Banques fermées, distributeurs de billets vides ou presque… Les Grecs se sont réveillés lundi avec le curieux sentiment d’habiter le château de la Belle au bois dormant, tandis que, en sous-main, le gouvernement essayait, malgré les réactions de Bruxelles, de tenir la dragée haute à ses créanciers internationaux, qui, face à la décision d’Alexis Tsipras de soumettre la situation à la réflexion de ses compatriotes en organisant un referendum, avaient décidé de donner un nouveau tour de vis. Quel que soit le sentiment qui prévaut aujourd’hui en Grèce vis-à-vis de l’Union européenne, la rupture semble consommée. Mais est-elle réelle ?
Il semble, en effet, que la question grecque se joue encore à deux niveaux. Celui d’un bras de fer aux conséquences immédiates et pratiques, notamment pour les habitants du pays. Ainsi, la Banque Centrale européenne ayant décidé dimanche de ne pas augmenter les liquidités permettant aux banques grecques de se maintenir à flot, le premier ministre grec a décidé dans la soirée de mettre en place un contrôle des capitaux pour empêcher les banques de s’effondrer face à une demande massive de retraits.
Au menu du référendum :les propositions faites à la Grèce
Et, par ailleurs, celui d’une réflexion, menée à tous les échelons, tant nationaux qu’européens, sur la réalité, politique plus encore qu’économique, d’un « Grexit », et la possibilité, voire l’intérêt de l’empêcher.
En proposant de soumettre par referendum la question au peuple grec, Alexis Tsipras a manifestement cru que, en injectant une dose de démocratie, au moins visible, dans un dossier qui souffre abondamment de son déficit, il pourrait contraindre ses interlocuteurs à plus de maniabilité. Or, si ses interlocuteurs ont manifesté quelque surprise, ils ont rapidement repris du poil de la bête pour lui signifier, toutes voix confondues, que son « chantage » ne signifiait rien. Et surtout, qu’il ne changerait rien !
L’économie, en effet, n’est que peu sensible à la psychologie des foules. La menace populaire, démocratique pour tout dire, n’y pourra rien. Si demain soir le pays n’a pas remboursé le milliard et demi qu’il doit au FMI, il se retrouvera en défaut avec, à la clef, le risque de devoir à terme quitter la zone euro.
Toujours discuter
Pour cette raison, et parce que le risque n’est pas moindre pour eux, les partenaires de la Grèce font pression auprès des électeurs grecs pour que la démocratie tourne en leur faveur. « La France est toujours prête à agir, mais elle ne peut le faire que s’il existe une volonté commune de parvenir à une solution, a déclaré François Hollande. C’est son choix souverain, (…) c’est la démocratie, c’est le droit du peuple grec de dire ce qu’il veut pour son avenir. »
De façon imagée, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a exhorté lundi les citoyens grecs à mesurer l’importance des concessions faites par leurs créanciers et à approuver le projet d’accord rejeté par leur gouvernement : « Il ne faut pas se suicider parce qu’on a peur de la mort ! » Pour le bien de l’Europe, bien sûr, à l’heure où le sentiment économique n’en finit plus de se détériorer dans la zone euro ; mais aussi, affirme-t-il, pour celui de la Grèce, parce qu’il ne veut pas voir « Platon jouer en deuxième division »…
En clair, la semaine, jusqu’au referendum prévu dimanche prochain, va paraître difficile à Alexis Tsipras. La question est, pour lui, fort simple : réussira-t-il à convaincre ses compatriotes ? Et de quoi les convaincra-t-il ?
D’une part, alors que ceux-ci sont déjà exaspérés par la fermeture des banques jusqu’à la semaine prochaine, et la limitation des retraits, il lui faut trouver la meilleure question à leur poser. Il ne peut pas, décemment, alors même qu’il n’y est pas favorable, et donc simplement pour faire pression sur Bruxelles, leur demander s’il convient de quitter l’Union européenne. Il ne peut non plus se risquer à poser une question trop technique, dont la difficulté risquerait de décourager l’électeur, voire le pousserait à répondre de travers. Qui plus est, la démocratie serait devenue un exercice trop complexe pour l’abandonner au caprice populaire d’un jour, comme nos politiques l’ont compris depuis le referendum français sur la Constitution européenne.
La rupture d’abord pour Tsipras
D’un autre côté, les derniers sondages, et les manifestations annoncées lui sont plutôt favorables. Et il serait donc dommage de n’en point profiter, non pour quitter l’Union européenne, mais pour réinvestir le débat auprès de ses partenaires avec une légitimité renforcée.
En clair, le premier ministre grec est sur la corde raide. Le coup de dés référendaire qu’il a lancé constitue très clairement un quitte ou double, dont il ne faudrait pas croire cependant que les deux plateaux de la balance sont équilibrés : il a le choix entre tout perdre, et ne pas gagner grand chose. Sauf à penser que, en face, on craint aussi les contrecoups de son opération actuelle. Mais le résultat, en tout état de cause, ne sera pas loin de rappeler le « Vae victis » de Brennos…
Les cent cinquante prochaines heures vont être bien longues !