Les techniques actuelles de reconnaissance faciale, de plus en plus sophistiquées, permettent de suivre chaque individu dans tous ses déplacements, autorisant une surveillance potentielle de tous les instants. Déjà utilisée par plusieurs Etats, la reconnaissance faciale intéresse aussi les entreprises – à commencer par Facebook – à des fins publicitaires notamment. La pratique est peu réglementée, et risque de le demeurer, aux Etats-Unis notamment où les pourparlers d’agences gouvernementales en vue de créer un code de conduite ont abouti à une impasse, les pouvoirs publics ayant refusé, selon les associations de protection de la vie privée, l’idée d’une autorisation préalable à toute identification d’un individu au moyen de la technique. L’Europe connaît une réglementation plus stricte, notamment pour les entreprises – mais pour combien de temps ?
Sur le plan de la surveillance gouvernementale, la reconnaissance faciale s’ajoute aux moyens déjà existants : les données des Smartphones, des paiements par carte de crédit et autres navigations nous pistent aussi bien dans le monde réel que dans le monde virtuel. Du moins est-il possible d’éviter ces moyens. La reconnaissance faciale, elle, couplée avec la surveillance vidéo omniprésente, rend la discrétion quasi impossible.
Plusieurs Etats ont déjà d’importantes bases pour la reconnaissance faciale
La police du Royaume-Uni possède une base (avouée) de 18 millions de clichés anthropométriques, tandis que le programme d’identification du FBI devrait étendre son fichier à 51 millions de photos d’ici à la fin de l’année.
Quelle est la précision de cette reconnaissance ? Elle est potentiellement énorme, puisque la « reconnaissance faciale » a déjà quelque chose d’obsolète. Facebook « tague » déjà les utilisateurs dans les photos téléchargées vers le réseau social, mais le programme permet en outre d’étiqueter les individus dos à la caméra, à partir de leur habillement et de leur posture. Ce que peut Facebook, les Etats le peuvent aussi… La reconnaissance faciale elle-même est de plus en plus précise, permettant d’identifier les personnes depuis une grande distance ou un angle obscur.
Olivia Goldhill observe dans le Daily Telegraph à quel point l’utilisation de la reconnaissance faciale devient « orwellienne ». Une importante chaîne de supermarchés au Royaume-Uni, Tesco, envisage de mettre en place des écrans capables de scanner les visages des clients qui passent, d’en déduire leur sexe et leur âge, et de cibler ses publicités à l’avenant.
Aux Etats-Unis, la société Face First propose aux détaillants de « créer une base de données des bons clients, de les reconnaître lorsqu’ils passent la porte, et de les aider à se sentir mieux à l’aise » : il s’agit clairement de les pousser à la dépense. Le logiciel promet également d’identifier des « individus litigieux » qui entreraient dans un magasin – l’histoire ne dit pas si c’est en collaboration avec la police.
Facebook suit ses utilisateurs par reconnaissance faciale, de face comme de dos
Il faut sans doute être américain pour inventer le logiciel « Churchix » : les responsables des Eglises sont invités à l’utiliser pour créer une base de données photographique de leurs membres qui leur permettra de suivre avec la plus grande précision l’assiduité des fidèles aux offices et autres événements communautaires, et d’obtenir des « données démographiques ». Il n’est pas dit si la technique permet d’évaluer la contribution aux quêtes… On est en tout cas aux antipodes du curé de campagne qui, connaissant ses brebis, passe un savon aux absents du haut de la chaire, le dimanche.
Que ce soit pour la surveillance policière ou le contrôle des frontières, la publicité ciblée ou les besoins de l’administration, le contrôle des fréquentations ou les convictions religieuses, la reconnaissance faciale est aujourd’hui sans doute l’incarnation la plus complète de Big Brother. Le personnage d’Orwell n’appartient plus au domaine de la fiction.
La beauté du système – du point de vue des « surveillants » – est qu’il suffit d’une photo pour prendre le contrôle. Le Pr Alessandro Acquisti, professeur des technologies de l’information à Carnegie Mellon University, explique : « La reconnaissance faciale permet aux tiers d’identifier les gens dans le monde “offline” sans qu’ils n’en aient conscience ni connaissance et sans leur consentement.
Comme l’observe le Pr Anne-Marie Oostveen de l’Oxford Internet Institute : « Les gens ont raison de s’inquiéter. » Dès qu’un visage est dans le système, il n’y a plus grand chose à faire : « Si vous avez des codes PIN vous avez toujours la possibilité d’en changer, mais votre visage vous appartient. Et vous n’avez aucun moyen de savoir à quoi servira l’information. »
Une pratique peu réglementée qui permet la surveillance sans conscience ni consentement
A gagner de l’argent d’abord ; et sans que les consommateurs n’aient jamais donné leur consentement.
Mais à terme, l’aspect le plus inquiétant de la surveillance sera le croisement des données, selon l’universitaire. Comparer les achats et les données de santé permettrait ainsi de savoir si vous mangez trop de chocolat pour « mériter » une prise en charge de problèmes de santé liés au surpoids… « On pourra vous refuser une police d’assurance ou ne pas vous recruter et vous ne saurez jamais pourquoi. Cela peut paraître extrême mais je crois que nous nous rapprochons du moment où de telles choses pourront se produire », dit-elle.
Faire confiance à la réglementation, dans ce contexte, semble illusoire. La surveillance étatique en tient-elle compte ? Cela reste à voir. Les utilisateurs commerciaux font pression pour qu’elle soit assouplie, en Europe notamment où ils doivent obtenir une autorisation avant d’utiliser des fichiers d’images pour la reconnaissance faciale. Pour le Pr Acquisti, on peut s’attendre à une forte pression de la part de l’industrie des données – les fameuses « Big Data » – pour leur faciliter l’existence.
Seule la mobilisation et la résistance du public permettra de contrer ce lobbying, selon l’universitaire. Encore faut-il être au courant. Partagez l’info !