Les chiffres du National Health Service sont les premières statistiques publiées sur les adolescentes référées aux services de santé mentale, au Royaume-Uni. Ils pointent une évolution flagrante, relative à la dernière décennie. Une évolution que l’on retrouve dans d’autres études, en particulier américaines. Des différents facteurs pouvant interagir, l’un d’entre eux ressort systématiquement : les écrans et en particulier les réseaux sociaux.
Une pression permanente pour ces adultes en puissance, qui peut générer un mal-être, une insatisfaction, des automutilations et des pensées suicidaires. La société virtuelle se rapproche pour eux davantage de la jungle…
« Une épidémie lente », une tendance « profondément inquiétante » selon les spécialistes
L’âge de l’insouciance ? Il semble que le sérieux ou plutôt le tragique l’ait emporté pour ces jeunes, noyés dans cette société qu’on dit festive, hyper ouverte et hyper connectée… Pour la psychothérapeute Lindsay Percival du Council of Psychology, « c’est une image déprimante et lugubre. Les personnes présentant des problèmes deviennent de plus en plus jeunes. C’est comme une épidémie lente ».
Plus d’une adolescente sur dix, en Angleterre, a donc été orientée vers des services de santé mentale ou de troubles d’apprentissage au cours de l’année écoulée, selon de nouveaux chiffres du NHS. Très exactement 11,4 % de la tranche 16-17 ans, et 10 % de la tranche 14-15 ans – alors que la moyenne générale pour tous les âges, en Angleterre, avoisine les 4,8 %.
La santé mentale des adolescentes, entre dépression et envie suicidaire
Misère, solitude, insécurité, haine de soi… Ces émotions négatives se sont multipliées. Selon une autre étude financée par le gouvernement britannique, une fille sur quatre (24 %), âgée de 14 ans, y serait confrontée – un taux qui a doublé en dix ans. De coutume, la tranche d’âge la plus sujette aux pensées suicidaires est celle des 45-54 ans.
En septembre, le NHS avait annoncé que les hospitalisations pour automutilation chez les filles de moins de 17 ans avaient augmenté de 68 %, au cours de la dernière décennie. Les cas d’auto-intoxication chez les filles – ingestion de pilules, d’alcool ou d’autres substances chimiques – ont augmenté, eux, de 50 %.
Dans son numéro du 21 novembre dernier, la revue médicale internationale JAMA arrivait aux mêmes conclusions pour le même groupe d’âge. A partir de 2009, le nombre de cas d’automutilations constatés à l’hôpital a commencé à augmenter significativement : 18,8 % par an pour les adolescentes entre 10 et 14 ans. Une autre étude américaine récemment publiée dans le cadre de l’« Association for Psychological Science » par une équipe de psychologues affiliés aux universités de San Diego et de Floride, l’atteste : chez les jeunes filles, le taux de suicide a augmenté de 65 % entre 2010 et 2015 et a été multiplié par deux depuis la fin des années 1990.
Les coupables : les réseaux sociaux
S’il est difficile d’établir des liens de causalité directe, il est important de noter que la plupart de ces chercheurs, en général psychologues, pointent du doigt un coupable : les écrans, et en particulier la fréquentation assidue des réseaux sociaux. Tout simplement parce que la hausse spectaculaire du taux de suicide et des symptômes dépressifs chez ces adolescentes coïncide avec le boom des appareils connectés et de la fréquentation des réseaux sociaux – beaucoup y passent plus de cinq heures par jour.
« Nous vivons à l’ère de l’anxiété et c’est en grande partie à cause d’Internet » a déclaré Lindsay Percival. A cause de la pression que les adolescents y subissent et contre laquelle ils n’ont pas encore les défenses suffisantes. Pression sociale sur leur image, autant physique que mentale ou morale. Submergés dans « un flux continu de vies et de corps “parfaits” », comme le disait le directeur de YoungMinds, ils se persuadent de leur profonde imperfection et croient devoir s’impliquer 24 heures sur 24 de peur de l’exclusion – et c’est sans compter la cyberintimidation.
Les médias sociaux tels que Snapchat et Instagram « peuvent être dommageables et même destructeurs » pour le bien-être mental des filles, s’est inquiété le Dr Bernadka Dubicka du Collège royal en psychiatrie.
Notons au passage que, si les pourcentages augmentent aussi pour les garçons, c’est dans une moindre mesure : les filles se trouvent particulièrement réceptives, vraisemblablement en raison de leur puberté plus changeante, et sans doute aussi à cause de la place réservée au « féminin » dans cette société d’aujourd’hui – bonjour les fruits du féminisme.
Et Facebook qui veut soigner ceux qu’il rend malades…
Alors, ils s’inquiètent de savoir si le gouvernement a « le financement » pour la santé mentale de ces enfants… Le ministre de la Santé britannique a même demandé aux géants de la technologie de s’attaquer à ces problèmes.
Ça tombe bien, Facebook vient de dévoiler une intelligence artificielle capable d’identifier les membres en proie aux idées suicidaires pour les aider… Cette fonctionnalité ne sera pas déployée en Europe, étant basée sur l’analyse permanente des messages et vidéos privés (on peut « aider », mais faire aussi plein d’autres choses avec un tel outil… en Europe, seule la traque des prédateurs sexuels le permet). Et puis soigner le mal par le mal…
C’est aux parents de prendre les choses en main pour soustraire leurs enfants à cette gangrène, même s’il est très ardu de ramer à contre-courant. N’oublions pas qu’elle se greffe aussi souvent sur d’autres difficultés, comme l’a souligné avec justesse Lindsay Percival, qui a évoqué la perte des repères familiaux avec la hausse des taux de divorce et l’augmentation des familles monoparentales.
Mais encore une fois, c’est possible, et sans l’aide de Facebook – sans Facebook du tout, justement.