L’Holodomor est le mot utilisé en Ukraine pour désigner l’élimination de 3 millions et demi à sept millions d’Ukrainiens par Staline dans les années trente. Le fait est universellement reconnu et bien documenté, sauf bien sûr dans l’Union des républiques socialistes soviétiques, et aujourd’hui dans la CEI où se sont regroupées celles des anciennes républiques socialistes qui restent sujettes de Moscou. RT, le média international qui s’est fait le porte-parole de Vladimir Poutine, a publié un grand article qui nie l’Holodomor, le nommant « mythe », afin de discréditer l’Ukraine et les Ukrainiens pour justifier ainsi l’attaque russe.
RT omet de réfuter l’Holodomor
Holodomor signifie littéralement « mort par la faim ». Pour liquider l’Ukraine, Staline choisit la nourriture pour « arme du génocide », et ce qui rend la chose « spécialement horrible » aux yeux du professeur Andrea Graziosi, spécialiste italien de l’Union soviétique, est que cela se soit passé dans un endroit connu comme « le grenier à blé de l’Europe ». L’argumentation de RT est à la fois très faible et grossièrement politique. Les faits, les chiffres, sont minimisés (le nombre de morts en URSS est confondu avec celui de l’Ukraine seule), l’intention niée, le contexte oublié. Seul compte le fait que l’Ukraine aujourd’hui (et hier) se sert de l’Holodomor contre la Russie. De très longs paragraphes sont consacrés aux efforts des présidents ukrainiens pour faire reconnaître l’Holodomor – alors que la négation de celui-ci, sans même faire l’effort d’un début sérieux de réfutation, tient en quelques lignes.
L’Ukraine, frontière historique entre les empires
Face à une telle désinvolture, il peut être utile d’abord de rappeler la réalité historique. Avant qu’au moins 3,9 millions d’Ukrainiens ne soient assassinées, c’est-à-dire tués avec préméditation par la faim, un long contentieux opposait l’Ukraine au pouvoir soviétique. Avant 1914, les territoires qui composent aujourd’hui l’Ukraine étaient soumis pour les uns au Tsar, les autres à l’empereur d’Autriche-Hongrie. En dix-sept, avec l’effondrement russe puis les deux révolutions russes et la paix séparée signée par Trotski, l’Ukraine déclara son indépendance, ce qui lui valut d’être immédiatement attaquée par l’armée rouge et vaincue en 1921. En 1922, elle devint république soviétique, et comme c’était la NEP, ses fermiers ne furent pas trop inquiétés, en même temps qu’une certaine autonomie culturelle lui était concédée pour la séduire.
Guerre de la faim et guerre de propagande
Mais sur la fin des années vingt, Staline, qui avait consolidé son pouvoir, craignit que la relative autonomie ne se transforme en indépendance, en même temps qu’il voulut mettre la main sur les richesses agricoles de l’Ukraine. Il commençait par éliminer des centaines de religieux, politiques locaux et intellectuels avant de lancer le cinquième plan quinquennal. Spoliés, les fermiers s’insurgèrent, on compta 4.000 rébellions. L’armée rouge et le Guépéou s’en occupèrent. On liquida les Koulaks (une poignée d’opposants) par dizaines de milliers. Mais cela ne suffisait pas et l’Ukraine demeurait un foyer de résistance à l’URSS. Pour empêcher la sécession, Staline imposa à l’Ukraine des quotas de grains sans rapport avec la réalité, les réquisitionna de force, les déclara « propriété socialiste ».
RT a tort : l’Holodomor en Ukraine n’est pas un mythe
Puis, avec la complicité de Molotov, il ferma les frontières de l’Ukraine et y laissa mourir de faim sa population, en 1932 et 1933. Ceux qui tentaient de résister étaient mis sur liste noire. Des brigades d’activistes communistes les réprimaient, et parcouraient les campagnes pour en retirer ce qu’il restait de nourriture. Pendant ce temps-là, l’URSS avait tiré 4,3 millions de tonnes de blé de son grenier ukrainien. L’ouverture des archives soviétiques a permis aux chercheurs d’établir que la famine de la terreur en 1932 et 33 avait été organisée et intentionnelle. Contrairement à ce qu’affirme RT, l’Holodomor n’est pas un mythe.
Poutine copie Staline pour justifier sa guerre
Mais Poutine, pour justifier l’invasion de l’Ukraine, s’est armé, lui, des grands mythes de Staline, dont la grande guerre patriotique, ce qui a pour intention de présenter l’Ukraine en méchante qui collabora avec Hitler. C’est inverser la réalité : si de nombreux Ukrainiens (et de Russes) ont ouvert les bras à la Wehrmacht, c’était bien sûr parce qu’ils n’avaient pas bien pris la mesure de l’homme qui la commandait, mais aussi parce qu’ils se sont sentis, l’espace de quelques semaines, libérés d’un horrible totalitarisme génocidaire – même si ce devait être une criante erreur d’appréciation. En niant ce fait et en reprenant la propagande stalinienne, Poutine ôte toute force à ce qui semble justifié dans sa critique de certaines positions occidentales. Il se fait volontairement l’héritier d’un des plus grands malfaiteurs de l’histoire.