Un sommet européen pour bloquer les migrants dans les Balkans

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Jean-Claude Juncker avait convoqué dimanche, à Bruxelles, un mini-sommet des pays européens les plus exposés à l’afflux de migrants qui transitent par les Balkans, afin de bloquer, de juguler « collectivement » cette crise migratoire, qui défie les capacités de ces pays, leurs structures, et les décisions prises jusqu’ici par Bruxelles.
 
Pour cette « plus grande coopération » des pays situés sur la route « dramatique » des Balkans, le président de la Commission européenne avait convié les dirigeants de dix Etats-membres (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Croatie, Grèce, Hongrie, Pays-Bas, Roumanie, Slovénie et Suède), mais aussi de trois pays qui n’appartiennent pas à l’Union : Albanie, Macédoine et Serbie.
 
Etaient également présents le Luxembourg, qui assure la présidence tournante de l’Union, le haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés Antonio Guterres, le président du Conseil européen Donald Tusk, l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex, et l’agence européenne pour l’asile EASO.
 

Un sommet européen pour bloquer les migrants dans les Balkans

 
Les participants à ce rendez-vous ne pouvaient plus se contenter d’étudier la question de la « relocalisation » des réfugiés au sein de l’Union européenne. Le constat est désormais fait que la plupart des Etats européens estiment avoir fait leur part, voire plus que leur part, en ce domaine qui est en train de les diviser durablement.
 
Et c’est bien parce que la situation appelle à « consolider l’Europe unie ou assister à la lente décomposition de l’Union européenne nbsp&», comme l’a déclaré dimanche le chancelier autrichien Werner Faymann, que Jean-Claude Juncker a décidé de résoudre le problème migratoire en amont, à travers « une approche collective transfrontalière », visant à rompre avec la « politique du laisser-passer ».
 
Respecter les règles : tel était, pour le président de la Commission européenne, le mot d’ordre, le leitmotiv.
 

Des accords très flous

 
Mais les règles sont trop floues. La déclaration finale ne fait état que d’accords sur des points précis : déploiement immédiat d’un contingent de 400 garde-frontière en Slovénie ; installation de 30.000 places d’accueil en Grèce cette année et 20.000 plus tard pour « retenir » les migrants nbsp;; d’autres places d’accueil, dans la même proportion, devraient être installées par le HCR dans les Balkans ; ligne téléphonique directe entre les cabinets des dirigeants de tous les pays concernés ; coopération pratique pour faciliter les réadmissions des déboutés du droit d’asile par les pays tiers ; etc.
 
Toutes ces mesures paraissent simples sur le papier, mais leur mise en œuvre nécessite une collaboration accrue entre pays qui ont déjà manifesté, tous ou à peu près, leur méfiance quant à la gestion de la crise migratoire par leurs voisins.
 
Car il ne s’agit plus ici d’un simple problème de vases communicants, qui présuppose que le trop-plein de certains se déverse dans l’espace vide d’autres. Aujourd’hui, tout le monde tire la sonnette d’alarme, se disant prêt, comme l’a fait le président slovène Borut Pahor, à prendre des mesures unilatérales s’il n’y a pas moyens de s’organiser avec les pays limitrophes.
 

L’espace Schengen au placard

 
Il y a pire, sans doute, dans l’esprit des technocrates bruxellois. Car l’ensemble de ces mesures vont, plus ou moins directement, à l’encontre des règles européennes. En pratique, en effet, ces mesures ne visent pas simplement à améliorer le contrôle aux frontières de l’Union européenne ; elles constituent en réalité une approbation, sans l’avouer, de la politique hongroise, c’est-à-dire un retour des contrôles aux frontières nationales en Europe. Et, de fait, la fin de l’espace Schengen.
 
On nous dira que ces dispositions ne doivent être qu’une entorse temporaire aux dispositions du système Schengen. Mais cette affirmation, éventuellement crédible il y a quelques mois, ne l’est plus guère à mesure que le temps passe. Il serait pour le moins naïf de croire que ces centaines de milliers, voire millions de migrants rentreront tous chez eux comme un seul homme, d’autant que la situation n’a pas l’air de s’améliorer dans les pays qu’ils fuient. Cela est encore plus vrai s’il s’agit de réfugiés. Plus le temps passera, plus ces gens s’intégreront… ou intégreront les habitants d’origine, dans les régions où ils se trouveraient majoritaires.
 
C’est sans doute plus vrai encore quand, ce lundi, le patron d’Airbus, l’Allemand Tom Enders, demande un marché du travail plus souple pour aider les réfugiés. Et, ne nous leurrons pas, améliorer les marges de son entreprise…
 
Que l’économie, que l’espace Schengen risquent d’en être durablement bouleversés apparaît comme une évidence. Il y a plus pourtant, car c’est l’Union européenne qui pourrait être atteinte, au moins dans son fonctionnement.
 
Le premier ministre grec Alexis Tsipras a pu se plaindre, dimanche, de l’absence de la Turquie autour de la table des négociations. La raison en est pourtant simple : Bruxelles négocie seule avec Ankara. Bruxelles, et Angela Merkel. Et la négociation ne tourne pas à l’avantage de l’Europe, puisque nous sommes sommés de payer fort cher des promesses dont il n’est pas même assuré que la Turquie les tiennent en définitive.
 

En clair, l’Union européenne se délite

 
Dans cette affaire, le Conseil des chefs d’Etat ne se prononce en rien. Les technocrates de la Commission sont seuls face aux Turcs. On remarquera aussi que, à l’occasion du sommet de dimanche, des pays extérieurs à l’Union ont été invités à se prononcer sur la politique à suivre, quand des Etats-membres n’étaient pas là. A commencer par la France…
 
Il est vrai que la présence de François Hollande n’aurait rien changé au débat. Mais là n’est pas la question. La réalité, c’est que, demain, nous pourrions bien être contraints de subir une politique plus ou moins décidée par des gens qui ne font même pas partie de l’Union européenne. Et nous n’aurons que le droit de nous taire !
 
En pratique, et même si elle se voile la face, l’Union européenne a, par nécessité pratique, bloqué d’elle-même certains de ses principes déclarés pourtant intangibles.
 
S’en relèvera-t-elle ?
 

François le Luc