Il fallait un discours – et pas des moindres. Lundi, devant le Congrès réuni à Versailles, les grands mots ont été de sortie, des mots jamais proférés, comme celui de « guerre ». Pourtant, il en manquait aussi, comme celui d’islamisme… Hollande s’est cantonné à dénoncer le terrorisme et à gonfler les biceps devant ce spectre odieux – et abstrait. Sa principale mesure ? Le raidissement du bras sécuritaire de l’État, l’inscription dans la Constitution d’un état d’urgence amélioré. Après l’entrée en vigueur d’un certain nombre d’outils légaux contre le terrorisme – qui n’ont pas fait grand-chose – il faut se demander à quoi cette dernière peut servir. On la compare déjà au Patriot Act américain.
Un discours martial à Versailles
Le ton n’est plus celui de l’après 7 janvier dernier. Charlie Hebdo, c’était avant tout des « valeurs »… sur lesquelles ont pu surfer toute la classe politique dans une bouffée de délire démocratique insensé. Le Bataclan ou la rue de Charonne, ce sont des visages, des sourires, des « non-engagés »… Il faut aux Français une autre consolation que des drapeaux ou des manifestations, un autre apaisement.
François Hollande a donc été très solennel, ce 16 novembre, et a promis, manu militari, d’« éradiquer le terrorisme » et de vaincre « la haine »… Que de noms abstraits pour s’en tenir à la surface polie des valeurs démocratiques de tolérance et d’accueil, sans jamais vouloir nommer la racine du mal ! Pourtant, paradoxalement, il a bien parlé de « guerre » – le mot revient comme une ritournelle – la menace du « pas d’amalgame » semble avoir disparu.
Un autre processus semble s’engager.
Des os à ronger pour l’opposition
Qu’a demandé et promis le chef de l’État, trois jours après ces attentats terriblement meurtriers ? S’il a parlé de frappes aériennes en Syrie, rien n’a été dit concernant d’éventuelles troupes au sol. Le projet est surtout politique et intérieur à la France. François Hollande a réclamé une révision des différents outils juridiques à la disposition du gouvernement pour lutter contre les menaces posées par le terrorisme : il veut renforcer l’arsenal sécuritaire français.
Il est tout d’abord revenu sur la politique engagée depuis une décennie de diminution des effectifs dans les forces de l’ordre, et a lancé la création de 5.000 postes dans la police et la gendarmerie, ainsi que 2.500 postes pour la justice et 1.000 pour les douanes. Place au « pacte de sécurité », qui prime dorénavant sur le « pacte de stabilité » (accords budgétaires européens) ! Du jamais entendu.
Il propose également une mesure présentée à plusieurs reprises, mais sans succès, par la droite et le Front National : la déchéance de la nationalité pour les binationaux en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou d’acte de terrorisme, « même si l’individu est né Français ». Une mini-révolution de la part d’un gouvernement de gauche…
296 perquisitions depuis samedi
Mais surtout, François Hollande a réclamé, lundi, « face à l’évolution des technologies et des menaces », l’extension à trois mois de l’état d’urgence, décrété dès vendredi soir. Et, attenant, une réforme de la Constitution pour « octroyer des pouvoirs exceptionnels au gouvernement et à la police » de manière plus aisée et plus directe.
Créé par une loi de 1955, déclaré en conseil des ministres, il correspond à un état juridique et logistique exceptionnel, qui accorde des droits spécifiques au ministre de l’Intérieur ainsi qu’aux préfets qui peuvent décider d’assignations à résidence, de réquisitions de biens et de personnes, ainsi que de perquisitions administratives (sans autorisation judiciaire) – 296 ont eu lieu depuis samedi. Mais droit leur est aussi donné, et Cazeneuve s’est moins étendu sur la question, d’interdire la circulation, de fermer des salles de spectacle, d’annuler des manifestations, contre l’immigration par exemple, ou encore de restreindre ou de contrôler la presse et les médias…
Un dispositif d’exception dont la durée ne peut légalement excéder douze jours – la dernière occurrence remonte à la guerre d’Algérie – mais que Hollande veut voir prolonger à trois mois. Un projet de loi va être présenté mercredi en conseil des ministres.
L’état d’urgence dans la Constitution
Et puis le mieux serait de carrément faire évoluer la Constitution en ce sens. Le chef de l’État l’a assuré : « Cette guerre d’un autre type appelle un régime constitutionnel nouveau ».
Il s’inspirerait, pour ce faire, du comité Balladur de 2007, qui proposait d’y inscrire directement l’état d’urgence – encore un projet de la droite – en réformant deux articles : l’article 36 qui régit « l’état de siège » et permet en particulier de transférer les pouvoirs civils de police à l’armée, ainsi que l’article 16 qui permet au président de la République de s’octroyer des « pouvoirs exceptionnels » lorsqu’une menace « grave et immédiate » pèse sur le pays.
En gros, notre président souhaiterait, « sans transférer les pouvoirs à l’autorité militaire » et « sans compromettre l’exercice des libertés publiques », bénéficier d’une sorte d’« état de crise » qui accorde à l’exécutif la possibilité de « prise de mesures exceptionnelles », sur un long terme.
Quelle réelle utilité de ce « Patriot Act » à la française ?
Du très flou ! Mais le projet semble clair dans leur tête. Et ils tiennent à ce qu’il passe. Preuve en est que pour une fois, personne n’a cherché à nous rassurer et à diminuer la réalité : Valls a même prédit « un conflit qui durera des mois, peut-être des années » et a promis dès samedi aux Français d’autres et proches attentats… Une autre manière de forcer la main.
Certes, il en est qui ont déjà montré leur résistance. Le député écologiste Noël Mamère a déclaré « que les États d’exception [étaient] dangereux pour les libertés ». Et surtout, les Républicains, majoritaires au Sénat, se sont prononcés contre cette révision constitutionnelle. Mais gageons que le chœur politique unanime réclamé par le gouvernement aura, tôt ou tard, raison de leurs atermoiements – le prochain attentat les fera mécaniquement montrer d’un doigt vengeur…
Ce projet de réforme est double : il prouve aux Français que la réaction est là et que les muscles étatiques fonctionnent toujours. Il fournit aussi et surtout le prétexte d’instaurer dans le texte un outil de surveillance d’exception permanent, une sorte de « Patriot Act » à la française qui ne fera pas que s’occuper des poseurs de bombes. Il suffit d’apprécier l’efficacité des différents dispositifs de lutte contre le terrorisme, mis en place par Cazeneuve depuis deux ans…