Mardi s’est tenue à Los Angeles, devant une cour fédérale, la première audience au sujet d’une plainte pour violation de la liberté d’expression au Pierce College, énorme établissement universitaire de la vallée de San Fernando réunissant quelque 23.000 étudiants. En jeu, la distribution par l’étudiant Kevin Shaw, partie civile, et deux amis, d’exemplaires traduits en espagnol de la Constitution des Etats-Unis, destinée à informer les autres étudiants de leurs droits à la liberté de parole. Une gentille opération, organisée par ces membres de l’association Young Americans for Liberty, qui a eu l’heur de déplaire à l’administration de l’établissement, laquelle l’interrompit en prétextant qu’elle ne pouvait trouver place que dans les zones de libre expression. Il s’agit d’étroits espaces affectés, depuis l’époque de la guerre du Vietnam, aux débats spontanés dans les universités.
Young Americans for Liberty veut faire reconnaître la libre expression en dehors des « zones » très limitées
Kevin Shaw, âgé de 27 ans, poursuivait à la fois l’établissement de tutelle, la Woodland Hills School et le Los Angeles Community College District. Il soutient que l’université a violé ses droits civiques en entravant sa liberté d’expression. Une allégation d’autant plus solide qu’il s’agissait simplement d’informer les étudiants sur le contenu de la Constitution de leur propre pays. La défense du district souligne que selon son règlement les établissements ne constituent pas des espaces ouverts au débat public à l’exception de ces fameuses zones de libre expression, délimitées par le président de chaque faculté. La réaction de l’établissement s’éclaire quand on sait que Young Americans for Liberty est une organisation étudiante fondée par Ron Paul, représentant du Texas successivement républicain puis libertarien, parti de la droite libérale qui a fait de la liberté d’expression l’un de ses chevaux de bataille.
Les étudiants discutaient du contenu de la Constitution, et en particulier de son Premier amendement qui garantit depuis son adoption le 15 décembre 1791 les libertés de religion, d’expression, de publication, de réunion pacifique et de pétition. Ils furent interrompus par l’irruption de « John Doe », un employé de l’université qui leur fit valoir qu’ils ne pouvaient échanger que dans la zone de libre expression et sous la condition d’en recevoir la permission. On était loin du Premier amendement.
A Pierce College, Los Angeles, distribuer la Constitution est une activité surveillée
La plainte de Kevin Shaw inaugure une campagne intitulée Million Voice Campaign, lancée par la Foundation for Individual Rights in Education. Cette « Fondation pour les droits individuels dans l’éducation », basée à Philadelphie, a été fondée par Alan Charles Kors, un professeur d’histoire de culture conservatrice, auteur en particulier d’études sur la pensée athée et matérialiste au XVIIIe siècle en France, sur les Lumières et sur la pensée magique. « La Constitution des Etats-Unis d’Amérique interdit aux universités de consigner la liberté d’expression, or c’est exactement ce que subissent les 150.000 étudiants des facultés du District universitaire de Los Angeles qui souhaitent faire valoir leurs droits garantis par le Premier amendement », a plaidé l’organisation. Marieke Tuthill Beck-Coon, responsable juridique du mouvement estime que « la loi est claire : les universités publiques telles celle de Pierce ne peuvent obliger les étudiants à exercer leurs droits, garantis par le Premier amendement, dans des espaces minuscules ». Pour la défense, Yusf Robb, consultant au district, a assuré que « le District universitaire de Los Angeles soutient tout à fait les droits des étudiants à leur libre expression » et qu’il n’avait « aucun commentaire supplémentaire à formuler à ce stade ».
Plainte contre les « zones de libre expression » par les opposants à la pensée unique
La politique des zones de libre expression dans les universités visait, au temps de la très controversée guerre du Vietnam, à contenir les manifestations d’opposition de gauche qui germaient sur les campus américains. Depuis, elle a été revue par de nombreux établissements face aux critiques croissantes des étudiants. Il est amusant de noter qu’elle est aujourd’hui défendue par les héritiers des agitateurs gauchistes qui la contestaient dans les années 1970. La liberté d’expression est de fait défendue aujourd’hui par leurs opposants, ces défenseurs de l’identité américaine, celle même qui garantit, au contraire de la Chine communiste ou de nombreux pays musulmans, le droit au débat face aux prétentions de la pensée unique. Voici quelques années, la faculté Citrus de Glendora, elle aussi en Californie, avait élargi ses zones de libre expression à la suite d’une manifestation d’étudiants. Cette année, la Grand Valley State Université au Michigan les a carrément supprimées, autorisant les discussions libres sur tout son domaine du moment qu’elles n’entravent pas la circulation.