L’Osservatore Romano a publié début décembre une lettre du patriarche orthodoxe de Constantinople, Bartholomée, à la gloire d’Amoris laetitia. la journaliste Hilary White commente le texte pour le site catholique américain The Remnant, dans une analyse qui mérite certainement d’être versée aux débat. Car la publication sans commentaires ni réserves du texte de Bartholomée indique pour le moins une approbation officielle, étant donné que les articles rendus publics par le journal du Vatican ne le sont jamais sans avoir été revus et évalués. Il est donc légitime de poser la question, au moins de savoir si le pape François lui-même approuve la prise de position de Bartholomée, voire en a autorisé la publication pour exprimer une certaine manière ce qu’il pense lui-même. Ce serait bien ennuyeux, car la lecture de la prose du patriarche orthodoxe aboutit logiquement à la conclusion que Dieu ne s’intéresse pas à nos comportements et que la notion de péché peut dès lors apparaître comme obsolète.
Cela va bien plus loin que la miséricorde et le « discernement » qu’Amoris laetitia propose de mettre au centre de la nouvelle manière d’aborder la question de la cohabitation sans mariage ou du remariage après un divorce. « Devons-nous considérer Amoris laetitia non pas comme un document de l’Eglise catholique sur la famille mais comme le manifeste d’une religion entièrement nouvelle ? », écrit la journaliste.
Le patriarche orthodoxe Bartholomée enthousiaste d’“Amoris laetitia”
Derrière les mots convenus sur la crise des migrants, il y a en effet ce qu’elle appelle des « mines antipersonnel », là où le patriarche Bartholomée parle des « commentaires et des évaluations à propos de ce document significatif ». « Les gens se sont demandés comment une doctrine spécifique avait été développée ou défendue, ou encore si des questions pastorales ont été réformées ou résolues, et si certaines règles ont été soit renforcées ou adoucies… », écrit le patriarche.
Et il répond : « Il est important d’observer qu’Amoris laetitia rappelle d’abord et avant tout la miséricorde et la compassion de Dieu, plutôt que de se borner aux règles morales et aux règles canoniques des hommes. »
Hilary White s’étrangle d’indignation. Comment peut-on parler à propos du mariage des « règles canoniques des hommes » ? La règle qui régit le mariage, c’est le Christ lui-même qui l’a rappelée dans son dialogue avec les Pharisiens sur le divorce et l’adultère. Des mots d’une clarté absolue. Des mots émanant d’une Personne divine, parlant avec l’autorité divine de la nature de l’homme et du mariage.
Bartholomée poursuit : « Ce qui a sans aucun doute étouffé et entravé les gens par le passé, c’est la peur qu’un “père céleste” qui dicte d’une façon ou d’une autre la conduite humaine et prescrit les coutumes humaines. » C’est l’inverse qui est vrai, explique-t-il. « La vérité est à l’exact opposé. Les chefs religieux (…) doivent se rappeler, puis rappeler aux autres que Dieu est vie et amour et lumière. » Et pour bien dire qu’il s’agit là à son avis de la pensée du pape François, il ajoute : « De fait, ce sont là les termes sur lesquels le pape François met à plusieurs reprises l’accent dans son encyclique, qui discerne l’expérience et les défis de la société contemporaine en vue de discerner une spiritualité du mariage et de la famille pour le monde d’aujourd’hui. »
La défense du pape François par un patriarche schismatique
S’il n’y a pas de Père céleste qui établit des règles de conduite pour l’homme, on se demande bien à quoi servent le Décalogue et les paroles du Christ aux Pharisiens ou à la Samaritaine – et plus largement, toute sa prédication sur la volonté du Père. S’il s’agit de trouver une nouvelle spiritualité adaptée à notre temps, mais qui ne concerne plus la manière de prier, d’entrer en relation avec Dieu, mais le changement radical de nombre de doctrines, on n’est plus dans l’approche purement pastorale, mais dans un « changement de paradigme » pour employer des mots chers aux modernistes.
Bartholomée écrit encore : « Les Pères de l’Eglise n’ont pas peur de parler ouvertement et honnêtement de la vie chrétienne. Néanmoins, leur point de départ est toujours la grâce aimante et rédemptrice de Dieu, qui éclaire chacun sans discrimination ni mépris. » Difficile de ne pas y voir une pique contre ceux qui posent des questions sur le péché mortel et l’impossibilité pour celui qui s’y est installé par son mode de vie d’accéder à l’absolution ou à la communion sans changer de comportement. Et Hilary White observe que si Dieu n’est pas un Père céleste qui établit sa loi pour ses enfants, qui ne s’intéresse pas à la « conduite humaine », on arrive à la conclusion qui est celle des « satanistes » : « Fais ce qui te plaît, ce sera le tout de la loi. »
« En voyant de tels négations outrageusement effrontées de la doctrine chrétienne essentielle – en même temps qu’on nous demande de l’abandonner sous peine d’être accusé de désobéissance – “hérésie ! schisme !” – comment pouvons-nous considérer cette lettre, et même l’ensemble de la campagne Kasper-Synode-Amoris laetitia, comme autre chose qu’une attaque concertée sur ce qu’est le christianisme, en son cœur même ? Sur la nature de Dieu et de la vie morale ? »
L’orthodoxie sur la même ligne qu’“Amoris laetitia”
Hilary White rappelle ici que ces déclarations de la part d’un schismatique portent bien sur le sujet. D’une part, il s’exprime dans ce qu’on pourrait appeler le journal officiel de l’Eglise catholique. De l’autre – et on ne le dit pas assez – toute l’affaire Amoris laetitia a commencé avec les commentaires du pape lors de son voyage de retour des JMJ de Rio où il avait très explicitement fait référence à la pratique orthodoxe d’autoriser de seconds mariages.
A ce que note Hilary White il faut ajouter que lors de ce même voyage, à la fin de cette même réponse, le pape François ajoutait : « Nous sommes en marche pour une pastorale matrimoniale plus profonde. Et c’est un problème de tout le monde, parce qu’ils sont nombreux, non ? Par exemple, j’en cite un seulement : le cardinal Quarracino, mon prédécesseur, disait que pour lui, la moitié des mariages sont nuls. Mais il disait cela, pourquoi ? Parce qu’on s’épouse sans maturité, on s’épouse sans se rendre compte que c’est pour toute la vie, ou bien on s’épouse parce que socialement on doit s’épouser. Et cela fait aussi partie de la pastorale matrimoniale. Et aussi le problème juridique de la nullité du mariage, on doit le revoir, car les Tribunaux ecclésiastiques ne suffisent pas pour cette question. C’est complexe, le problème de la pastorale matrimoniale. »
Le fait est que les réformes qui ont suivi, celle du code de droit canonique mise en place sans la moindre concertation et celle portée par Amoris laetitia sans tenir compte au fond de la volonté des pères synodaux qui était très loin d’être unanimes sur l’approche des unions « dites irrégulières » comme les appelle Amoris laetitia, sont dans la droite ligne de ce discours programmatique.
Hilary White en vient à se demander si Amoris laetitia n’attendait pas depuis bien longtemps dans quelque tiroir avant d’être « lâché » dans l’Eglise.
Il s’agit en tout cas de l’aboutissement d’une révolution très bien préparée. Et qui a des conséquences sur le concept même Dieu-Trinité : car s’il n’y a plus de « Père céleste », quelle est notre foi ?