La loi sur le renseignement, porte ouverte à la surveillance généralisée, adoptée par le PS, l’UMP et quelques autres

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L’Assemblée nationale a adopté à une très large majorité, mardi, le projet de loi relatif au renseignement, apportant à Manuel Valls et à son ministère de l’Intérieur, aux services spéciaux l’espoir de disposer bientôt d’un outil sans précédent pour surveiller les moindres faits et gestes de l’ensemble de la population. A l’heure où une bonne part de nos activités, achats, prises de rendez-vous et contacts divers passent par internet, on ne voit guère que le nourrisson et le béotien informatique adepte des paiements comptants pour échapper au contrôle permanent. L’UMP et le PS ont largement soutenu le gouvernement socialiste, permettant une adoption en première lecture à 438 voix contre 86.
 
Ceux qui ont le plus la liberté à la bouche se sont donc massivement retrouvés autour d’un texte qui comporte de lourdes menaces contre elle. 252 socialistes ont voté pour, seulement 10 contre (parmi lesquels Aurélie Filippetti, ancien ministre) et 17 se sont abstenus. Pas moins de élus 143 UMP ont approuvé le texte, parmi lesquels des élus qui s’étaient illustrés dans le combat contre le « mariage pour tous » : seuls 35 ont voté contre. On retiendra les noms de Laure de La Raudière, qui s’est beaucoup battue contre le texte, et ceux de Nicolas Dhuicq, Henri Guaino, Hervé Mariton, Jean-Frédéric Poisson et quelques autres. On compte 20 absentions.
 

PS et UMP largement d’accord pour adopter la loi sur le renseignement

 
A l’UDI, 17 voix pour et 11 contre (et 2 abstentions) témoignent d’un semblable engagement général au service de la surveillance généralisée. 7 sur les 9 non inscrits ont rejeté la loi sur le renseignement : Véronique Besse, Jacques Bompard, Gilbert Collard, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle, Marion Maréchal Le Pen et Thomas Thévenoud ont voté contre.
 
Le texte, porté par Jean-Jacques Urvoas, a été modifié par 260 amendements qui répondent – très partiellement – à certaines inquiétudes quant à la protection des libertés individuelles. Urvoas a déclaré que le projet en avait été « considérablement enrichi », ce qui ne manque pas de sel dans la mesure où il était près à faire voter une loi encore plus inquiétante.
 
Il reste l’essentiel de l’économie du texte : la suspicion systématique qui pèse sur tout internaute et engage les fournisseurs à coopérer avec l’Etat pour le traquer sur simple demande. Les opérateurs internet devront donc fournir, sans états d’âme, toutes les informations concernant les connexions, les recherches, les sites visités, les mots clefs utilisés, les destinataires des messages : les fameuses « boîtes noires » seront configurées pour prétendument « détecter », par un balayage continu de tout ce qui circule, les personnes qui seraient en train de préparer un attentat terroriste.
 

Les fausses assurances d’anonymat ne mettent pas en cause la surveillance généralisée

 
Ces « métadonnées » seront anonymes, expliquent les promoteurs du texte. Pas assez toutefois pour ne pas permettre l’identification de tout suspect rendu tel par le contenu et la nature de son activité sur internet.
 
Et puis, faut-il croire que des terroristes bien organisés passent par ce biais ? Il est vrai que la loi ouvre largement les portes à la surveillance physique : pose de caméras et de micros seront possibles pour la surveillance d’une personne soupçonnée, mais pas seulement celle-ci. Les personnes « appartenant à son entourage » pourront également être surveillées sur simple demande des services du Premier ministre s’il existe des « raisons sérieuses » de « croire » qu’elles ont « joué un rôle d’intermédiaire, volontaire ou non ». C’est large.
 
Ce sont au contraire les honnêtes gens qui seront la cible habituelle de ces surveillances qui sont loin de viser les seules entreprises terroristes et le crime organisé – entreprises qui, précisément, ont davantage le souci et les moyens d’échapper au contrôle.
 
On dira que les honnêtes gens n’ont rien à cacher. Peut-être – mais leur vie privée ne le sera plus ; et la personne qui n’a rien à craindre en ce mois de mai 2015 pourra demain être visée par une nouvelle loi des suspects dont on sait qu’elles ont déjà fonctionné de manière meurtrière, et même génocidaire, au cours de l’histoire. Les outils de pouvoir sont toujours utilisés…
 

La loi sur le renseignement, un passage obligé qui n’offre pas de garantie

 
On dira aussi que le pouvoir, peu scrupuleux, n’a pas véritablement besoin d’une loi pour opérer à sa guise. Mais même sous la tyrannie soviétique, l’existence de règles assurait un minimum de protection comme l’a montré par sa propre expérience un dissident comme Vladimir Boukovski ; il y a l’idée du pouvoir de se justifier par avance ; et puis la contrainte que de tels textes permettent d’exercer sur les fournisseurs d’internet, par exemple, pour accéder à des données personnelles.
 
Serait-on donc terroriste ou séditieux dans l’âme si l’on refuse ces opérations nécessaires – aux dires de la loi – à la protection de l’« indépendance nationale » ? Le premier objectif de la loi prêterait presque à sourire – n’était le tragique de la situation – si le pouvoir lui-même avait à cœur de protéger l’indépendance nationale… Ceux qui ont déjà si largement bradé la souveraineté n’ont décidément pas la moindre pudeur, lorsqu’ils prétendent la promouvoir sur le dos de citoyens ordinaires. Et si la liberté est d’abord le droit de choisir le bien, elle mérite amplement d’être défendue !
 
Un autre objectif fourre-tout, justifiant la mise en place de surveillance sur simple décision des services du Premier ministre, est « la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions ». A quand la fermeture de tous les sites monarchistes ?
 
Les amendements apportés par les députés ont prévu – ce n’était même pas le cas dans la première mouture – un peu plus de contrôle sur les pouvoirs exorbitants qui sont en voie d’être consentis au Premier ministre. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignements (CNCTR) aura un peu plus de pouvoir en amont et en aval des surveillances – mais de toute manière, ce sont les services du Premier ministre qui auront le dernier mot.
 
Quelques professions bénéficieront d’une protection à l’égard de la procédure d’urgence : pour les journalistes, les juges, les parlementaires, les avocats, il faudra dans tous les cas un avis – non contraignant – de la CNCTR. Et une décision du Premier ministre. Encore lui. Omniprésent. Comme si c’était lui – et là nous ne parlons même pas de Valls, mais de la fonction – qui allait assurer la protection des données confidentielles !
 

L’idéologie qui mettra la surveillance et le renseignement au profit du nihilisme

 
La grande question est pourtant celle-ci : pourquoi une majorité d’élus se soumet-elle à ces demandes exorbitantes du pouvoir alors que même les grands médias ont souligné leur dimension inquiétante et liberticide ? C’est au moins un avertissement : lorsque certains intérêts entrent en ligne de compte, le rouleau compresseur du pouvoir, qui se dirige dans une direction bien précise, n’a que faire de l’opinion publique, ni même de ceux qui la fabriquent.
 
Ils se lisent à la lumière d’une idéologie qui ne fait pas mystère de ses objectifs : arriver à la grande indifférenciation des pays, des générations et même des sexes, et du bien et du mal. Cette négation du réel s’accommode cependant fort bien d’un pouvoir – par essence infernal – qui maintient sur tout cela un couvercle des plus lourds. Il s’agit juste de s’en donner les moyens, étape par étape.
 

Anne Dolhein