A Istanbul (plutôt qu’à Ankara), Angela Merkel a donc rencontré dimanche le président turc Recep Tayyip Erdogan, alors que l’Union européenne négocie avec la Turquie pour qu’elle maintienne sur son territoire une part plus importante des migrants qui fuient, notamment, la guerre syrienne. Le donnant-donnant négocié par le chancelier allemand correspond point pour point à ce qu’elle avait affirmé quarante-huit heures plus tôt auprès de ses pairs lors du sommet européen.
Si la rencontre revêtait une réelle importance pour les Européens, il n’en avait pas moins pour le président Erdogan qui, dans une situation politique très instable, joue actuellement son avenir à deux semaines d’élections législatives importantes pour sa famille politique.
En Turquie, Angela Merkel négocie donnant-donnant
Le jeu était délicat pour Angela Merkel qui, déjà fortement critiquée en Europe, et tout spécialement en Allemagne, pour sa gestion de la crise des migrants, ne pouvait se payer le luxe d’avoir l’air de céder, au nom de l’Union européenne qui plus est, aux exigences qui, dans l’esprit d’Erdogan, doivent lui permettre de redorer un blason passablement terni.
Il faut bien cerner la subtilité de cet échange, pour percevoir que chacun des deux politiques en présence peut prétendre avoir gagné des points sans trop lâcher de lest. Angela Merkel, parce qu’elle s’est contenté d’échanger sur de possibles avancées politiques et économiques, contre la promesse turque de bloquer, sur son territoire, les migrants. Erdogan pour, à l’inverse, la même raison. Que lui importe, au fond, d’accueillir sur son vaste territoire un nombre important de réfugiés, s’il peut obtenir quelques subsides, et des avancées politiques qui feront de l’Europe son obligé.
D’ailleurs, sitôt clôt cet entretien, Angela Merkel a affirmé que le processus de candidature de la Turquie à l’entrée dans l’Union européenne allait connaître un nouveau « dynamisme », en commençant par la libéralisation du système de visas pour les Turcs souhaitant se rendre dans la zone Schengen.
Ou donnant-perdant ?
Histoire de renforcer la position turque, le premier ministre Davutoglu a joué, lui, sur la corde sensible : « Malheureusement, la Turquie a été laissée seule par la communauté internationale pour supporter ce fardeau » des réfugiés.
« L’important, a-t-il ajouté, est d’avoir une vision commune et de travailler ensemble pour lutter contre le transit des migrants et le trafic d’êtres humains. »
Cette formule a quelque chose d’inquiétant, comme une menace voilée. Non en ce que Angela Merkel aurait pu accepter quelques conditions secrètes ; l’affaire des visas est en soi une pression suffisante sur notre politique étrangère.
Non, ce qui constitue le risque majeur, en cette affaire, c’est que, si Ankara estime demain que le partenariat qui lui est proposé est insuffisant, il lui suffit de rouvrir ses frontières aux migrants qui ne demanderont pas mieux que de quitter son territoire.
Cette perspective est en soi suffisante pour réduire à pas grand-chose la stratégie européenne, les demandes du Grec Alexis Tsipras sur Chypre, et les fines analyses d’Angela Merkel.