2006 à 2009, alors qu’il partage son temps entre l’Espagne et le Venezuela, multipliant les passages à la télévision dans le pays sud-américain où il vante la politique locale comme un modèle à suivre par l’Europe, il est employé par le Centro Miranda qui emploie des « experts » au service du gouvernement de Chavez. En 2010 – Monedero l’a confirmé – il reçoit 425.000 euros pour un travail réalisé au service du Venezuela qui avec ses alliés de Bolivie, d’Equateur et du Nicaragua envisage le développement d’une monnaie unique pour l’Amérique latine. Comme c’est curieux…
Podemos et Syriza veulent bien rester dans l’eurozone
On notera que Podemos ne demande pas non plus la sortie de l’Espagne de l’eurozone.
Pablo Iglesias, leader du parti Podemos depuis novembre dernier, se garde lui aussi d’invoquer le modèle vénézuélien, préférant aujourd’hui citer l’exemple danois comme inspirateur de ses demandes politiques. Mais cet ex(?)-communiste de 36 ans qualifiait encore en 2012 le Venezuela de Chavez comme « l’une des démocraties les plus salutaires du monde ». En 2008, il avait intégré le conseil de direction de la Fondation Centre d’Etudes politiques et sociales (CEPS), financé à 60%, de 2004 à 2012, selon ses propres dires, par le gouvernement du Venezuela.
Iñigo Errejon, le troisième politologue à la tête de Podemos, rejoignait la même institution en 2013 : il devait le quitter l’an dernier, en même temps qu’Iglesias, après que les deux dirigeants du parti eurent été élus au Parlement européen. Tout comme Mondenero, Iglesias et Errejon se sont fréquemment rendus au Venezuela.
Le CEPS est toujours dirigé par un membre de Podemos, conseiller économique du parti : Alberto Montero. Selon des documents gouvernementaux espagnols auquel le Wall Street Journal affirme avoir eu accès le CEPS a reçu 3,7 millions d’euros du gouvernement du Venezuela pour réaliser entre autres de campagnes de relations publiques au service des programmes politiques de Chavez et d’enquêtes d’opinion au Venezuela, notamment. Podemos nie avoir été financé par le CEPS. Mais il y a pour le moins congruence idéologique de part et d’autre de l’Atlantique, et une « autre » forme de globalisme internationaliste qui en définitive, ne s’oppose pas frontalement et en tout à la mise en place d’un « Nouvel ordre mondial ».