Magnifique : l’homélie prononcée par l’abbé Paul Scalia à l’occasion des funérailles de son père Antonin

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Les fils et les gendres de M. Scalia ont transporté son cercueil recouvert du drapeau américain jusque dans la Basilique du sanctuaire national de l’Immaculée Conception à Washington à l’occasion du service funèbre en l’honneur du magistrat décédé subitement à l’âge de 79 ans.

 
Devant des milliers de fidèles réunis dans la plus grande basilique des Etats-Unis, le Sanctuaire national de l’Immaculée Conception à Washington – et des cardinaux, des évêques, des prêtres – l’abbé Paul Scalia a prononcé l’homélie à l’occasion des funérailles de son père, le juge Antonin Scalia, qui laisse un grand vide à la Cour suprême des Etats-Unis. Ce magnifique sermon a fait une très forte impression non seulement sur ceux qui assistèrent aux obsèques (mais non Barack Obama, fortement critiqué pour son absence) mais sur l’Amérique entière, puisque les images et le texte en ont été très largement diffusés.
 
A juste titre. L’abbé Scalia, empreint d’une sérénité surnaturelle, a su trouver des mots qui ont une portée pour chacun. Des mots sur la foi et les fins dernières, le vrai sens de la vie, la véritable espérance qui est la nôtre, sans paroles lénifiantes, sans fausse consolation, mais d’autant plus forts car appuyés sur l’insondable miséricorde de Dieu. Sans utiliser le terme, l’abbé Scalia a rappelé la réalité du purgatoire.
 
On peut voir une vidéo complète de l’homélie ici.
 
Comme le juge Scalia, habitué de la messe traditionnelle, l’abbé Scalia est connu pour son attachement à la dignité de la liturgie, et il est lui-même connu pour avoir célébré à l’occasion selon la forme extraordinaire du rite latin. Il est prêtre diocésain à Arlington, en Virginie.
 
En ce temps de carême, nous vous proposons ici le texte complet de cette homélie exemplaire, montrant que la foi et la sphère publique ne sont pas antinomiques, et que la grande affaire de chaque vie, c’est le salut. – A.D.
 

L’homélie de l’abbé Paul Scalia

 
« Nous sommes réunis ici à cause d’un seul homme. Un homme que beaucoup d’entre nous connaissons personnellement, que beaucoup d’autres ne connaissent que de réputation, un homme aimé par un grand nombre, raillé par d’autres, un homme connu pour de grandes controverses, et pour sa grande compassion. Cet homme, évidemment, c’est Jésus de Nazareth.
 
C’est Lui que nous proclamons : Jésus-Christ, Fils du Père, né de la Vierge Marie, crucifié, enseveli, ressuscité, assis à la droite du Père. C’est à cause de Lui, à cause de sa vie de sa mort et de sa résurrection que nous ne pleurons pas comme ceux qui n’ont pas d’espérance, mais en toute confiance nous recommandons Antonin Scalia à la miséricorde de Dieu.
 
L’écriture proclame : Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui et pour toujours. Et cela fixe un bon cadre à nos pensées et à nos prières ici, aujourd’hui. En effet, nous regardons dans trois directions : vers hier, en action de grâce, vers aujourd’hui, dans un esprit de supplique, et vers l’éternité, avec espérance.
 

Les bénédictions de Dieu sur le juge Antonin Scalia

 
Nous regardons vers Jésus-Christ hier, c’est-à-dire vers le passé, en action de grâces pour les bénédictions de Dieu a déversées sur Papa. Au cours de cette dernière semaine, beaucoup ont dit tout ce que Papa a fait pour eux, mais ici, aujourd’hui, nous proclamons ce que Dieu a fait pour Papa ; comment Il l’a béni. Nous rendons grâce d’abord, pour la mort expiatoire et pour la résurrection de Jésus-Christ qui donne la vie. Notre Seigneur n’est pas seulement mort et ressuscité pour nous tous, mais pour chacun d’entre nous. Et en ce moment nous regardons vers cet “hier” de sa mort et de sa résurrection, et nous rendons grâces, car Il est mort et ressuscité pour Papa. Nous rendons grâces encore parce que Jésus l’a amené à une nouvelle vie dans le baptême, l’a nourri par l’Eucharistie, et l’a guéri au confessionnal. Nous rendons grâce de ce que Jésus lui ait accordé cinquante-cinq années de mariage avec la femme qu’il aimait –une femme qui était à sa hauteur à chaque pas, et qui pouvait même lui demander des comptes.
 
Dieu a béni Papa en lui donnant une foi catholique profonde – la conviction que la présence et la puissance du Christ continuent à se répandre dans le monde d’aujourd’hui à travers son Corps, l’Eglise. Il aimait la clarté et la cohérence de l’enseignement de l’Eglise. Il tenait les cérémonies de l’Eglise pour un trésor, spécialement la beauté de son culte antique. Il avait confiance en la puissance des sacrements en tant que moyen du salut – en tant qu’œuvre du Christ en lui pour son salut.
 
Il est vrai qu’une fois, un samedi après-midi, il m’a grondé pour avoir entendu des confessions cet après-midi-là, ce jour-là. Et j’espère qu’il y a quelque consolation (s’il y a des hommes de loi présents) à savoir que le col romain n’a été en rien une protection contre ses critiques. Le problème ce soir-là n’était pas que j’avais entendu des confessions, mais qu’il s’était trouvé faire la queue devant mon confessionnal. Il en est vite parti. Comme il l’a dit plus tard : “Diantre – je ne vais quand même pas me confesser à toi !” Ce sentiment était réciproque.
 

Aux funérailles du juge Scalia, se souvenir que la foi a un rôle à jouer dans la sphère publique

 
 Dieu a béni Papa, on le sait bien, en lui donnant l’amour de son pays. Il savait bien combien délicate avait été la fondation de notre nation. Et il voyait dans cette fondation, comme les fondateurs le voyaient eux-mêmes, une bénédiction. Une bénédiction qui est tôt perdue lorsque la foi est bannie de la sphère publique, ou lorsque nous refusons de l’y amener. Il comprenait donc qu’il n’y a pas d’opposition entre l’amour de Dieu et l’amour de son pays, entre la foi d’un homme et le service public qu’il peut rendre.  Papa comprenait que plus il approfondissait sa foi catholique, meilleur il devenait comme citoyen et comme serviteur public. Dieu l’a béni en lui donnant le désir d’être un bon serviteur du pays, parce qu’il était d’abord un bon serviteur de Dieu.
 
Nous autres, les Scalia, nous rendons cependant grâce pour une bénédiction particulière que Dieu a donnée. Dieu a donné à Papa la bénédiction de l’amour pour sa famille. Nous avons été profondément remués en lisant et en entendant tous ces mots d’éloges et d’admiration à son égard, pour son intelligence, ses écrits, ses discours, son influence, et tout le reste. Mais plus important pour nous, et pour lui, est le fait qu’il était Papa. Il était le père que Dieu nous a donné pour la grande aventure de la vie familiale. Oui bien sûr, il oubliait nos noms par moment, ou bien il les mélangeait ; mais c’est vrai aussi que nous sommes neuf ! Il nous aimait et cherchait à nous montrer cet amour, et il cherchait à partager la bénédiction de la foi qui était son trésor. Il nous a donnés les uns aux autres, afin que nous puissions compter sur le soutien des uns pour les autres. C’est la plus grande richesse que les parents puissent donner, et en ce moment nous sommes particulièrement reconnaissants.
 
Alors nous regardons vers le passé, vers Jésus-Christ, hier. Nous nous rappelons toutes ses bénédictions, et nous rendons à Notre Seigneur honneur et gloire pour elles, car elles sont son œuvre.
 

Prier pour les morts : la leçon de l’homélie pour les funérailles du juge Scalia

 
 Nous regardons vers Jésus aujourd’hui, en suppliant, en ce moment présent, ici et maintenant, alors que nous pleurons celui que nous aimons et admirons, celui dont l’absence nous fait mal. Aujourd’hui nous prions pour lui. Nous prions pour le repos de son âme. Nous remercions Dieu de sa bonté à l’égard de Papa, ainsi qu’il est bon et juste. Mais nous savons aussi, que si Papa croyait, il le faisait de manière imparfaite, comme nous tous. Il essayait d’aimer Dieu et son prochain, mais comme nous tous, il le faisait de manière imparfaite. Il était un catholique pratiquant, pratiquant au sens où cela n’était pas parfait. Ou plus exactement, au sens où Jésus n’avait pas encore perfectionné cela en lui. Et seuls ceux que le Christ a amenés à la perfection peuvent entrer au ciel. Nous sommes donc ici afin de faire monter nos prières pour obtenir cette perfection, cette œuvre finale de la grâce de Dieu,  pour qu’elle libère Papa de toute encombre du péché.
 
Mais ne me prenez pas au mot. Papa lui-même, on n’en sera pas surpris, avait quelque chose à dire là-dessus. Dans une lettre écrite il y a des années à un ministre presbytérien dont il avait admiré un service funéraire, il a assez joliment résumé les écueils des funérailles et pourquoi il n’aimait pas les éloges funèbres. Il écrivait : “Même lorsque le défunt était une personne admirable, je dirais même, spécialement lorsque le défunt était une personne admirable, l’éloge de ses vertus peut nous amener à oublier que nous prions et rendre grâce pour l’inexplicable miséricorde de Dieu à l’égard d’un pêcheur.”
 
Il n’aurait pas fait exception pour lui-même. Nous sommes donc ici, comme il l’aurait voulu, pour prier afin d’obtenir l’inexplicable miséricorde de Dieu à l’égard d’un pécheur, à l’égard de ce pécheur, Antonin Scalia. N’allons pas lui montrer un amour faux, en permettant que notre admiration le prive de nos prières. Nous continuons de lui montrer notre affection et de lui faire du bien en priant pour lui : afin que toutes les taches du péché soient lavées, que toutes les blessures soient guéries, qu’il soit purifié de tout ce qui n’est pas le Christ. Qu’il repose en paix.
 

Le magnifique rappel des fins dernières par Paul Scalia à l’occasion des funérailles de son père

 
Enfin nous regardons vers Jésus, pour toujours, vers l’éternité. Mieux, nous considérons notre propre place dans l’éternité, en nous demandant si elle sera auprès du Seigneur. Au moment même où nous prions pour Papa afin qu’il entre rapidement dans la gloire éternelle, nous devons prendre garde à nous-mêmes. Chaque enterrement nous rappelle combien le voile est ténu, entre ce monde et l’autre, entre le temps et l’éternité, entre l’occasion qui nous est donnée de la conversion et le moment du jugement. Ainsi, nous ne pouvons pas partir d’ici sans avoir été changés. Cela n’a pas de sens de célébrer la bonté de Dieu et sa miséricorde si nous nous ne sommes pas attentifs à ses réalités dans nos propre vie et si nous n’y répondons pas. Nous devons permettre à cette rencontre avec l’éternité de nous changer, de nous détourner du péché et de nous tourner vers le Seigneur. Le père dominicain anglais, le P. Bede Jarrett, l’a dit magnifiquement dans sa prière : “O puissant fils de Dieu… pendant que vous nous préparez une place, préparez nous aussi en vue de cette place heureuse, afin que nous puissions être avec vous et avec ceux que nous aimons pour toute l’éternité.”
 
Jésus-Christ est le même hier, aujourd’hui et pour toujours. Mes amis, c’est aussi la structure de la messe, la plus grande prière que nous puissions offrir pour Papa, car ce n’est pas notre prière, mais celle du Seigneur. La messe se tourne vers Jésus hier. Elle touche le passé, la Dernière Cène, la crucifixion, la résurrection, et elle rend ces mystères et leur puissance présents ici, sur cette autel. Jésus lui-même devient présent ici aujourd’hui, sous la forme du pain et du vin, afin que nous puissions unir toutes nos prières d’action de grâces, de douleur et de supplique au Christ lui-même, comme une offrande au Père. Et tout cela, en vue de l’éternité – nous élançant vers le ciel – où nous espérons jouir de cette union parfaite avec Dieu lui-même et revoir Papa, et de nous réjouir avec lui dans la communion des saints. »
 

Anne Dolhein