A l’occasion du soixante-cinquième anniversaire de la Constitution de la Cinquième République, le président Macron a discouru une heure devant le Conseil constitutionnel pour évoquer la réforme qu’il souhaite y apporter, touchant notamment au référendum par la modification de l’article 11, au droit à l’avortement, à l’autonomie de la Corse et de la Nouvelle-Calédonie et au climat. S’ajoutant aux innombrables réformes menées depuis 1962, y compris par le général De Gaulle, elle achève un processus qui réduit à rien ce qui restait de la Constitution d’origine : Mélenchon rêvait de Sixième République, Macron l’a fait, nous y sommes entrés sans faire de bruit.
Une Constitution gravée dans un marbre friable
Promulguée le 4 octobre 1958 par René Coty, président de la République, la Constitution de la Cinquième République avait été rédigée par Michel Debré pour en rendre la réforme difficile, nécessitant une procédure rigide fixée par l’article 89 : elle n’en a pas moins été réformée 24 fois en 65 ans, la première fois par le général De Gaulle en 1962 pour instituer l’élection du président au suffrage universel direct, ce qui fut qualifié à l’époque par le président du Sénat, Gaston Monnerville, de « forfaiture ». Mais quatorze réformes ont aussi été rejetées : notamment celle du Sénat en 1969, sanctionnée par un « non » au référendum qui entraîna la démission du président de la République, ou celle de 1984 où le Sénat bloqua un projet de Mitterrand de modifier l’article 11, déjà.
La réforme constitutionnelle permanente
Paraphrasant François Mitterrand, pour qui la Cinquième République fut un « coup d’Etat permanent », on peut constater qu’elle fut une réforme permanente de sa propre Constitution. La réforme a porté sur les faits de société, sur les institutions de la République et la décentralisation, sur ses rapports avec l’Europe et le monde, y compris la Nouvelle-Calédonie. Voyons la réforme morale d’abord. La loi constitutionnelle du 1er mars 2005 inscrit la Charte de l’environnement dans son préambule, ses articles 2 et 3 imposent à tout Français le devoir de « préservation de l’environnement ». Celle du 23 février 2007 achève le processus lancé par Robert Badinter et François Mitterrand et dispose à l’article 66-1 : « Nul ne peut être condamné à mort. »
Macron coupable comme les autres présidents de la République
Parmi les réformes des institutions, citons la loi constitutionnelle de 1974, fondamentale, qui permet à soixante députés ou sénateurs de déférer au Conseil constitutionnel toute loi votée par le Parlement pour juger de sa conformité avec la Constitution, cette saisine étant jusque-là réservée au président de la République, au Premier ministre ou aux présidents des deux Assemblées. Celle de 1992 rappelant que « le français est la langue de la République », celle de 1993 modifiant l’organisation de la Justice, celle de 1995 restreignant l’inviolabilité des parlementaires. Celle du 2 octobre 2000, qui met fin au mandat de sept ans du président de la République en vigueur depuis 1873, et surtout celle du 23 juillet 2007 portant sur le statut pénal du président de la République : jusqu’ici celui-ci n’était « responsable des actes commis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison » et ne pouvait être traduit que devant la Haute-Cour. Désormais, il peut être traduit devant la Cour pénale internationale, ou bien être soumis à une procédure de destitution. Ces dernières réformes ont pour but de gommer ce qui pouvait subsister de monarchique ou de sacré dans la fonction présidentielle, de copier le modèle américain et de limiter la souveraineté nationale.
Union européenne contre république souveraine
Bien entendu, les réformes constitutionnelles liées à l’Union européennes vont, encore plus, dans le même sens. Après l’adoption ric-rac du traité de Maastricht, Mitterrand, affirmant qu’il ne pouvait « être renégocié » choisit le Congrès pour réviser la Constitution par la loi du 25 juin 1992. Elle donne le droit de vote aux citoyens de l’Union résidant en France et autorise tout transfert de compétence nécessaire à l’union économique et monétaire et à déterminer les règles de franchissement des frontières. Celle du 25 janvier 1999 permet de ratifier le traité d’Amsterdam en modifiant la Constitution pour qu’elle permette de nouveaux transferts de souveraineté en matière de « libre circulation des personnes ».
Constitution européenne contre Constitution française
Les deux réformes suivantes sont les plus caractéristiques de la volonté des élites politiques françaises de « construire l’Union européenne » et de réduire la souveraineté française sans tenir compte de l’opinion du pays. La loi constitutionnelle promulguée le 1er mars 2005 par Jacques Chirac modifie l’article 88 de la Constitution pour autoriser la France à participer à l’UE dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l’Europe, et anticipe les évolutions de la Constitution française en cas d’entrée en vigueur dudit traité : manque de bol, les Français disent non à la Constitution européenne par voie de référendum, et tout cela devient caduc. Plus prudent, le président suivant, Sarkozy, passe par le Parlement pour ratifier le traité de Lisbonne qui reprend en gros la Constitution refusée, et le Congrès adopte le 4 février la loi modifiant le titre XV de la Constitution française.
Larguer la Nouvelle-Calédonie quoi qu’il en coûte
Les deux révisions de la Constitution liées à la situation de la Nouvelle-Calédonie sont encore plus révélatrices, et, faut-il le dire, caricaturales. Dès 1988, le Premier ministre d’alors, Michel Rocard, avait lancé le territoire dans un processus l’indépendance. On pensait y arriver par une suite compliquée de trois référendums, chacun devant permettre d’aller plus loin dans le sens souhaité. A cet effet, les Kanaks indépendantistes n’étant mathématiquement pas les plus nombreux, il fallait à la fois faire avancer les transferts de souveraineté et trafiquer les listes électorales pour leur donner tout de même la victoire. La loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 dispose à cet effet le caractère irréversible des transferts de compétences de l’Etat aux institutions de la Nouvelle-Calédonie ; la possibilité pour le congrès de la Nouvelle-Calédonie de prendre des actes de nature législative (lois du pays), susceptibles d’être soumis au contrôle du Conseil constitutionnel ; la reconnaissance d’une citoyenneté propre à la Nouvelle-Calédonie, fondant les restrictions apportées au corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province.
Quand la République piétine principes et Constitution
Quant à la loi du 23 février 2007, elle modifie encore l’article 77 de la Constitution pour n’ouvrir les élections provinciales et le référendum qu’aux personnes inscrites sur le tableau arrêté en vue de la consultation du 8 novembre 1998 et justifiant d’une durée de résidence de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection. Ce qui est parfaitement contraire à l’usage de la Cinquième République, à la lettre et à l’esprit de la Constitution, au pacte international relatif aux droits civils et politiques, dit de New York du 19 décembre 1966, et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale. Cette réforme inouïe prive un citoyen français de son droit de vote sur le territoire de la République française, et qui plus est, au nom d’une « identité calédonienne » liée aux Kanaks, donc décrétée en fonction de critères ethniques sinon raciaux. C’est tout à fait exorbitant du droit français, et caractéristique encore de la volonté des élites de détruire la souveraineté française. Hélas pour elles, malgré tous leurs efforts, et la manipulation du collège électoral, au bout de trois référendums, la Nouvelle-Calédonie a décidé en 2021 de rester française. D’où l’embarras et la nouvelle réforme envisagée par Macron.
L’indépendance nationale, sixième roue du carrosse
On voit par ces quelques exemples qu’il ne reste pas grand-chose de la Constitution nationale rédigée par Michel Debré, et que la Sixième République que Jean-Luc Mélenchon appelle de ses vœux est déjà entrée dans les faits. La réforme constitutionnelle mi-chèvre mi-chou qu’annonce Emmanuel Macron en officialise la naissance. A priori, on pourrait penser que sa proposition de modifier l’article 11 pour ouvrir le référendum à « des domaines importants pour la nation qui [y] échappent », y compris par le référendum d’initiative partagée, peut satisfaire les Français qui voudraient voir trancher des questions telles que la politique migratoire ou la peine de mort. Mais dans les faits, bien d’autres questions pourront être abordées, concernant par exemple ce qu’il est convenu d’appeler la bioéthique, et qui pourront satisfaire d’autres pans du spectre politique.
Macron en marche vers la Sixième
Emmanuel Macron a d’ailleurs montré vers où penche son cœur lorsqu’il a proposé d’inscrire dans la Constitution la « liberté des femmes de pouvoir recourir à l’interruption volontaire de grossesse ». S’il parvient à « accorder les points de vue de l’Assemblée et du Sénat », l’avortement deviendra donc un droit constitutionnel. De même, selon lui, la Constitution doit-elle « ouvrir la voie à une forme d’autonomie » en Corse, et peut-être plus en Nouvelle-Calédonie. Enfin, le président a donné dans le galimatias pompeux à propos d’écologie : « L’idée d’inscrire la protection du climat au cœur de nos normes constitutionnelles peut s’avérer aussi un signe d’engagement de notre nation en train d’inventer son propre chemin. » On est bien loin de la Constitution de 58, son exécutif fort, sa souveraineté nationale sourcilleuse. La Sixième République est en marche.