On ne parle pas de choses qui fâchent sur les volcans, on danse. Notre France déboussolée bruisse du départ de Philippot du FN, du projet de François de Rugy de réduire l’Assemblée nationale, des propos sulfureux de Gérard Depardieu. Cela nous repose d’un monde à feu et à sang : telle est notre actualité politique par défaut.
Un ancien dirigeant du cimentier Lafarge reconnaît des versements à l’Etat islamique, la guerre va peut-être s’allumer en Espagne à propos du referendum sur l’indépendance de la Catalogne, la réforme du travail est en passe de bloquer la France, le CETA entre en vigueur, mais tout le monde ne parle que de Florian Philippot, qui va quitter le Front national. Forcément. Florian Philippot quitte le FN. Forcément, comme aurait dit Marguerite Duras. Et toute la presse en parle. Forcément.
Qui est Philippot, pour l’opinion déboussolée ?
On va épiloguer sur les comédies d’appareil et de personnes (en fait, la décision de sortie était prise, y compris par Philippot, depuis plusieurs jours, ses lieutenants s’apprêtaient à rendre leur carte). On va gloser sur l’euro. Sur la dédiabolisation. Sur la ligne politique. La droite. La gauche. Le ni-droite, ni-gauche. Tricandilles et balais de crin ! La seule vraie question est : pourquoi Philippot était-il entré au FN ?
Elle peut s’entendre de deux manières : qu’y cherchait-il, qu’y apportait-il ? Qu’y apportait-il, d’abord ? Un énarque de plus ? Le Front national n’en avait pas manqué depuis 1985. Une réflexion économique qui ne soit pas libérale ? Le Gallou, Mégret, Milloz, puis Soral, l’avaient portée avant lui. Une stratégie de dédiabolisation ? Ce fut celle de Jean-Marie Le Pen de 1983 à 1987. Elle a montré ses limites et son échec forcé : car la diabolisation ne dépend pas du diabolisé mais des diaboliseurs. Même propre sur lui, tout défenseur de la nation devient nauséabond dès que l’idéologie dominante le décide. Le cordon sanitaire fut installé contre Le Pen en 1986, un an avant le détail, et le général De Gaulle fut un « général fasciste », Trump est un « fou », etc.…
Le calcul politique de Philippot
Qu’a donc apporté en propre Florian Philippot au FN ? Son homosexualité militante, peut-être, ses réseaux, et donc, avec cela, un avantage médiatique. « Pédés contre franc-macs, c’est pas joué », comme disait un intellectuel centriste de ma jeunesse. De plus, il a apporté quelque chose en moins à son ex commère Marine : la fidélité à la morale chrétienne, amputant ainsi l’identité de la France d’une composante essentielle. Pour lui, le mariage homo n’avait pas plus d’importance que « la culture du bonsaï ». C’était une terrible régression doctrinale, mais aussi un ticket d’entrée dans la sympathie des bobos.
Reste à déterminer maintenant ce qu’il était venu chercher au FN. De la notoriété sans aucun doute. Du pouvoir si son entreprise entriste réussissait, une reconversion ailleurs si elle échouait. N’ayant jamais donné dans le nauséabond, assuré d’amitiés bien placées, artisan d’une crise majeure au FN, il peut trouver demain une place d’apparatchik de luxe dans quelque caravansérail de patriotes appelé à faire le pendant des insoumis au profit du système.
Rugy veut dégraisser la France parlementaire
Maintenant que voilà évacué Philippot, l’actualité politique française m’impose de dire un mot de François de Rugy. Le président de l’Assemblée nationale propose de réduire le nombre de députés, aujourd’hui de 577, à 400, dont 300 élus au scrutin uninominal à deux tours, et 100 à la proportionnelle. Sous couleur de « tenir les engagements de campagne », ça va être une sacrée usine à gaz, obligeant d’une part à fondre des circonscriptions et réduire le nombre d’élus, qui vont couiner, sans contenter de l’autre ceux qui souhaiteraient une représentation juste de toutes les forces politiques par la proportionnelle intégrale. On voit bien que la chose vise à satisfaire en partie la France insoumise et le FN pour leur ôter une occasion de se plaindre, sans leur donner de vrai poids parlementaire. En somme, voilà une réforme que tout le monde voulait et dont personne ne voudra.
Depardieu fait du Depardieu hyper Depardieu
Reste Depardieu. Depuis qu’il urine dans les avions, lit en scène les Confessions de Saint Augustin, parle de se convertir à l’islam et serre son ami Poutine sur son cœur, notre Gégé est devenu une sorte de freak officiel du Landernau culturel parisien.
Cette fois, il a quand même fumé toute la moquette de sa chambre d’hôtel à Manhattan. Avant de présenter à l’Alliance française de New York la traduction de son best seller Innocent, il a confié, gitane au coin de la lèvre, quelques unes de ses convictions au Daily Beast. Est-ce le Pentagone qui a inventé le sida ? « On dit tant de choses. On ne sait pas. Peut-être l’apprendra-t-on maintenant avec votre président, il parle beaucoup ». Son fils ? C’est « la justice française » qui « l’a tué ». Poutine ? Un homme merveilleux qui a bien fait d’annexer la Crimée : « La région a toujours été considérée comme une terre sacrée par les Russes ». Castro ? Un ami avec qui il partageait une grande « gourmandise ».
L’ambiguïté politique du bouffon dans une société déboussolée
La gueule, c’est important. Dans la prison russe où était détenu Sakharov, « on mange des plats formidables ». Les expérimentations de certains médecins nazis dans les camps de concentration ? Elles ont permis des « avancées » médicales et pharmaceutiques. Etc., etc. Du comptoir où il siffle ses innombrables bouteilles, Depardieu balaye le spectre de l’actualité, historique, scientifique, politique, culturelle, avec parfois des mots heureux sur les « intellos » qui parlent de « choses qu’ils ne connaissent ni ne vivent ». Où sur l’écologisme : « Si vous pétez, vous polluez aussi ». Il affiche enfin une conscience claire de ses limites : « Je ne suis pas un philosophe. J’essaye juste de dire ce que je sens ». Comme d’autres dans une France déboussolée qui se règle sur l’actualité des people. Lui, heureusement, n’est pas pris au sérieux. Mais c’est aussi pourquoi on le laisse parler : dans le lot de ses sottises figurent quelques vérités qu’il a pour fonction de discréditer. Comment aurait dit Bernanos, déjà ? Il déshonore le complotisme !