Le « réensauvagement » pourrait évincer l’élevage des moutons à Dartmoor

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Le concept est clé et il a de longs jours devant lui. Le réensauvagement, ce qu’on appelle « rewilding » aux Etats-Unis, fait partie des réponses proposées à « l’urgence climatique et écologique ». Il s’agit de rendre les territoires à la nature, de rendre la terre… à la terre : la « délivrer » des cultures, l’« affranchir » de l’élevage, la rendre sauvage, en un mot la « libérer ». Le parc naturel de Dartmoor, caractérisé par des sols granitiques et des landes pâturées, comporte 30.000 hectares de « common lands », de terres communes où paissent les moutons depuis des siècles. Devant un paysage qui s’étiole et qui végète pour des raisons multiples et variées, et en premier lieu à cause des engrais, les activités de pâturage sont remises en cause comme obstacles au reboisement spontané des landes.

Pour les défenseurs de l’environnement, c’est certain, il faut évincer les moutons. Et pour les écolos, ce serait l’occasion de réensauvager le parc naturel (quand ils n’installent pas de panneaux solaires).

 

Le chantage aux subventions de Natural England à Dartmoor

Natural England, organisme public non ministériel du Royaume-Uni, chargé de veiller à la protection de l’environnement naturel de l’Angleterre, a écrit au printemps aux « commoners », ces agriculteurs qui revendiquent d’anciens droits de pâturage sur les « biens communs » non clôturés du Dartmoor, ces hectares de landes peuplées de moutons depuis des générations.

Il leur a été suggéré que le nombre de têtes de bétail sur ces terres communes pourrait devoir être considérablement réduit s’ils voulaient continuer à recevoir des subsides pour la protection et la restauration de la nature à Dartmoor.

Que craignent les défenseurs de l’environnement ? Que le grignotage constant des moutons n’ait laissé les habitats vitaux de la lande surpâturés et en difficulté, et qu’au fil des années, il ait chassé les courlis, les pluviers dorés et les ouzels à anneaux.

« Ces habitats de montagne sont d’importance internationale » a déclaré le directeur régional de Natural England. Environ un quart du Dartmoor représente un intérêt scientifique tout particulier, en raison de ses tourbières couvertes, de ses landes et de ses torses granitiques. Mais la majorité de ces sites sont considérés aujourd’hui comme étant dans un état défavorable.

« Malgré les programmes agro-environnementaux des trente dernières années, de nombreux habitats ont considérablement diminué. Le pâturage n’est pas le seul facteur, mais c’est un facteur assez important. La couverture de bruyère a chuté de 25 % à seulement 1 % dans certaines parties du Dartmoor. »

 

Un « réensauvagement par la porte dérobée »

Du chantage ? Il est certain que les subventions des programmes gérés par Natural England sont cruciales pour les « commoners » qui élèvent des moutons sur la lande et ne bénéficient que de marges extrêmement serrées par rapport aux autres agriculteurs du pays. De plus, les fermes d’élevage des hautes terres ont vu leurs revenus chuter de 41 % au cours de l’année écoulée, en raison de la hausse des coûts et de la baisse des aides après le Brexit.

Mais il est aussi essentiel pour eux de garder la possibilité de maintenir des moutons sur la lande toute l’année. A la fois pour garantir leur entreprise agricole et pour maintenir une communauté vieille de plusieurs siècles. Le pâturage des ovins participe à l’entretien du paysage pour les visiteurs, au dégagement des canaux médiévaux qui transportaient l’eau à travers la lande et, surtout, à la surveillance des risques d’incendies de forêt.

Les propositions de Natural England ont été qualifiées de « draconiennes » et de « sauvages » en première page du Farmers Guardian, qui citait des citoyens affirmant qu’il s’agissait d’un « réensauvagement par la porte dérobée ».

 

Moins d’élevage de moutons, voire pas du tout

Comme l’écrivait le journaliste du Telegraph, les moutons paissent à Dartmoor depuis la préhistoire, façonnant l’écologie de la lande et sa mosaïque de bruyères, de fougères, d’ajoncs et de prairies. Les races indigènes du Dartmoor, dont la lignée remonte au mouton Soay apparu à l’âge du fer, étaient traditionnellement élevées sur la lande selon un système connu sous le nom de « levancy and couchancy ». C’est-à-dire qu’ils étaient emmenés sur les terres communes en été et ramenés dans les champs des agriculteurs en hiver, donnant ainsi aux landes le temps de se régénérer.

Aujourd’hui, le Scottish Blackface, le mouton dominant de la lande, est capable d’y paître toute l’année. Et les bêtes se tournent vers de nouvelles pousses de myrtilles et de bruyère, retardant ainsi leur croissance, et sans toucher à des espèces endémiques comme la molinie qui a recouvert de vastes étendues du paysage, évinçant tout le reste.

Mais les moutons sont-ils l’unique raison du problème ? Ne pourraient-ils pas être également un prétexte ? Une étude lancée par le ministre de l’Agriculture sur ce sujet « épineux » est en cours. Et d’aucuns en attendent les résultats, parce qu’ils auront une signification importante, non seulement pour le parc national, mais aussi pour l’ensemble des hautes terres d’Angleterre. Le « changement climatique » et le « déclin de la nature » sont souvent des arguments en faveur d’autres bouleversements d’une importance cruciale pour le mode de vie des populations.

 

Clémentine Jallais