Les miliciens chiites Houthis sont en passe de s’emparer du pouvoir au Yémen. Ils ont envoyés plusieurs milliers d’hommes et des dizaines de blindés sur une importante ville du centre, Taëz, mais visent également le port d’Aden, où se trouve réfugié le président Mansour Hadi. Et à l’ouest duquel se situe le détroit de Bab el-Mandeb, lieu de passage éminemment stratégique dans la lignée de Suez, qui fait passer de la Mer Rouge à la Mer d’Arabie via le golfe d’Aden et voit plus de 38% du trafic maritime mondial. La chiite Iran, soutien des Houthis, qui contrôle déjà le détroit d’Ormuz, corridor obligé d’une part immense des hydrocarbures mondiaux, ne le verrait pas d’un mauvais œil.
Mais d’autres tournent des regards très inquiets vers cette potentialité. La France, les États-Unis et le Japon qui disposent de moyens militaires à Djibouti, exactement en face de ce détroit de Bab el-Mandeb. L’Égypte, parce qu’il constitue l’accès au Canal de Suez – et sa porte de sortie. Israël, qui possède le port d’Eilat sur la mer Rouge. Et même l’Arabie saoudite qui pourrait voir compromises ses exportations de pétrole vers les marchés asiatiques…
Les Houthis chiites, l’Iran, mais aussi les terroristes sunnites…
Le conflit yéménite prendrait dès lors une dimension internationale. D’autant que l’Iran, en pleines négociations nucléaires houleuses avec l’Occident – la date butoir est le 31 mars et le consensus se grippe entre Washington et Paris – y gagnerait un moyen de pression supplémentaire. Reste à savoir jusqu’où va son influence sur le mouvement factieux chiite.
Le pays légal, lui, est hors course. Les autorités yéménites ont perdu le contrôle de la situation. De plus, les Houthis, en rébellion depuis 2004, ne sont pas les seuls à semer le trouble dans la région. L’État Islamique vient de revendiquer le terrible attentat de vendredi dans deux mosquées à Sanaa, qui a fait 142 morts. Et sa branche « matricielle », désormais concurrente, Al-Qaïda, en l’occurrence, Aqpa (Al-Qaïda dans la péninsule arabique), s’est emparée de la cité voisine d’al-Houta.
Pour ajouter à la débandade, Washington a sonné le départ, dimanche, pour des « raisons de sécurité », de ses dernières forces spéciales. Qui, depuis 2002, y menaient une campagne de lutte contre le terrorisme, en particulier de surveillance d’Aqpa et de formation des troupes de sécurité yéménites. Beaucoup – y compris les Américains – n’ont pas compris ce retrait complet qui minimise drastiquement leur capacité de surveillance des réseaux terroristes, non seulement dans le cadre du Yémen, mais dans celui de toute la péninsule arabique.
Le détroit de Bab el-Mandeb : pas d’ingérence !
Particulièrement pour l’Arabie Saoudite, le contrôle de la rive est du détroit de Bab el-Mandeb par les miliciens chiites – et en ligne de fond par l’Iran – est inconcevable. Le ministre yéménite des Affaires étrangères le sait, qui a lancé lundi un appel à l’aide aux pays du Golfe pour « intervenir militairement pour stopper l’avance des Houthis soutenus par l’Iran ». Si l’intervention du Bouclier de la péninsule, l’outil militaire du Conseil de coopération du Golfe, nécessiterait l’unanimité des six pays membres, le ministre saoudien des Affaires étrangères a néanmoins répondu qu’ils prendraient « les mesures nécessaires pour protéger la région (…) en l’absence de solution politique ».
Londres a également déclaré qu’elle souhaitait s’entretenir avec Riyad et Washington, pour faire en sorte de garantir la présidence d’Abd-Rabbou Mansour Hadi. Même si « aucun d’entre nous ne souhaite une action militaire »… Même son de cloche au Conseil de sécurité de l’ONU qui a appelé les États membres de l’organisation à s’abstenir de toute ingérence au Yémen.
Les Américains ont, dans la même veine, quitté le territoire yéménite. Une stratégie qui est à mettre en regard de leur volonté de rapprochement avec l’Iran, en dépit des récriminations de leur ancien et indéfectible allié, Benjamin Netanyahou…