« Bienvenue en 2030. Bienvenue dans ma ville – ou devrais-je dire, « notre ville ». Je ne possède rien. Je ne possède pas de voiture. Je ne possède pas de maison. Je ne possède aucun appareil électroménager, ni vêtement. » Voilà le rêve éveillé d’une parlementaire danoise, Ida Auken. Un rêve communiste, puisqu’elle vante les mérites d’une société sans propriété privée. Un rêve futuriste, aussi, où tout est « connecté », où il n’y a pas non plus de vie privée. « Bienvenue… la vie n’a jamais été meilleure. »
Cette projection dans le futur est tout sauf une mise en garde devant l’invasion de la technique de la surveillance. Ida Auken semble sincèrement convaincue d’avoir découvert des lendemains qui chantent. Mme Auken n’est pas non plus une hurluberlue quelconque : elle a été ministre de l’environnement du Danemark de 2011 à 2014, et elle a tenu de multiples postes politiques, jouant « un rôle essentiel dans le façonnement de la politique environnementale danoise ». Tel est l’avis du site du Forum économique mondial – le World Economic Forum de Davos – qui a jugé bon de publier cette tribune.
En finir avec la possession : le rêve communiste relayé par le Forum économique mondial
On y apprend qu’Ida Auken, socialiste, est par ailleurs diplômée de théologie de l’université de Copenhague, où elle a siégé dans le comité directeur du département de la théologie ; elle fait en outre partie des réseaux féministes de Madeleine Albright.
Son rêve éveillé part de l’idée que tout ce que nous considérons aujourd’hui comme produit deviendra demain service : qu’il s’agisse des transports, du logement, de la nourriture ou de toute autre chose dont on peut avoir besoin dans la vie quotidienne. « Une par une, toutes ces choses sont devenues gratuites, alors au bout du compte cela n’avait plus beaucoup de sens de posséder beaucoup », écrit Ida Auken.
Un monde de Schtroumpfs, en somme, où tout serait à la disposition de la communauté, depuis la communication digitale jusqu’aux voitures sans chauffeur ou volantes fonctionnant à l’énergie verte quasi gratuite et vous menant au pas de votre ( ?) porte en quelques minutes. Adieu les embouteillages ! « Aujourd’hui je peine à croire que nous avons pu accepter les routes surchargées et les bouchons, sans même parler de la pollution produite par les moteurs à combustion. A quoi pensions-nous ? »
« Dans notre ville on ne paie pas de loyer, car quelqu’un d’autre utilise notre espace libre lorsque nous n’en avons pas besoin. Mon salon sert à des rencontres d’affaires lorsque je ne suis pas là », imagine l’ancien ministre. « Une fois ou l’autre, je vais choisir de faire ma propre cuisine. C’est facile : l’équipement nécessaire m’est livré en quelques minutes. Depuis que le transport est devenu gratuit, nous avons cessé d’avoir tous ces engins entassés dans notre domicile… » Le reste du temps, c’est donc la restauration commune à volonté. La fin du foyer, en somme.
Ida Auken, parlementaire danoise, prête à renoncer à toute vie privée
La Mme Auken de 2030 ne fait guère de lèche-vitrine. Elle se contente de choisir ce qu’elle va provisoirement utiliser. « Parfois je trouve que c’est amusant, et parfois je laisse simplement faire l’algorithme. Il connaît mes goûts mieux que moi aujourd’hui. »
Tout cela, c’est le bénéfice de l’intelligence artificielle et des robots : Ida Auken leur est reconnaissante de lui donner le temps de bien manger, de bien dormir, et de passer du temps avec les autres. « Le concept de l’heure de pointe n’a plus de sens, puisque le travail que nous faisons peut être fait à n’importe quel moment. Je ne sais pas vraiment si je peux encore appeler cela du travail. C’est plus un temps pour penser, un temps pour créer, un temps pour développer. »
N’y a-t-il pas d’ombre à ce tableau ? Du point de vue d’Ida Auken, si : « Ma principale préoccupation concerne les gens qui ne vivent pas dans notre ville. Ceux que nous avons perdus en route. Ceux qui ont décidé que tout cela, toute cette technologie était de trop. Ceux qui se sont sentis obsolètes et inutiles lorsque les robots et l’intelligence artificielle ont pris la plus grande partie de nos métiers. Ceux qui ont été chagriné par le système politique et qui se sont retournés contre lui. Ils vivent des vies différentes, en dehors de la ville. Certains ont formé des petites communautés autarciques. D’autres sont simplement restés dans les maisons vides et abandonnées des petits villages du XIXe siècle. » Les parias…
L’avenir connecté laissera au bord de la route les parias récalcitrants
Ida Auken conclut : « De temps en temps, je suis irritée par le fait que je n’ai pas vraiment de vie privée. Il n’y a pas d’endroit où je puisse aller sans être traquée. Je sais que quelque part, tout ce que je fais, pense ou rêve est enregistré. J’espère simplement que personne n’utilisera cela contre moi. Tout bien considéré, c’est une bonne vie. Bien meilleure que le chemin que nous avions pris et sur lequel il était clairement impossible de continuer avec le même modèle de croissance. Il nous arrivait toutes ces choses affreuses : des maladies liées au style de vie, le changement climatique, la crise des migrants, la dégradation environnementale, des villes totalement saturées, la pollution de l’eau, la pollution de l’air, les troubles sociaux et le chômage. Nous avons perdu bien trop de gens avant de nous rendre compte qu’il était possible de faire les choses autrement. »
Il ne s’agit pas, vous aurez compris, de l’idéal chrétien monacal, réservé au demeurant à ceux qui se consacrent au plus grand bien, à Dieu, en quittant le siècle. C’est un Meilleur des mondes où l’homme aura changé de mode de fonctionnement. Un « meilleur des mondes » auquel croit Ida AUken, et que les grands de ce monde sont prêts à imaginer avec cette contributrice régulière du site du Forum économique mondial.