On peut dire que la baronne Sayeeda Warsi, vice-présidente du Parti conservateur britannique et ministre de David Cameron de 2010 à 2014 – avant de donner sa démission pour protester contre la politique du gouvernement par rapport au conflit israélo-palestinien – a réussi son intégration. Née de parents pakistanais en Angleterre, elle a fait ses études, est devenue avocat et a été anoblie à vie en 2007, date à laquelle elle est entrée à la Chambre des lords. Elle vient de prôner l’adaptation de l’islam au mode de vie britannique. Elle que la revue de l’Etat islamique Dabiq qualifie d’apostate s’inscrit pleinement dans la marche vers la restructuration de l’islam, allant plus loin encore que le Maréchal al-Sissi vers la mise en place progressive d’une religion compatible avec le relativisme moderne. Sans appeler à une religion syncrétiste, ses propositions y tendent, de manière d’autant plus forte qu’elle se présente elle-même comme une musulmane convaincue.
Cela n’est pas marginal : on la considère comme la musulmane la plus influente du Royaume-uni.
C’est dans le paisible jardin à l’arabe construit à l’origine pour abriter des tombes de soldats musulmans se battant sous le drapeau britannique et tombés lors de la Première guerre mondiale, aujourd’hui transformé en « Jardin de Paix » avec le concours du think tank British Future, que la baronne Sayeeda Warsi a plaidé pour un islam à « couleur » chrétienne.
La restructuration de l’islam doit aboutir à une version anglaise
La scène se passe à Woking, à proximité de la banlieue sud-ouest de Londres, dans le verdoyant Surrey : la ville accueille également la première mosquée jamais construite en tant que telle sur le sol britannique.
Cet islam à l’anglaise, Sayeeda Warsi le rêve totalement fidèle à la tradition spirituelle musulmane, mais s’exprimant à la manière des anglicans de souche. Il pourrait s’inspirer du chant choral propre aux célébrations chrétiennes en Angleterre pour mettre en musique les versets coraniques récités lors des prières rituelles, pense-t-elle. D’ailleurs, la chorale d’une école locale interprétait sur place des « hymnes » musulmans sur des mélodies traditionnelles anglaises…
Les mosquées, elles, pourraient s’inspirer sur le plan architectural des églises multiséculaires qui ponctuent des paysages anglais. On les construirait sans minaret afin de les faire ressembler aux lieux de culte qui sont la « quintessence » de l’architecture religieuse britannique : l’église paroissiale du village.
Intégration, ou assimilation à l’envers ? La question est posée. Il s’agit en tout cas de faire fondre les musulmans dans le paysage, ce qui est une manière de le faire leur.
La baronne Sayeeda Warsi préside une “garden party” syncrétiste
D’ailleurs la réunion de British Future s’est tenue dans un cadre typiquement anglais. Lady Warsi recevait ses hôtes sous une marquise pour un tea party on ne peut plus britannique, avec thé et petits fours… que l’on suppose halal. Elle a expliqué que « les sondages récents ont indiqué que les communautés ethniques minoritaires en Angleterre se sentent plus fortement liées à la “britannitude” qu’au sentiment d’appartenance anglais ».
Dans la foulée du Brexit, elle considère urgente la constitution d’un sentiment d’identité nationale, en utilisant les « espaces physiques que nous partageons tous ».
Pour le Dr Avaes Mohammad, de British Future, les musulmans s’identifient généralement avec un islam britannique. « Mais l’union paraît désormais plus fragile et le sentiment d’appartenance à la société anglaise croît en importance : peut-être avons-nous également besoin d’un islam anglais. Une identité nationale inclusive peut aider à nous rassembler en tant que société. Et pour que cela se produise, ce sentiment d’appartenance va devoir paraître ouvert aux minorités ethniques et religieuses », a-t-il dit.
Car oui, évidemment, c’est aux Anglais de rendre possible ce rapprochement et donc en réalité de renoncer à leur spécificité pour la rendre accessible à l’islam, même si celui-ci doit se plier à un mode d’expression différent.
L’islam à l’anglaise, avec chorale de village et clochers traditionnels…
Mohammad a ajouté que l’islam n’est pas arrivé très récemment sur le sol anglais avec les migrants du sud-est asiatique venus dès la fin de la Seconde Guerre mondiale : « Son héritage ici est bien plus ancien. Il comprend les convertis de l’ère victorienne qui ont ouvert les premières mosquées anglaises ainsi que les 400.000 musulmans qui ont combattu pour le Royaume-Uni au cours de la Première Guerre mondiale », a-t-il expliqué, indiquant qu’il s’agit là d’autant de facteurs qui doivent faire comprendre à tous, musulmans ou non, le pays multi-ethnique et multi-religieux qu’est devenue la Grande-Bretagne aujourd’hui.
Sous le titre « Un islam très anglais », la réunion du 14 septembre marque certainement un tournant en Angleterre, à mi-chemin entre taqiyya et adaptation syncrétique.
Comme l’a expliqué Sayeeda Warsi, flanquée de John Denham, ancien ministre travailliste, et d’Aaqil Ahmed, chef du service Religion et éthique de la BBC : « J’ai toujours décrit l’islam comme une rivière, qui prend sa couleur du lit où elle coule : mon islam coule sur le Yorkshire et sur l’Angleterre. Il est donc juste qu’avec le temps, à mesure que l’islam prend la couleur de l’espace où il se trouve, il commence à refléter une “anglicité” très évidente. »
« Pour que cela se produise, la majorité doit bien sûr avoir un sens aigu de sa propre identité », note le site de British Future. Ou comme la dit la baronne Warsi : « Le lit de la rivière doit savoir ce qu’il représente. Si le lit est d’un gris un peu trouble et ne sait pas vraiment ce qu’il représente, alors mon islam sera tout aussi confus, d’un gris trouble. Pour que les minoritaires se sentent réellement à l’aise par rapport à ce qu’elles sont, la majorité doit savoir clairement qui elle est… Une Europe sûre de son héritage chrétien est un endroit beaucoup plus facile pour être musulman. »
La baronne Warsi au service d’un islam allégé, ou conquérant ?
Derrière les paroles finalement vides de sens – un pays pleinement conscient de son héritage chrétien n’est pas compatible avec l’islam, qui est une théocratie totalitaire ! – il y a un propos très clair : une volonté de rassurer, une volonté de peser aussi en vue d’obtenir un engagement des Britanniques majoritaires en vue de rendre leur anglicité accueillante vis-à-vis de l’islam, en même temps que les musulmans doivent être à l’aise dans leur nouvelle anglicité.
Timothy Winter, professeur d’études islamiques à l’université de Cambridge, avait également fait le déplacement. La pensée islamique ne s’oppose nullement à un tel rapprochement, a-t-il expliqué. « Un islam britannique local, ou toute une série d’islams britanniques, est authentique sur le plan religieux et même obligatoire. Les manuels de charia classiques nous disent que la coutume et les précédents locaux peuvent être incorporés dans la vie musulmane, à moins de contredire évidemment une vérité de l’Ecriture. Seul le fondamentalisme de type wahhabite écarte cette normativité musulmane », a-t-il déclaré.
L’histoire et la pratique de l’islam montrent au contraire que l’adaptation des coutumes locales se fait dans le sens d’une adéquation à l’islam. Partout dans le monde, les chrétiens sont au pire persécutés, au mieux considérés comme des dhimmis dès lors que l’islam prend la main. Cela est dans la logique du Coran, mais aujourd’hui de manière nette, un courant nouveau vise plutôt à attirer les chrétiens historiques, au demeurant peu soucieux de rectitude doctrinale et de pratique assidue, vers le giron d’un islam allégé – et sans doute illusoire, à la fin.
Car s’il est intellectuellement concevable par une minorité progressiste, nul ne saurait dire si, confortablement installé dans les pays encore étranger à l’Oumma, il resterait tel. Le mondialisme islamique et le mondialisme tout court peuvent avancer de front, mais qui prendra le pas sur l’autre ?