Le président du Peterson Institute for International Economics, Adam Posen, s’attend à une remontée spectaculaire du dollar américain – de 10 à 15 % – alors que la Réserve fédérale américaine renforce sa politique de restriction monétaire. Le responsable du think tank économique basée à Washington, cité par Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph de Londres, estime que l’on va vers une guerre économique mondiale alimentée par le protectionnisme, mais aussi vers une nouvelle crise de la dette dans les marchés émergents lourdement dépendants du dollar, ainsi qu’une crise du yuan. On observera que tout dépend dans cette analyse des décisions prises par la Fed américaine, qui a donc les cartes en mains pour déclencher, ou non, la crise envisagée.
Posen, qui s’exprimait lors du forum annuel Ambrosetti sur les bords du lac de Côme en Italie, est d’avis que les analystes se trompent actuellement sur les tendances lourdes aux Etats-Unis en pensant que le stimulus fiscal n’aura que peu d’effet sous Donald Trump, et en imaginant que la Fed dirigée par Janet Yellen conservera des taux d’intérêt très modérés alors même que les États-Unis approchent du plein-emploi (officiel, serait-on tenté d’ajouter).
La guerre économique mondiale annoncée par Adam Posen du Peterson Institute
Il a en tout cas déclaré dans un entretien avec le Telegraph s’attendre à ce que les trois ou quatre nouvelles remontées des taux de la Banque centrale américaine prévues pour cette année provoquent un « choc monétaire global », d’autant que la Fed envisage d’inverser sa politique d’assouplissement quantitatif. Cela conduirait immanquablement à une baisse des liquidités en dollars dans le système financier international. C’est en somme le contraire de ce qui s’était passé lorsque l’« argent facile » de la Fed a inondé l’Asie orientale, l’Amérique latine, l’Afrique et le Proche-Orient.
Ce sont les marchés émergents les plus fragiles qui verraient ainsi leur capital aspiré tandis que l’on assisterait, selon l’analyste de l’institut Peterson, à de nouvelles fuites de capitaux depuis la Chine.
Le moment serait donc venu pour la Fed de ne plus tenir compte des risques pour la Chine, alors qu’elle avait retardé les remontées de taux d’intérêt l’an dernier à la faveur des difficultés de la devise chinoise. « Les banquiers centraux ne pensent pas que leur politique doive être entravée par le simple fait qu’un acteur du marché va perdre de l’argent », a commenté Adam Posen.
La montée du dollar inévitable si la Fed remonte ses taux comme prévu
Celui-ci juge vraisemblable que Donald Trump puisse réussir à mettre en place des réductions d’impôt importantes doublées d’un stimulus fiscal, ce qui ferait exploser les emprunts fédéraux américains. Son institut prévoit une remontée de la dette des Etats-Unis à environ 5 % du PIB. Le président américain a en tout cas bien davantage le soutien des Républicains sur le plan des baisses d’impôts que sur celui de la modification de l’Obamacare, qui s’avère actuellement difficile.
Selon Posen, une baisse de l’impôt sur les sociétés de 35 à 25 % est vraisemblable en même temps que les taxes prélevées sur les plus riches et sur les classes moyennes seraient réduites, pour le plus grand bonheur des marchés dans l’immédiat. Mais cela comporte des risques de surchauffe auxquels la Fed pourrait réagir en appuyant fortement sur le frein monétaire, faisant du même coup grimper en flèche la valeur du dollar – avec une perte de compétitivité commerciale à la clef, et par voie de conséquence une confrontation avec la Chine et le reste du monde. « Ce sera un retour au scénario du milieu des années 1980 », avertit Posen. A l’époque, les Etats-Unis avaient pu s’entendre avec le Japon pour limiter le nombre d’exportations de voitures nipponnes : « Une formule qui pourrait se révéler impossible aujourd’hui avec la Chine, qui représente 60 % du déficit commercial des Etats-Unis dans le domaine des biens et services ». Ce déficit s’élève actuellement à un total annuel de 500 milliards de dollars.
La crise du yuan ne saurait tarder en cas de remontée des taux du dollar
Le Japon était à l’époque un allié solide des Etats-Unis. La Chine ne l’est pas du tout : « La Chine défie les Etats-Unis sur tous les fronts pour devenir la superpuissance globale dominante », souligne Posen.
La situation de la dette mondiale est également profondément modifiée par rapport aux années 1980 : le dollar y joue aujourd’hui un rôle sans précédent, alors que la dette en cette devise a été multipliée par cinq depuis 2002 pour atteindre 10.000 milliards de dollars US. Selon la BIS, la banque centrale des banques centrales, la remontée du dollar conduit automatiquement à un repli des banques en Europe et en Asie qui réduisent alors le volume de leurs prêts. Ce qui entraîne un ralentissement économique.
La Chine affronte tout cela en crânant, alors qu’une part importante de la dette internationale concerne la Chine où le système bancaire sert d’arme à l’Etat. Selon Andrew Sheng, principal conseiller de la commission de régulation bancaire chinoise, c’est une affaire de « main gauche qui prête à la main droite ; on ne peut pas vraiment avoir une crise financière en Chine », assure-t-il. « Nous pensons qu’en fait il serait bon pour la Chine que la Fed remonte ses taux », a-t-il déclaré lors de la rencontre Ambrosetti.
Ce n’est pas l’avis d’Adam Posen : selon lui, la Chine risque de s’engager dans un cercle vicieux alors que ses mauvaises dettes sont reconduites et qu’on y détourne de plus en plus de crédit vers le soutien d’industries d’Etat obsolètes et d’entreprises zombies, au risque de rendre l’économie exsangue : « C’est ce qui s’est passé au Japon. Ce n’est pas exactement une spirale de la mort, mais c’est très, très mauvais ».