Le pape François a reçu mercredi un groupe de délégués de l’association DIALOP, « projet de dialogue transversal », une association créée sous son inspiration par des intellectuels et des responsables politiques « socialistes-marxistes » et des chrétiens en vue de promouvoir une réflexion convergente. Des chrétiens qui se revendiquent surtout catholiques du mouvement des Focolari et qui, avec la « gauche européenne », se veulent « à la recherche d’un véritable changement ». François leur a réservé un accueil chaleureux et des encouragements sans réserves, comme le montre son court discours dont nous vous proposons ci-dessous notre traduction intégrale. C’est un événement crucial, un révélateur clair de la dimension politique de ce pontificat, dans la droite ligne des options libérationnistes en Amérique latine.
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François reçoit les représentants du dialogue entre marxistes et catholiques
« Chers amis, bonjour !
« Je suis heureux de vous accueillir, vous les représentants de DIALOP, qui vous êtes engagés depuis de nombreuses années dans la promotion du bien commun à travers le dialogue entre socialistes/marxistes et chrétiens. Un beau programme !
« Un écrivain latino-américain a écrit un jour que les gens ont deux yeux, l’un de chair et l’autre de verre. Avec le premier, ils voient ce qu’ils regardent ; avec l’autre, ce dont ils rêvent. Ne perdez jamais la capacité de rêver ! Aujourd’hui, dans un monde divisé par la guerre et la polarisation, nous courons le risque de perdre la capacité de rêver. Nous, Argentins, disons “no te arrugues”, c’est-à-dire “ne recule pas”. C’est l’invitation que je vous lance à vous aussi : Ne reculez pas, n’abandonnez pas et ne cessez pas de rêver d’un monde meilleur. Car c’est dans l’imagination, dans la capacité de rêver, que l’intelligence, l’intuition, l’expérience et la mémoire historique s’unissent pour nous rendre créatifs, pour nous faire saisir des opportunités et nous faire courir des risques. Combien de fois, au fil des ans, de grands rêves de liberté et d’égalité, de dignité et de fraternité, reflétant le rêve de Dieu lui-même, ont-ils produit des percées et des progrès. Dans cet esprit, je voudrais vous recommander trois attitudes que j’estime utiles à vos efforts : le courage de briser le moule, le souci des moins favorisés et la promotion de l’état de droit.
« Tout d’abord, avoir le courage de briser le moule, de s’ouvrir, dans le dialogue, à de nouvelles voies. Dans une période marquée par des conflits et des divisions à différents niveaux, ne perdons pas de vue ce qui peut encore être fait pour inverser le cours des choses. Au lieu d’approches rigides qui divisent, cultivons, à cœur ouvert, la discussion et l’écoute. Et n’excluons personne au niveau politique, social ou religieux, afin que la contribution de chacun puisse, dans sa spécificité concrète, recevoir un accueil positif dans les processus de changement auxquels notre avenir est lié.
« Deuxièmement, le souci des plus démunis. Une civilisation se mesure à la manière dont sont traités les plus vulnérables – n’oublions pas comment les grandes dictatures, nous pensons au nazisme, ont rejeté et tué les plus vulnérables – : les pauvres, les chômeurs, les sans-abris, les immigrés, les exploités, et tous ceux que la culture du déchet réduit à l’état d’ordures. C’est l’une des choses les plus terribles. Une politique réellement au service de l’humanité ne peut se laisser dicter sa conduite par la finance et les mécanismes du marché. La solidarité n’est pas seulement une vertu morale, mais aussi une exigence de justice, qui appelle à corriger les distorsions et à purifier les intentions des systèmes injustes, notamment par des changements radicaux de perspective dans le partage des défis et des ressources entre les individus et entre les peuples. C’est pourquoi j’aime appeler ceux qui s’engagent dans ce domaine “poètes sociaux”, car la poésie est une affaire de créativité, et il s’agit ici de mettre la créativité au service de la société, afin de la rendre toujours plus humaine et fraternelle. N’ayons pas peur de la poésie, de la poésie et de la créativité. N’oublions pas cette capacité à rêver.
« Enfin, l’Etat de droit. Tout ce qui a été dit jusqu’à présent appelle à s’engager dans la lutte contre le fléau de la corruption, des abus de pouvoir et du non-respect de la loi. Ce n’est que dans l’honnêteté et l’intégrité que des relations saines peuvent être établies et que nous pouvons coopérer avec confiance et efficacité à la construction d’un avenir meilleur.
« Chers amis, je vous remercie pour votre engagement en faveur du dialogue. Il y a toujours un grand besoin de dialogue, alors n’ayez pas peur ! Je prie pour vous et je demande que vous soient accordés sagesse et courage dans votre travail pour un monde plus juste et plus pacifique. Que l’Evangile de Jésus-Christ inspire et éclaire toujours vos efforts et vos activités. Je vous remercie. »
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Oubliées, les multiples condamnations du socialisme et du communisme par le magistère de l’Eglise, à commencer par celle de Pie IX évoquant les « criminels systèmes du nouveau Socialisme et du Communisme », ces « pernicieuses inventions » qui recherchent « le bouleversement de tout ordre dans les choses humaines » (Qui Pluribus, 1849). Tous les papes jusqu’à Benoît XVI ont réitéré cette condamnation, certains plus vigoureusement que d’autres mais sans rupture. On se souvient particulièrement de Pie XI condamnant dans Divini Redemptoris « le communisme intrinsèquement pervers ».
Rien de tel chez François, pas le moindre rappel de cette incompatibilité absolue entre l’ordre social chrétien et ce désordre collectiviste qu’il ose présenter comme étant au nombre des « rêves de liberté et d’égalité, de dignité et de fraternité », qui plus est « reflétant le rêve de Dieu lui-même ». Liberté, égalité, fraternité : c’est bien le slogan de la Révolution, des droits de l’homme sans Dieu, de ces « valeurs » contradictoires entre elles et détournées de leurs sens respectifs acceptables.
Le dialogue marxistes-catholiques : un « beau programme » !
« Beau programme », s’exclame au contraire le pape François devant ce rapprochement contre nature entre les catholiques et les tenants de la dialectique, de la lutte des classes et du collectivisme. Citant pour la énième fois un « écrivain latino-américain », impossible à identifier jusqu’à plus ample informé, il a invité son auditoire à « rêver », encore un de ces mots clefs qui sont la marque de la pensée bergoglienne.
Quand il dénonce les « grandes dictatures » qui ont méprisé les plus vulnérables, et que ces rêveurs christiano-marxistes sont invités à contrer, pas un mot pour les enfers marxistes, communistes – Chine, Corée du Nord, Cuba, mais aussi l’URSS et ses satellites, certains pays « décolonisés » en Afrique – qui ont répandu la servitude, la mort et la misère par millions tout en assurant la prospérité fort peu égalitaire des inévitables Nomenklatura qui y fleurissaient. Non, François se souvient des nazis, exclusivement, qui pour être de gauche, socialistes, ne se réclamaient pas du marxisme, et qui sont donnés comme seul exemple de massacreurs des « plus vulnérable ». Et de suggérer que nous vivons aujourd’hui sous une telle « grande dictature » qui traite mal « les pauvres, les chômeurs, les sans-abris, les immigrés, les exploités, et tous ceux que la culture du déchet réduit à l’état d’ordures ».
François réclame de ce fait « des changements radicaux de perspective dans le partage des défis et des ressources entre les individus et entre les peuples » : rien d’autre que la redistribution des richesses au niveau global, avec ce que cela suppose de pouvoir politique unifié. Ce disant il ne fait preuve d’aucune originalité : c’est le programme de la gauche internationale aux commandes dans les grandes institutions comme l’ONU, avec ses « Objectifs du développement durable » pour 2030…
Le dialogue marxistes catholiques vise une utopie faillie
Combattre la corruption, comme le suggère François, pourquoi pas ? Mais qui osera dire avoir rencontré un pays réglé selon les principes marxistes qui ne soit pas atteint par ce fléau, alimenté par la misère et l’envie ? Le regard du pape est celui de l’utopie, et l’utopie, qui prétend faire le bonheur des peuples à leur corps défendant, c’est en réalité leur malheur, à commencer parce qu’elle substitue à la recherche des biens spirituels, supérieurs, l’idée de la possibilité d’un paradis terrestre dont le péché originel nous a exclus.
L’idée de créer DIALOP est née lors d’une audience privée du pape François en 2014 avec le futur Premier ministre grec Alexis Tsipras, ancien des jeunesses communistes et fondateur du parti populiste d’extrême-gauche Syriza dont le succès aux élections de 2015 devait le propulser à la tête de l’Etat. Participaient également à l’audience Walter Baier, homme politique autrichien membre du Parti communiste de son pays, devenu en 2022 président du Parti de la gauche européenne, et Franz Kronreif, du mouvement des Focolari. Ces deux camarades avaient déjà entamé un dialogue entre marxistes du PC autrichien et chrétiens vers la fin des années 1990.
Kronreif a raconté au sujet de cette rencontre avec le pape que « le pontife déclara que la guerre, la pauvreté, la crise environnementale et les flux migratoires qui en résultent sont des problèmes trop graves pour être résolus par une seule force, y compris l’Eglise catholique ». Il ajoutait, selon Kronreif : « Il considérait que le dialogue transversal entre personnes de bonne volonté permettra seul d’avancer, en franchissant les barrières de leurs visions respectives du monde. » De là date le lancement de DIALOP, auquel Mgr Vincenzo Zani, archevêque-secrétaire de la Congrégation pour l’éducation catholique, était assigné par le Vatican comme interlocuteur. Une université d’été eut lieu dans une île grecque en 2018, destinée à bâtir des ponts entre différentes visions du monde.
Le « RESET » selon DIALOP, association de dialogue marxiste-chrétien
De manière intéressante, DIALOP a créé le projet « RESET » (comme « réinitialisation »), acronyme de « tRansvErsal Social EThics », qui aborde les questions au moyen d’une double approche pilotée par les visions de la doctrine sociale de l’Eglise telle qu’elle s’exprime dans Laudato si’ et par la théorie critique sociale néo-marxiste de l’école de Francfort. L’idée étant d’aboutir à un « consensus différencié » comme dans le « dialogue » avec les luthériens. Cela suppose forcément une conception redéfinie de la vérité ; pour Kronreif, « il y a une hiérarchie des vérités ; au-delà, il existe également une difficulté fondamentale à mettre en mots n’importe quelle expression de la vérité ».
L’exposé de position de DIALOP n’est pas moins instructif. Disponible en anglais, italien et allemand sur le site de l’association, il s’ouvre sur le slogan suivant : « A la recherche d’un avenir commun dans la solidarité. Nous ne pourrons être sauvés qu’ensemble. » Sauvés ? Pas au sens de la rédemption en vue de la vie avec le Dieu Un et Trine dans le ciel : non, « sauvés » ici-bas des périls ou des problèmes énumérés par le pape lors de sa première audience avec Baier et Kronreif.
Partant de Marx et du Magnificat (oui, ils osent) les auteurs de cette déclaration d’intention dénoncent l’absence de pensée politique d’une Eglise qui s’est laissée en quelque sorte contaminer par les traditions juridiques pré-chrétiennes de l’empire romain, puis par les structures féodales hiérarchiques médiévales qui l’ont finalement conditionnée à se soumettre au pouvoir bourgeois et au capitalisme. C’est la « désacralisation de la politique pendant deux millénaires ». Le Moyen Age fait l’objet d’une détestation particulière avec sa participation à la promotion des « catégories socio-politiques verticalistes rigides au cours de la période pré-industrielle », et la manière dont elle a répercuté « l’universalisme » grec devant lequel « le particulier devait se soumettre et disparaître » : « en langage contemporain : l’individu singulier devait se soumettre au groupe ! » Si le christianisme a su élaborer une éthique au service des personnes, assure encore DIALOP, mais sans avoir une pensée politique qui eût permis, riche de l’exemple de l’égalité trinitaire, un « dynamisme bas-haut de masse ».
Gaudium et Spes au service d’un dialogue avec Marx
Cet écueil a disparu avec « l’option préférentielle pour les pauvres » (DIALOP cite Vatican II et Gaudium et Spes) qui s’aligne avec le combat de la gauche pour la « libération des opprimés ». Dans la même veine, on retrouve une mention de Leonardo Boff : « Le théologien de la libération L. Boff a probablement fait le meilleur commentaire sur le changement de mentalité que cela représentait lorsqu’il a souligné que le pape (François) avait fait de la théologie de la libération une partie intégrante du récit officiel de l’Eglise. Il a ajouté que pour le pape, un pauvre n’est pas intrinsèquement un indigent mais une personne appauvrie : on n’est pas pauvre, on est rendu pauvre. »
D’où ce travail commun ou convergent que pourraient accomplir chrétiens et marxistes en bonne intelligence, au service de l’égalité et des droits des individus, contre le « capitalisme sauvage », et que le pape vient à sa manière de bénir.
On comprend mieux l’approche de ces christiano-marxistes en dialogue à travers cette assertion de leur projet : « Le Dieu rejeté par le socialisme lorsqu’il a adopté une approche athée et violente à l’égard de la vie et de la société, pour parler ainsi, était-ce vraiment le Dieu de Jésus-Christ ? La théologie d’aujourd’hui dit qu’il n’en est rien. Un Dieu-en-chef, au sommet d’une pyramide sociale et politique, est clairement à l’opposé de l’image du Père, Abba, proclamé par Jésus. Il n’est pas le Mystère impénétrable ; il est le Père qui est la source de la liberté du Fils et de tous ses enfants et il est la source de la fraternité entre tous, cela signifie que le vrai cadre de référence implique pour les chrétiens la liberté, la justice et le partage. » D’où le devoir de lutter contre l’ordre établi… L’ordre hiérarchique.
Le document est notamment co-signé par Piero Coda, secrétaire général de la Commission théologique internationale, par Adnane Mokrani, théologien musulman et enseignant à l’université pontificale grégorienne, et divers militants et responsables politiques communistes, sans compter de nombreux universitaires et dirigeants politiques ou religieux.
Il y a près de six ans, François dénonçait pourtant « le totalitarisme démoniaque du marxisme »… La confusion de ce pontificat a encore frappé.