Entre Londres et Berlin, Bernard Cazeneuve aura consacré sa journée de jeudi aux migrants. Il faut dire que la pression devient de plus en plus forte, non seulement de la part des pays frontières qui croulent sous les arrivées de plus en plus denses, non seulement de la part de Bruxelles qui insiste pour que les Etats-membres prennent en main la situation, mais tout simplement parce que, dans la plupart des pays européens, celle-ci est déjà délicate, pour ne pas dire catastrophique.
Jeudi matin donc, notre ministre de l’Intérieur a signé un accord avec son homologue britannique Theresa May, accord au terme duquel Londres consacrera dix millions d’euros sur deux ans pour améliorer la situation humanitaire à Calais. Cette ville française sert en effet, en quelque sorte, de base-frontière pour les Britanniques, une base où 3.000 migrants cherchent à rejoindre les côtes anglaises. Londres, en quelque sorte paie pour sa propre sécurisation.
… continue de payer, devrait-on dire, puisque l’an dernier le Royaume-Uni avait déjà versé quinze millions d’euros pour la sécurisation du port, et dix autres millions, début août, pour la sécurisation du tunnel.
Bernard Cazeneuve discute avec Londres de la question des migrants, et surtout de Calais
Outre la question financière, le nouvel accord prévoit aussi une série de mesures sécuritaires et humanitaires, parmi lesquelles l’installation de clôtures, de caméras de surveillance et le recrutement d’agents de sécurité supplémentaires chez Eurotunnel, le déploiement d’équipes supplémentaires de fouille du fret, ou des inspections de sécurité chaque semestre. Tout cela sous la responsabilité d’un centre de commandement et de contrôle réunissant des agents français et britanniques, établi à l’entrée du tunnel, afin de mieux lutter, nous dit-on, contre les filières de passeurs, ainsi que pour éloigner les migrants illégaux. La France serait-elle incapable de contrôler quelques milliers de migrants ? Ou la crise des migrants serait-elle instrumentalisée pour amoindrir encore le contrôle des Etats sur leurs frontières ?
Et vers où éloigner les migrants ? aurait-on envie de demander, mais on suppose que le ministre serait blessé par une telle question… notamment parce que ses statistiques lui permettaient d’affirmer jeudi que dix-neuf filières opérant vers le Royaume-Uni ont été démantelées depuis le début de l’année, contre 14 en 2014.
Mais la France n’entend pas se battre seule dans ce domaine. « La solution à cette crise ne saurait résider dans des initiatives nationales désordonnées, mais au contraire dans la coopération entre les Etats européens concernés », a déclaré Bernard Cazeneuve.
Et c’est là que le bât blesse, et pas seulement chez les politiques. Ainsi, le directeur de France terre d’asile déclarait-il peu après : « (…) il ne faut pas penser que ce nouvel accord va régler la question migratoire. »
L’appel de Berlin
C’est justement parce que le ministre a conscience des difficultés politiques – c’est déjà ça… – qu’il rencontrait jeudi après-midi son homologue allemand Thomas de Maizière.
Tout deux se sont mis d’accord pour pousser Bruxelles à accélérer, sur ce domaine, la mise en place d’une politique européenne commune. « Il est inacceptable que les institutions européennes continuent de travailler au rythme qui est actuellement le leur », a déclaré le ministre allemand.
Ils sont par ailleurs convenus que l’Italie et la Grèce avaient ainsi besoin d’une aide européenne considérable pour mettre en place des « zones d’attente » destinées aux migrants.
Quelle politique ?
Berlin est d’autant plus sensible à cette question que le gouvernement allemand estime que ce ne seront pas moins de 800.000 réfugiés qui arriveront au total sur son territoire cette année.
Mais, malgré tous les accords et discussions, il semble que les ministres ne sachent pas trop que faire. La fermeture des frontières et le refoulement des migrants ne sont pas même envisagés par les autorités nationales et européennes. Des « zones d’attente » ne sauraient constituer une politique… Pas plus que la réunion des ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur des pays européens que Paris compte organiser au mois… d’octobre.