Churchill a pu faire craindre le pire au spectateur dès le titre, simple et sobre, mettant en valeur un nom ô combien célèbre. Allait-il devoir supporter une énième hagiographie plate ou au contraire d’une grandiloquence insupportable, sans intérêt cinématographique ou intellectuel, du plus célèbre des premiers ministres de l’histoire du Royaume-Uni ? Churchill a en effet gouverné son pays durant la guerre contre l’Allemagne hitlérienne, du printemps 1940, suite à la défaite de la France et de la Grande-Bretagne sur le continent, au printemps 1945. Chose souvent oubliée dans les hagiographies d’usage, Churchill a en effet subi une lourde défaite électorale, inattendue, sitôt achevée la guerre en Europe; son statut de héros de guerre, grand voire unique argument électoral de son parti conservateur, n’avait pas suffi face au parti travailliste et à son programme novateur, promettant alors progrès social, nationalisations et décolonisation de l’Inde.
Churchill, un film réussi
L’action de Churchill se concentre sur quelques jours fatidiques, à la fin du mois de mai et au début du mois de juin 1944, soit, évidemment, juste avant le Débarquement du 6 juin 1944. Churchill aurait été pris de sombres pressentiments, de doutes angoissants : et s’il envoyait 250.000 jeunes hommes à la mort sur les plages de Normandie ! Quelle lourde responsabilité ! Il est en effet facile, a posteriori, connaissant la réussite totale, avec des pertes faibles, bien moindres qu’anticipées par les Alliés eux-mêmes, du Débarquement, de se moquer de ces craintes de l’époque. Beaucoup de critiques officiels ont vu dans ce sujet une forme de blasphème. Non, le lion Churchill n’aurait jamais eu de tels doutes, de telles angoisses ! Il aurait animé d’un esprit antihitlérien fanatique et d’une confiance absolue en la Victoire… C’est, selon nous, ne pas comprendre le film et faire preuve d’une hystérie vaine, bien des décennies plus tard. Au fond, envisager des doutes et des angoisses chez un chef de gouvernement pouvant effectivement envoyer des centaines de milliers d’hommes à la mort, serait tout à son honneur. Le grand chef sait surmonter ses appréhensions ; s’il n’en a pas, c’est ou un fanatique délirant, ou un imbécile. Le caractère particulier de Churchill, aux humeurs très variables, est en outre connu et un épisode semi-dépressif tient du vraisemblable. Churchill idéalise même finalement un peu son personnage et ses proches. Historiquement, au printemps 1944, Mme Churchill avait fui depuis longtemps un mari difficile, au lieu de se tenir avec héroïsme à ses côtés, pour lui et leur pays, comme dans le film.
Churchill propose une vraie pièce de théâtre sur un contexte historique, et non certes une reconstitution exacte – mais sans erreur majeure. Les caractères sont bien construits, y compris et surtout ceux des personnages secondaires. Ces derniers sont absolument essentiels, et évitent le simple monologue héroïque ou tragique. Ainsi, Churchill est un film réussi.
Hector JOVIEN