Le P. Adolfo Nicolas, jésuite : l’évangélisation du Japon suppose une « alliance » avec le bouddhisme et le shintoïsme

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Selon le prêtre jésuite Adolfo Nicolas, ancien supérieur général de la Compagnie de Jésus, il n’est pas possible d’évangéliser le Japon sans une alliance avec le bouddhisme et le shintoïsme. C’est ce qu’il a déclaré lors d’un entretien avec l’hebdomadaire de l’archidiocèse de Madrid, Alfa y Omega, recommandant au passage le film de Martin Scorsese, Silence.
 
Le P. Nicolas a été ordonné prêtre précisément au Japon, le 17 mars 1967 à l’âge de 30 ans, et il devait passer la plus grande partie de sa vie sacerdotale en Extrême-Orient, où, il l’avoue, il se sent davantage chez lui qu’en Europe. Champion de l’inculturation, il rêve d’un christianisme au visage authentiquement asiatique. Pour lui, Silence– un film sur la tentation de l’apostasie dont le personnage principal, un père jésuite du XVIIe siècle, abandonne la foi catholique pour sauver sa peau – « est le film idéal pour qui veut réfléchir à propos de l’évangélisation du Japon ».
 

Le jésuite Adolfo prône une alliance avec le bouddhisme et le shintoïsme

 
Et de rappeler qu’au moment de la publication du livre qui a inspiré le film, en 1966, « il y eut déjà là-bas certaines réactions négatives de la part du clergé diocésain, plus que de la part des jésuites ». « Parce que le clergé diocésain trouve problématique que le Japonais ne comprend pas le christianisme. Mais c’était un livre qui faisait penser, et tout ce qui fait penser est bon », estime le P. Nicolas.
 
Pour lui, les jésuites et les catholiques en général ont commis beaucoup d’erreurs au Japon, « comme partout », la principale d’entre elles ayant été « de ne pas avoir su entrer dans la culture et dans la vie » du peuple japonais. Selon Adolfo Nicolas, les premiers chrétiens ont su être fascinés par les racines du christianisme qu’ils ont trouvées parmi les philosophes ou les poètes païens : « Cela est devenu flou à notre génération. On n’a pas su nous inculquer l’urgence d’étudier le bouddhisme et le shintoïsme comme ils le méritent. Et c’est une faiblesse très grande. J’étais au synode pour la nouvelle évangélisation et là, on n’a jamais parlé des erreurs de la vieille évangélisation. Comment pouvons-nous parler d’une nouvelle évangélisation sans reconnaître qu’il nous a manqué quelque chose dans l’ancienne ? Je crois que l’intérêt pour Silence va dans cette direction. »
 
La Nouvelle évangélisation lancée par Jean-Paul II, faut-il le rappeler, est d’abord une ré-évangélisation des vieux peuples chrétiens apostats…
 

L’évangélisation du Japon à la lumière de « Silence »

 
Le P. Adolfo Nicolas voit dans le bouddhisme « des racines profondément chrétiennes comme le détachement, la conviction que tout est éphémère, celle que toutes les choses ont une beauté en soi ». « Le bouddhisme est avant tout méditation et mort, tandis que le shintoïsme est vie et célébration. C’est pour cela que l’on dit que les Japonais naissent shintoïstes, se marient catholiques et meurent bouddhistes », observe-t-il, complice.
 
Il perçoit dans le bouddhisme une grande « miséricorde » mais ce n’est pas la miséricorde qui pardonne au repenti :
 
« Je me rappelle un cardinal d’Amérique latine qui s’en alla au Japon et en 11 jours il s’était déjà fait sa religion : les Japonais ne comprennent pas la miséricorde de Dieu. Mais si, c’est la seule chose qu’ils comprennent ! Parce que la compassion est la vertu bouddhiste la plus profonde. Eux, ils n’ont pas besoin d’un Dieu juge. C’est pourquoi l’une des meilleures choses de François a été au moment où on lui a demandé de parler des homosexuels et qu’il a répondu par cette phrase : « Qui suis-je pour juger les autres ? » Quand la société a déjà jugé et condamné une personne, il est important que le pape dise cela. L’Évangile nous dit de ne pas juger les autres pour ne pas être jugés », a-t-il répondu à la question du journaliste.
 

Bouddhisme et shintoïsme, des « œuvres de l’Esprit » ?

 
Voilà qui est intéressant : alors que le catholicisme sous François fait mine de se rapprocher des protestants en s’orientant vers l’ordination des diaconesses, qu’il se rapproche des orthodoxes à travers la communion pour les divorcés remariés, il jette aussi des ponts, par le biais d’un jésuite bien en cour, vers une redéfinition de la miséricorde plus compatible avec les croyances orientales…
 
On n’est donc pas surpris de voir celui-ci saluer le « discernement » selon François. « C’est un des points clés de ce pontificat. Aux jésuites de Pologne, il a déclaré qu’on avait davantage besoin d’eux parce que le clergé n’est pas encore suffisamment préparé pour discerner. Si on prend le discernement au sérieux, il ne faut pas donner des réponses aux laïcs, il faut leur proposer un discernement. Et c’est difficile. Parce que cela suppose de considérer que la volonté de Dieu est ouverte, et cela n’est pas souvent au premier plan dans l’Eglise, où l’on considère souvent que la volonté de Dieu est déjà claire et qu’Il souhaite voir tous les hommes converger vers un bercail déterminé, avec un seul pasteur. Les lumières qu’il peut y avoir dans d’autres religions sont toujours considérées comme des ombres, non des lumières mais des ombres qui annoncent autre chose. Et cela nous cause des problèmes », affirme le jésuite – en contradiction directe avec la parole du Christ : « Un seul troupeau, un seul pasteur. » Jésus non plus n’aurait-il pas compris la volonté de son Père dans un monde où les religions païennes valent bien la sienne ?
 
Ces problèmes, précise Adolfo Nicolas, sont ceux qui viennent du fait de « ne pas être capables de comprendre que les autres religions sont le meilleur de ce qu’une culture peut offrir ». La religion aztèque ou l’islam, par exemple ? Nicolas s’en tient à l’Orient : « Les cultures asiatiques, par exemple, ont produit le bouddhisme : c’est leur meilleur fruit. Et pourtant, il fut un temps où nous pensions, moi je le pensais aussi, que cette religion est une œuvre du diable ; or il apparaît que c’est l’œuvre de l’Esprit. Aujourd’hui nous comprenons mieux cela », affirme l’ex-supérieur de la Compagnie de Jésus. Celui sous l’autorité duquel il faut croire que le cardinal Bergoglio se sentait à l’aise…
 
Les mauvaises langues observeront qu’il ne dit pas « Saint Esprit », mais « Esprit »…
 

Le Père Adolfo Nicolas, un jésuite selon le cœur de François, et vice versa

 
Pour le P. Nicolas, l’Europe et l’Amérique sont trop préoccupés par la vérité pour comprendre le reste. Interrogé sur l’équilibre de la synthèse entre la religion, « produit de l’homme », et des parties de la religion qui sont « mouvements de Dieu qui se laisse chercher par l’homme », il répond :
 
« La synthèse est dans les relations humaines. J’ai beaucoup pensé : pourquoi, quand je vais en Asie, à Hong Kong, à Bangkok ou à Tokyo je me sens tout de suite chez moi, alors qu’en Europe je ne me sens pas chez moi. L’Europe a des relations qui s’appuient plutôt sur la vérité. Comme l’a expliqué un évêque : « Jésus dit : je suis le chemin, la vérité et la vie. Les religions de l’Asie sont le chemin, mais les missionnaires sont venus en parlant de vérité et nous ne nous sommes jamais rencontrés. » L’Asie, c’est le chemin. L’Europe et les Etats-Unis sont préoccupés par la vérité : comment la définir. L’Amérique latine et l’Afrique sont la vie, ils ont des valeurs que nous avons déjà oubliées, comme la famille, les enfants, l’amitié… Nous avons besoin de tout le monde pour rencontrer la plénitude du Christ. »
 
L’ennui de ce genre d’affirmation, c’est qu’elle évacue complètement et délibérément la question des fausses religions, en suggérant que les religions orientales, celles du devenir, où rien n’est certain, où tout est mouvant, constituent en quelque sorte ce chemin qu’est le Christ. Tous en marche vers le syncrétisme religieux.
 
Le bouddhisme avec sa méditation de pleine conscience sans objet, sans Dieu, si à la mode en Occident aujourd’hui, avec son idolâtrie du bouddha, avec sa marche vers la confusion du sujet, de l’objet et la conscience universelle déifiée, contredit frontalement la religion du Christ qui proclame l’altérité et la transcendance de Dieu par rapport à la Création et qui institue une relation filiale entre Dieu et l’homme, par la médiation du Verbe fait chair.
 
Le shintoïsme, lui, est un animisme qui donne une valeur sacrée à toute chose – à la matière, dans un panthéisme qui s’accommode bien avec l’adulation contemporaine de la nature à travers l’écologisme. Il est même étonnant que le P. Nicolas n’en ait pas parlé !
 

Anne Dolhein