Le grand salon de l’électronique de Las Vegas dont nous avons parlé dans notre édition d’hier a pour vocation, derrière la mise en valeur des innovations techniques, d’habituer les consommateurs, et plus spécialement les enfants, à un monde radicalement nouveau. Programmer l’inhumain, tel est l’objet de cette véritable révolution.
Certains des robots présentés au public savent mettre des formes géométriques (des polyèdres réguliers) dans des anneaux, ou bien jouer du xylophone, comme le ferait un enfant sous la direction d’un enseignant. Leur fonction est double. Ils habituent d’une part doucement les plus petits, donc les plus malléables, à l’intrusion de la machine, donc du non humain, et même du non vivant, dans sa vie intime. Donc à une pensée et une motricité qui sont fondamentalement différentes de celles de leurs camarades, parents, ou animaux favoris. D’autre part, ils soumettent en quelque sorte les enfants à la pédagogie de l’ordinateur, qui enseigne au petit les mouvements qu’il doit faire et les activités auxquelles il doit se livrer. Non seulement l’artificiel se mêle intimement au vivant, mais il prend le pas sur celui-ci.
Une révolution non aversive
Il s’agit de promouvoir et de programmer l’inhumain en douceur, par le biais du jeu éducatif, sous le pavillon flatteur de la science et de la technique : c’est une révolution complète des mœurs et même de la façon dont l’homme perçoit son environnement et se perçoit lui-même. Elle est plus fondamentale qu’une révolution politique, et très efficace par le fait même qu’elle est non aversive, comme disent les spécialistes : elle ne provoque nulle réaction puisqu’elle n’est pas perçue comme telle ni reçue pour agressive, et laisse à celui qui en est la victime l’illusion d’une totale liberté. En fait, il s’agit d’une restructuration de l’homme et de ses activités. Dans la Russie communiste, restructuration se disait Perestroïka.