Cette semaine, deux jugements ont choqué les Français : la relaxe du garde des sceaux, Eric Dupont-Moretti, alors que la Cour de justice de la République a reconnu la matérialité des faits qui lui étaient reprochés, et la condamnation à des peines de prison ferme de 6 militants nationalistes sans casier judiciaire, coupables d’avoir défilé pacifiquement contre la boucherie de Crépol dans un quartier de Romans sur Isère décrété interdit par la police. Ces décisions surprenantes posent question : n’y a-t-il pas toujours plus de jugements politiques en France, et celle-ci n’est-elle pas victime d’un coup d’Etat des juges ? Un livre y répond affirmativement, La démocratie au péril des prétoires, de l’Etat de droit au gouvernement des juges, publié chez Gallimard.
Conseiller d’Etat, il connaît les juges de l’intérieur
Son auteur, Jean-Eric Schoettl, X, ENA, conseiller d’Etat, sait de quoi il parle, il a été secrétaire général du Conseil constitutionnel de 1997 à 2007. Et il dresse dans son livre une liste non limitative d’arrêts, décisions et jugements par lesquels des juridictions de différents ordres (administratif, pénal, constitutionnel), nationales ou internationales (cour de justice des communautés européennes), s’érigent en fait en décideurs politiques, qu’il s’agisse d’environnement, de climat en particulier, de social, de police, de santé publique, de justice, d’immigration et même de politique étrangère.
La France sous le coup des injonctions écologistes
C’est sans doute en matière de climat que la frénésie d’ingérence politique des juges est la plus flagrante. Le bouquin ne cite pas moins de quatre décisions du Conseil d’Etat, trois de 2021 et une de 2023 sur la question. Dont deux injonctions au premier ministre de « prendre toutes les mesures nécessaires » pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, avec date butoir et obligation de communiquer au CE les éléments permettant d’évaluer l’avancement des programmes. Et une condamnation pécuniaire importante : « l’Etat devra verser la somme de 100.000 euros à l’association Les amis de la Terre et 1,1 million d’euros à des associations de surveillance de la qualité de l’air » (CE, 4/8/21). Il y a manifestement une attaque triangulaire contre la souveraineté nationale : des ONG attaquent l’Etat en se fondant sur « le consensus scientifique » et les juges le condamnent, au bénéfice de la politique imposée par l’ONU et les ONG.
Les politiques de sécurité sous l’œil des juges
Plus anciennement, le Conseil constitutionnel a mis des bâtons dans les roues du ministère de l’intérieur sur un point touchant à la sécurité nationale par cette décision du 23 mars 2012 : « Le fichier d’identité biométrique portant sur la quasi-totalité de la population française et comportant les données requises pour la délivrance du passeport français et de la carte nationale d’identité […] eu égard à la nature des données enregistrées, à l’ampleur de ce traitement, est contraire à la Constitution. » Et la Cour de justice de l’Union européenne est venue semer le trouble dans le domaine jusque-là réservé et préservé de la Défense nationale en concluant que, pour les militaires français, « l’interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer porte atteinte à l’essence même de la liberté d’association ».
En France, à l’étranger, tous les juges de toutes les juridictions
Dans un tout autre domaine, le tribunal de Nanterre a fait fort lui aussi en forçant l’entreprise Amazon, sous prétexte de santé publique, à « réduire le nombre de salariés présents de manière simultanée de telle sorte qu’il ne dépasse pas 100 salariés par entrepôt et ce sous astreinte de 1.181.000 euros par jour et par infraction, à compter de 24 heures ». Mais en même temps que les juges mettent ainsi le nez dans la pratique des entreprises privées, ils réduisent les pouvoirs de la justice face aux délinquants et même aux criminels. Une décision du Conseil constitutionnel contre « la pratique de contrôles d’identité généralisés », deux contre l’extension de la garde à vue, deux contre la répression du terrorisme, dont celle du 7 août 2020 « Les articles de la loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine sont contraires à la Constitution », un contre la loi anticasseur.
Les juges du Conseil d’Etat contre l’Etat
Le soutien actif du Conseil d’Etat à la politique migratoire la plus extrémiste est acquis depuis l’arrêt Gisti de 1978 et le Conseil constitutionnel l’a appuyé avec éclat par l’arrêt de juillet innocentant le multirécidiviste Cédric Herrou, coupable d’aide à l’immigration clandestine : « La fraternité est un principe à valeur constitutionnelle. Il découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national […]. L’aide apportée à l’étranger pour sa circulation n’est pas illicite. Dès lors l’article de la loi “réprimant toute aide apportée à la circulation de l’étranger en situation irrégulière” est contraire à la Constitution ».
Les juges politiques visent la souveraineté de la France
A côté de ce véritable coup d’Etat des juges constitutionnels, l’arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2017 a des airs presque modérés, même s’il autorise une véritable révolution dans la vie économique : « L’interdiction de porter le voile dans une entreprise privée commerciale, même limitée aux contacts avec la clientèle, constitue une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté religieuse. » Et, comme il se doit, les juges, qui aiment décider de tout, sont très jaloux de leur domaine de compétence, comme le montre cette décision où le Conseil d’Etat, le 24 avril 2021, réaffirme solennellement la priorité du juge européen sur les juridictions françaises : « Le juge administratif […] ne saurait exercer un contrôle sur la conformité au droit de l’Union des décisions de la Cour de justice. » Ce que l’on doit retenir de ces petits (ou moins petits) coups d’Etat des juges, c’est qu’ils sont tous dirigés contre la souveraineté nationale.